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Malgré ce qu’affirme Donald Trump, les prix des médicaments ne sont pas près d’augmenter en Europe

Donald Trump
Un décret du président américain Donald Trump vise à aligner les prix des médicaments américains sur ceux pratiqués par d'autres pays développés. Copyright 2025 The Associated Press. All Rights Reserved.

Le président des États-Unis Donald Trump accuse les gouvernements européens de fixer des tarifs trop bas pour les médicaments, au détriment de la population américaine. Mais toute tentative d’augmenter les prix en Europe se heurterait à une vive opposition, tant de la part des responsables politiques que de l’opinion publique.

«Je ne vise pas les laboratoires pharmaceutiques. Ce sont plutôt les pays que je vise», a déclaré Donald Trump mi-mai depuis le Bureau ovale, lors de l’annonce d’un nouveau décret visant à faire baisser les prix des médicaments. «En réalité ce sont les pays qui ont forcé les grandes entreprises pharmaceutiques à faire des choses que je doute qu’elles avaient envie de faire.»

Le décret présidentiel intitulé «Offrir aux patients américains les prix des médicaments de la nation la plus favoriséeLien externe» entend changer les choses en alignant les prix des médicaments américains sur ceux pratiqués dans d’autres pays développés. Selon Donald Trump, cette mesure pourrait faire baisser les prix aux États-Unis de 60 à 90%.

Il est incontestable que le coût des médicaments aux États-Unis est élevé. Une étude menée par le groupe de réflexion RANDLien externe montre que les prix américains sont en moyenne deux à trois fois plus élevésLien externe que dans les autres pays industrialisés. L’écart est particulièrement marqué pour les médicaments de marque récents protégés par des brevets, que les laboratoires peuvent vendre sans concurrence.

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Donald Trump avait déjà tenté de faire passer une disposition similaire lors de son premier mandat, mais s’était heurté au refus de la justice américaine et à une forte opposition de l’industrie pharmaceutique. Cette fois, il estime que la donne a changé, car il menace de recourir aux droits de douane. Il espère ainsi pouvoir contraindre les autres pays à payer leurs médicaments plus cher, afin d’obtenir en retour une baisse des prix sur le marché américain.

Donald Trump estime que la patientèle américaine subventionne les systèmes de santé des autres pays en remplissant les caisses des laboratoires pharmaceutiques, ce qui leur permet d’investir dans l’innovation. D’après les calculs de son administration, les États-Unis représentent 4,2% de la population mondiale, mais près de 75% des revenus de l’industrie pharmaceutique.

Selon cette logique, la seule solution pour faire baisser les prix sans entamer les marges des laboratoires ni freiner la recherche serait donc que d’autres pays, principalement européens, paient davantage.

Mais pour les spécialistes, les prix des médicaments ne sont pas près d’augmenter en Europe. Et même si c’était le cas, cela ne résoudrait pas les problèmes structurels qui maintiennent les prix américains à des niveaux élevés.

«Les prix des médicaments relèvent d’une compétence nationale», rappelle Kerstin Noëlle Vokinger, professeure de droit et de médecine à l’Université de Zurich et à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). «Les lois et politiques varient d’un pays à l’autre.»

On ne peut augmenter les prix sans «modifier ces cadres législatifs», ajoute-t-elle. Contrairement aux États-Unis, où le marché est largement dérégulé, les prix des médicaments en Europe sont encadrés par les autorités et ne peuvent pas grimper du jour au lendemain.

Des prix en hausse en Europe

En Suisse, pays qui ne fait pas partie de l’Union européenne, les prix des médicaments sont encadrés par la Loi sur l’assurance-maladie. Selon ce texte, pour qu’un médicament figure sur la «liste des spécialités» et soit donc remboursé par l’assurance de base, il doit répondre à trois critèresLien externe: efficacité, adéquation et justification économique compte tenu de son efficacité. Lors des négociations tarifaires avec les laboratoires, les autorités helvétiques comparent aussi avec les prix pratiqués dans plusieurs pays européens ainsi que ceux des traitements déjà disponibles pour la même pathologie.

Au Royaume-Uni, le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) évalue le coût par année de vie gagnée en bonne santé pour déterminer si un médicament doit être pris en charge par le National Health Service (NHS). Dans l’Union européenne, chaque État membre fixe ses propres prix, une fois l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’Agence européenne des médicaments.

Au-delà du continent européen, le Japon fixe les prix en les comparant à ceux de médicaments similaires. Lorsque cette comparaison est impossible, les autorités tiennent compte des coûts de développement, de production et de commercialisation. Au Brésil, la loi interdit de fixer un prix plus élevé que celui observé dans neuf pays de référence, dont les États-Unis et le Canada, pour les traitements jugés les plus innovants.

Toute tentative d’augmenter les prix se heurterait par ailleurs à une opposition massive de la population. Les coûts de la santé sont en hausse partout. Et malgré les régulations, les prix des médicaments ne sont pas étrangers à cette inflation. Selon un rapport récentLien externe publié par des organismes d’assurance maladie européens, certains pays du continent ont enregistré en 2023 une hausse des dépenses pharmaceutiques comprise entre 4 et 13% par rapport à l’année précédente. Les thérapies récentes, souvent très onéreuses, notamment celles contre le cancer et les maladies rares, sont pointées du doigt comme principaux moteurs de cette envolée.

La hausse des coûts de la santé est la principale préoccupation de la population en Suisse, selon le baromètre annuel des préoccupationsLien externe publié en décembre par la banque UBS. Depuis 2020, le Parlement helvétique débat d’un second paquet de mesures visant à contenir les coûts du système de santé, tandis que plusieurs propositions sur le sujet ont été soumises au vote populaire ces deux dernières années.

