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A 30 ans, le Web est-il devenu un « monstre hors de tout contrôle »?

Sir Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web, s'inquiète de l'évolution de son bébé (archives). KEYSTONE/MARTIAL TREZZINI sda-ats

(Keystone-ATS) Le CERN fêtera mardi les 30 ans du World Wide Web, alors que les fake news et les réseaux sociaux retardent son entrée dans la maturité. Au point de pousser son inventeur, Tim Berners-Lee, à lancer une campagne pour « sauver le Web ».

Ce jeune physicien britannique avait imaginé un « système de gestion décentralisée de l’information », alors qu’il travaillait au Centre de calculs de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), à Meyrin (GE). Le 12 mars 1989, il publie un article considéré comme l’acte de naissance du Web (la Toile en français).

Trente ans plus tard, rien ne distingue l’ancien bureau de M. Berners-Lee, si ce n’est une plaque commémorative apposée à l’entrée et un vieil extrait de l’annuaire du CERN affiché sur la porte. A côté du nom Berners-Lee Timothy, quelqu’un a malicieusement écrit: « momentanément absent du bureau ».

« Tim travaillait énormément, la lumière était toujours allumée dans son bureau », raconte à l’AFP François Flückiger, qui a repris la direction technique du Web au CERN après le départ de M. Berners-Lee au Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux Etats-Unis, fin 1994.

Tim Berners-Lee était en charge de l’annuaire interne du CERN, mais en marge de son activité il cherchait à permettre aux milliers de scientifiques dans le monde de partager à distance leurs recherches sur les travaux de l’organisation.

« L’histoire s’écrivait »

« Dès le départ, la dimension planétaire était présente. Très tôt, on a eu la sensation que l’histoire s’écrivait », même si son supérieur a qualifié son premier mémo sur le Web de « vague », raconte Flückiger.

En 1990, le Belge Robert Cailliau rejoint Tim Berners-Lee pour contribuer à la promotion de son invention qui repose sur le langage HTML – un standard qui permet de créer des pages web -, le protocole d’échange hypertexte HTTP – qui permet à l’utilisateur de demander, puis de recevoir une page web – et les adresses URL. Fin 1990, Tim Berners-Lee rend opérationnel le premier serveur et navigateur Web au CERN.

Une invention majeure

Du mouvement #MeToo à la dénonciation des violations des droits humains, ce réseau a permis à une « énorme quantité d’activités humaines de prospérer », assure avec enthousiasme Ian Milligan, professeur spécialisé dans l’étude des archives du Web à l’université de Waterloo au Canada.

Aujourd’hui à la retraite, M. Flückiger considère la Toile comme l’une des trois inventions majeures du XXe siècle ayant conduit à la société numérique (avec la technologie IP et les algorithmes de recherche Google).

Mais avec « le harcèlement numérique, les fake news, l’hystérisation des foules (…) on se demande si on n’a pas finalement créé un monstre aujourd’hui hors de tout contrôle », déplore-t-il, observant avec amertume l’étalage de la vie privée sur les réseaux sociaux et la prédominance, sur le Web, des « croyances » face aux « connaissances ».

Pour Niels Brügger, directeur du Centre des études sur Internet au Danemark, « il n’est pas surprenant qu’une fois qu’une nouvelle technologie est mise à la disposition des utilisateurs, ils commencent à la modifier et à la développer pour répondre à de nouveaux besoins ».

« Escrocs et trolls »

En janvier, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a réclamé devant le Forum économique mondial (WEF) à Davos une réglementation « douce » du Web, déplorant que des pays l’utilisent pour violer les droits humains.

Tim Berners-Lee, lui-même engagé dans ce combat pour « sauver le Web », réclame le lancement en 2019 d’un « Contrat pour le Web », basé sur un accès pour tous et le droit fondamental au respect de la vie privée.

Darkweb, cybercriminalité, fake-news, vols de données personnelles sur les réseaux sociaux… « Le Web a été détourné par des escrocs et des trolls », constatait-il dans une tribune publiée le 6 décembre par le New York Times.

« Open source »

Le Web fait désormais partie de la vie quotidienne, mais en 1989 personne ne s’attendait à sa naissance. Si le CERN n’a guère gardé de souvenirs de cette époque, à part le premier mémo de Tim Berners-Lee et son ordinateur, un NeXT, il a évité que le Web ne tombe entre de mauvaises mains.

En 1993, l’organisation avait mis le logiciel Web dans le domaine public, permettant à toute personne ou industriel de se l’approprier.

Le destin en a voulu autrement, grâce aussi à l’aide de M. Flückiger, qui en 1994 a décidé de lancer une nouvelle version du logiciel en « open source »: le CERN gardait les droits d’auteur, mais conférait à chacun le droit perpétuel et irrévocable de l’utiliser et de le modifier librement et sans frais. Un principe utilisé depuis fin 1994 par Tim Berners-Lee et le MIT.

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