Le Japon aux avant-postes pour aider à déminer l’Ukraine
Environ un quart du sol ukrainien est miné. Fort de son savoir-faire et d’un matériel de pointe, le Japon succèdera à la Suisse pour l'organisation de la prochaine Conférence sur le déminage en Ukraine, en 2025.
«Le Japon va encore intensifier ses efforts en matière de déminage, afin que le peuple ukrainien puisse reprendre le cours de sa vie en toute sécurité»: c’est la promesse faite par Fumio Kishida, alors Premier ministre japonais, lors du Sommet sur la paix en Ukraine qui s’est tenu en Suisse en juin. Il a également annoncé à cette occasion que le Japon organiserait en 2025 la prochaine Conférence sur le déminage en Ukraine (Ukraine Mine Action Conference), dont la première édition s’est tenue à Lausanne mi-octobre.
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Conférence suisse sur le déminage en Ukraine: ce qu’il faut savoir
Le Japon fournit du matériel de déminage et de reconstruction au Service civil ukrainien d’aide en cas de catastrophe (SESU) depuis le début de l’invasion russe en 2022.
Via son Agence de coopération internationale (JICALien externe), le gouvernement japonais a livré en juillet quatre engins de déminage à l’Ukraine, dans le cadre d’un programme d’aide à la reconstruction à hauteur de 91 milliards de yens (490 millions de francs suisses).
Fabriquées par le constructeur nippon d’engins de chantier Nikken, ces machines sont les premières en leur genre. Dotées d’un bras articulé, elles peuvent aussi ramasser des amas de débris ou élaguer des arbres. Une vingtaine d’autres suivront d’ici décembre.
Le Japon a également expédié l’an passé une cinquantaine de détecteurs de mines dernier cri, développés par le professeur Motoyuki Sato de l’Université de Tohoku (nord-est). Du nom d’ALIS, ces systèmes servent à la fois de détecteurs de métaux et de radars à pénétration de sol (RPS), c’est-à-dire de sondes permettant de visualiser sur écran la présence de mines. Expérimentés au Cambodge, ces outils repèrent les mines rapidement et avec précision, sans avoir à creuser.
>>Motoyuki Sato explique le fonctionnement d’ALIS dans cette vidéo (en anglais):
Le Japon préfère toutefois donner aux pays touchés par les mines la capacité de régler le problème eux-mêmes. À ce jour, la JICA a organisé plusieurs formations au Japon, au Cambodge ou en Pologne, à l’attention d’équipes ukrainiennes. Une cinquantaine de personnes ont ainsi appris à utiliser et entretenir les détecteurs de mines et le matériel de déminage.
Selon Kiev, 23% du territoire ukrainien serait truffé de mines et d’autres explosifs, et quelque 6 millions de personnes vivraient actuellement dans des zones à haut risque. Plus de 900 personnes civiles ont déjà été tuées ou blessées par des mines depuis le début du conflit.
Même si la guerre prenait fin demain, il faudrait encore des années pour déminer l’Ukraine.
«Contrairement à d’autres pays qui se contentent d’envoyer du personnel sur place, nous tentons d’impliquer dès le départ les populations locales afin qu’elles puissent planifier et piloter elles-mêmes la détection et le retrait des mines à l’avenir», explique à swissinfo.ch Ayako Oi, chef du département «maintien de la paix» à l’Agence japonaise de coopération.
Un quart de siècle d’expérience au Cambodge
Depuis 1998, le Japon a déjà accordé au Cambodge des aides d’une valeur équivalente à 92 millions de francs pour la lutte contre les mines. Le Cambodge a été lourdement touché par la guerre du Vietnam et le conflit civil des deux décennies suivantes, durant lesquelles entre 4 et 6 millions de mines ont été enfouies, selon les estimations.
La communauté internationale a commencé à se préoccuper de la prolifération des mines au début des années 1990. Enfouies principalement dans des pays en guerre comme le Cambodge, l’Afghanistan ou l’Angola, elles occasionnent des dommages considérables aux populations civiles et entravent fortement le travail de reconstruction et de développement à l’issue des conflits.
A l’appel de plusieurs ONG internationales, un texte sur l’interdiction des mines antipersonnel (Convention d’Ottawa) a été adopté en 1997, puis est entré en vigueur deux ans plus tard. À ce jour, 164 pays l’ont signé ou ratifié.