En janvier 2024, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) écrivait que le coût des médicaments avait «augmenté à un rythme supérieur à la moyenne ces dernières années» et constituait l’une des «principales causes de la forte croissance des primes [d’assurance maladie]». Il estimait que les coûts des médicaments pris en charge par l’assurance obligatoire avaient grimpé de plus de 30% par habitant au cours des huit dernières années.

«L’innovation a un coût, c’est évident», souligne la professeure Kerstin Noëlle Vokinger. «Il faut reconnaître et encourager l’innovation, mais nous devons aussi préserver un système de santé durable.»

Les exhortations de Donald Trump à faire grimper les prix des médicaments s’ajoutent au débat similaire qui a cours actuellement en Europe: comment contenir les dépenses sans bloquer l’innovation biopharmaceutique? Dans une lettre ouverte publiée le 23 avril 2025 dans le Financial TimesLien externe, les patrons de Sanofi et du géant suisse Novartis ont alerté sur la perte de compétitivité du secteur en Europe, qu’ils attribuent à un «défaut de valorisation de l’innovation». Selon eux, les politiques de contrôle des prix affaiblissent l’attractivité du marché européen. Certains laboratoires ont d’ailleurs décidé de retirer leurs médicaments du marché européenLien externe à la suite de négociations tarifaires infructueuses.

Opacité à plusieurs niveaux

Les détails du plan de Donald Trump restent flous. On ignore encore si son décret sur la nation la plus favorisée s’appliquerait uniquement aux traitements couverts par des programmes fédéraux comme Medicare, destiné aux personnes âgées, ou à l’ensemble des médicaments.

On ne sait pas non plus quel levier l’administration Trump pourrait actionner pour influencer les prix, d’autant que le système de santé américain repose majoritairement sur un marché libre dominé par les assurances privées. Généraliser une telle politique de régulation des prix impliquerait une intervention étatique plus poussée, et par conséquent une transformation complète du mode de délivrance et de financement des soins de santé dans le pays. Cela pourrait aussi avoir un impact sur l’accès aux médicaments aux États-Unis, qui sont souvent le premier marché de lancement des nouveaux traitements, parfois plusieurs années avant leur arrivée en Europe.

Autre défi: le manque de transparence croissant autour des prix des médicaments. En Europe, les remises confidentielles négociées entre les États et les laboratoires se généralisent; savoir combien les pays ou les assurances paient réellement est donc difficile. Les méthodes de fixation des prix par les entreprises pharmaceutiques sont tout aussi opaques, tout comme la part de leurs revenus consacrée aux investissements dans la recherche et le développement de futurs traitements.

«Tout le monde veut des prix équitables, mais cet objectif est inatteignable si chaque pays ne pense qu’à ses propres intérêts», souligne Kerstin Noëlle Vokinger.

Un équilibre délicat

Que l’Europe augmente ses prix ou non, les laboratoires seront toujours poussés à baisser les prix de leurs médicaments aux États-Unis.

Le président Trump a annoncé que son équipe rencontrerait les dirigeants des grands groupes pharmaceutiques dans le mois à venir. En l’absence de «progrès significatifs», son administration pourrait recourir à des mesures réglementaires.

Les groupes pharmaceutiques anticipent déjà les conséquences de ces annonces. Les États-Unis représentent 42% du chiffre d’affaires de Novartis et environ 50% de celui de Roche. Selon l’association professionnelle américaine PhRMA, le décret de la nation la plus favorisée pourrait entraîner une perte de revenus allant jusqu’à 1000 milliards de dollars pour l’industrie pharmaceutique américaine sur la prochaine décennie.

Le géant suisse Roche a fait savoir dans plusieurs médias qu’il réévaluerait ses investissements aux États-Unis si le plan de Donald Trump était mis en œuvre. Avant le décret, l’entreprise avait annoncé un projet d’expansion sur le territoire américain, avec un investissement de 50 milliards de dollars sur cinq ans.

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Quelles répercussions pour la Suisse?

Le projet de Donald Trump soulève également des inquiétudes en Suisse. Les produits pharmaceutiques représentent près de 40% des exportations helvétiques, et 60% de ces marchandises sont destinées aux États-Unis. Une baisse de la valeur des exportations vers le marché américain aurait donc un impact direct sur l’économie helvétique, tout comme l’imposition de nouveaux droits de douane.

Les États-Unis avaient initialement imposé des tarifs douaniers de 31% sur les exportations suisses, un taux nettement supérieur à celui appliqué aux autres pays européens. Ces droits de douane ont toutefois été suspendus une semaine plus tard, le 9 avril, pour être remplacés par une taxe uniforme de 10%.

Interrogé par swissinfo.ch, un porte-parole du gouvernement suisse a répondu par courriel ne pas pouvoir dire si les médicaments et leur tarification faisaient actuellement l’objet de discussions commerciales avec Washington.

Mais l’exemple du Royaume-Uni montre que tout est possible. La semaine dernière, Londres et Washington ont conclu un accord commercialLien externe mentionnant la volonté de «négocier des conditions de traitement significativement préférentielles pour les produits pharmaceutiques». Le texte précise que le Royaume-Uni s’engage à «améliorer l’environnement global pour les entreprises pharmaceutiques» opérant sur son sol.

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Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/gw, traduit de l’anglais par Pauline Turuban à l’aide d’un logiciel de traduction automatique

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