Le ministre de la Défense japonais de l’époque était réticent à le parapher, invoquant des questions de sécurité, mais le chef de la diplomatie du Japon, Keizo Obuchi, a signé le traité en en soulignant l’importance.
En février 2003, le Japon a achevé la destruction d’environ un million de mines qui étaient en sa possession.
Une conférence est organisée chaque année pour débattre de la mise en œuvre de cette Convention entre les parties signataires, qui sont non seulement des pays mais aussi des organisations internationales.
Cela fait maintenant plus d’un quart de siècle que la coopération technique japonaise apporte son aide à l’Agence nationale cambodgienne du déminage (Cambodia Mine Action Center, CMAC), que ce soit en lui fournissant du matériel pour rendre le déminage plus efficace ou en l’aidant à bâtir ses propres capacités de gestion du problème.
Entre 1995 et 1999, à peine 10 km2 de superficie avaient pu être déminés sur place; cette surface est passée à 282 km2 en 2023 grâce aux efforts de la CMAC.
Le Cambodge est même devenu au fil du temps l’un des pays les plus compétents au monde dans cette lutte. L’Agence japonaise de coopération (JICA) facilite pour sa part le transfert d’expertise entre les organismes concernés par le déminage au Cambodge et d’autres pays en proie au même fléau, tels que la Colombie, le Laos, l’Angola ou l’Irak.
L’ex-ministre japonaise des affaires étrangères, Yoko Kamikawa, a récemment annoncé le lancement conjoint par les deux pays d’une plateforme dédiée au partage des connaissances et technologies sur le déminage au niveau international. Dans le cadre de cette initiative, des spécialistes du Cambodge ont ainsi pu enseigner l’usage des détecteurs à des équipes ukrainiennes.
Déminer plutôt qu’exporter des armes
Le Japon se classe régulièrement parmi les cinq principaux pays donateurs en matière de lutte contre les mines antipersonnel.
Une stratégie qui va de pair avec une politique stricte d’exportation des armes, a fortiori lorsque ces dernières sont destinées à des pays en conflit.
Après l’invasion en Ukraine, à l’instar de ce qui s’est passé en Suisse, le Japon a subi des pressions internationales pour assouplir sa politique. En mars 2022, peu après l’entrée des troupes russes, le gouvernement japonais a dû infléchir plusieurs directives relatives au transfert d’équipements et de technologies dans le domaine de la défense. Un réajustement qui lui a par exemple permis de fournir à l’Ukraine des gilets pare-balles et des casques, en les faisant passer pour des «articles obsolètes».
Depuis la fin de l’année dernière, un nouvel assouplissement de ces directives donne maintenant la possibilité au Japon d’exporter des produits militaires fabriqués sur sol nippon, mais sous licences étrangères. Les Etats-Unis ont ainsi très vite passé commande de missiles de défense aérienne Patriot produits au Japon, donnant lieu à des spéculations sur leur destination finale, qui pourrait être l’Ukraine.
Cependant, comme celle de la Suisse, la politique d’assistance à l’Ukraine menée par le Japon mise avant tout sur l’aide humanitaire et les soutiens financiers.
La Conférence, une vitrine pour le Japon
L’aide au déminage est donc devenue un élément central du soutien japonais à l’Ukraine. Le Japon a obtenu le droit d’organiser en 2025 la prochaine Conférence sur le déminage à l’issue d’une rencontre entre l’ancien Premier ministre japonais Fumio Kishida et le président ukrainien Volodymyr Zelensky, lors du sommet du G7.
Les autorités japonaises espèrent que cet événement sera aussi une opportunité pour les entreprises nippones de présenter leurs dernières innovations en matière de déminage. Car outre les compagnies Nikken et Komatsu, qui fournissent déjà des équipements de pointe, le géant de l’informatique NEC a développé un système reposant sur l’intelligence artificielle. Cette technologie prédit les lieux où des mines sont le plus susceptibles d’être enfouies, et NEC entend l’utiliser prochainement en Ukraine.
«J’espère que cette nouvelle Conférence accélérera encore l’engagement international en Ukraine, déclare pour sa part Ayako Oi de la JICA. Les efforts consentis pour éliminer les mines sont essentiels pour assurer la sécurité et, dans la foulée, poser les jalons d’une société où les populations peuvent à nouveau vivre en paix.»
Texte relu et vérifié par Veronica DeVore/ds, traduit de l’anglais par Alain Meyer/ptur
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