Les allégations visant la mission de l’UNRWA à Gaza en question
La pression en faveur du démantèlement de l'agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens s'intensifie. Israël affirme que l'UNRWA est de connivence avec le mouvement islamiste Hamas et des donateurs comme la Suisse suspendent leur aide financière à l'agence. Nous avons examiné les accusations.
Fin février, tandis que se déroulait le 55e Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à Genève, un sommet parallèle avait lieu à proximité. Il était organisé par UN Watch, une ONG suisse pro-israélienne qui surveille le système des Nations Unies. Un seul sujet était à l’ordre du jour: le remplacement de l’UNRWA, la principale organisation humanitaire qui fournit de l’aide à Gaza.
Depuis l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023, l’UNRWA a fait l’objet d’une série de plaintes. La plus grave d’entre elles date de fin janvier. Selon Israël, 12 membres du personnel de l’agence auraient participé à l’assaut. L’UNRWA a immédiatement mis fin aux contrats des personnes concernées et l’ONU a ouvert une enquête.
Israël n’a pas encore fourni Lien externede preuves écrites à l’ONU concernant ses accusations. De son côté, l’UNRWA réfute avoir des liens avec le Hamas. Néanmoins, les appels à la suppression du financement de l’agence se multiplient.
«Les dirigeants israéliens ont clairement indiqué qu’ils voulaient que l’agence soit démantelée», indique Daniel Forti, analyste senior à l’International Crisis Group. Le démantèlement de l’agence des Nations Unies fait désormais partie du planLien externe d’Israël pour gérer la bande de Gaza. Sa suppression est prévue une fois que la guerre contre le Hamas – lancée après l’attaque du 7 octobre – sera terminée.
Les allégations contre l’UNRWA ont eu un fort impact. Plusieurs des plus grands donateurs de l’agence ont suspendu leur financement. Il lui manque désormais près de la moitié de son budget de 880 millions de dollars (774 millions de francs suisses) pour faire face à une situation d’urgence humanitaire sans précédent à Gaza.
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L’UNRWA est-elle une organisation «politique»?
L’UNRWA a été créée par l’Assemblée générale des Nations Unies pour fournir une assistance humanitaire à la population palestinienne qui a fui à la suite de la guerre d’indépendance d’Israël en 1948. L’organisation offre des services de base, tels que des soins de santé, à environ 5,9 millions de Palestiniennes et Palestiniens réfugiés à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, en Jordanie, en Syrie et au Liban.
Directeur exécutif d’UN Watch, Hillel Neuer voit l’organisation sous un autre angle. «La mission de l’UNRWA n’est pas humanitaire, mais politique», affirme-t-il.
Le désir de démanteler l’UNRWA vise le symbolisme politique qui lui est attaché, explique Daniel Forti. «L’UNRWA est vue par certains comme une sorte de garantie de la part de la communauté internationale qu’un jour les Palestiniens auront le droit de retourner dans leur pays d’origine, dans le cadre de toute négociation sur une solution à deux États», observe-t-il. «Pour les mêmes raisons, Israël considère l’UNRWA comme une remise en cause légitimée de son statut d’État.»
Seule l’Assemblée générale des Nations Unies peut dissoudre l’UNRWA. L’idée gagne du terrain. L’organisation UN Watch a organisé une rencontre d’une journée, en ligne et en présentiel, sur ce thème. Elle affirme que 12’000 personnes y ont participé, bien que Le Temps ait rapportéLien externe que l’assistance était «peu nombreuse, composée principalement de convaincus». Plus de 140’000 personnes ont signé une pétition en ligne de UN Watch pour fermer l’UNRWA, selon Hillel Neuer.
Les liens présumés de l’UNRWA avec le Hamas
Hillel Neuer et d’autres militent pour le démantèlement de l’UNRWA en affirmant que l’agence abriterait des terroristes. Israël prétend que 10% des quelque 13’000 personnes employées par l’office à Gaza ont des liensLien externe avec le Hamas, une organisation qualifiée de terroriste par plusieurs pays, dont les États-Unis. Au total, l’UNRWA emploie plus de 30’000 personnes dans la région.
L’UNRWA a mis en doute cette affirmation. Son directeur Philippe Lazzarini a déclaré que, depuis son arrivée à la tête de l’organisation en 2020, il n’avait jamais entendu Israël exprimer d’inquiétudes au sujet de son personnel. L’agence communique sa liste d’employés à Israël chaque année. «Lorsque nous demandons aux autorités israéliennes d’où vient ce chiffre de 10% et quelles en sont les preuves, nous n’obtenons aucune réponse», a-t-il déclaréLien externe au Temps.
Contactée par courriel, l’ambassade d’Israël à Berne a indiqué qu’Israël avait transmis les noms d’«agents du Hamas» travaillant pour l’UNRWA à l’agence – pas récemment, mais en 2011 et 2012 – et que celle-ci n’avait alors pris aucune mesure. Selon le Wall Street Journal, un rapportLien externe des services de renseignement américains publié en février a conclu à l’absence de preuves démontrant que l’UNRWA entretenait des liens étendus avec le Hamas.
«Nous avons des preuves» que l’UNRWA a donné de l’argent au Hamas, a déclaré Pierre-André Page, député de l’Union démocratique du Centre (UDC) et membre de la commission des affaires étrangères, en janvier à la radio publique suisse RTS.
Interrogé sur ces preuves, Pierre-André Page n’a pas fait de commentaire. Dans un courriel adressé à swissinfo.ch, il a indiqué que la commission entendrait le directeur de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, lors d’une audition qui se tiendra à la fin du mois de mars. «J’espère qu’il nous fournira des informations importantes et précises», a-t-il déclaré.
Avoir des contacts avec le Hamas, qui contrôle Gaza depuis 2007, est inévitable pour l’UNRWA qui fournit des services à la population, pointe Daniel Forti. Mais, ajoute-t-il, l’agence a veillé à maintenir cette coopération à un niveau strictement technique, «de manière à sauvegarder la neutralité de l’agence et à protéger son mandat d’opérations».
Philippe Lazzarini a reconnu dans Le Temps que son agence opérait dans «un environnement extrêmement complexe … où il est difficile d’avoir un risque zéro». Pour faire face à cet environnement, un mois avant les accusations contre les 12 employés, l’ONU a commandé une étude indépendante visant à examiner les processus de recrutement de l’UNRWA et les réponses apportées aux fautes du personnel. Un rapport final est attendu pour avril.
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Lien entre la violence et les écoles de l’UNRWA
L’UNRWA est également accusée de promouvoir la violence dans ses écoles. À Berne, le Parlement suisse a récemment examiné une proposition visant à réduire le financement de l’agence, déposée par des membres de l’Union démocratique du centre (droite conservatrice). Ceux-ci ont cité des rapports d’IMPACT-se, un organisme britannico-israélien de surveillance de l’éducation qui accuseLien externe depuis longtemps l’UNRWA d’enseigner la haine d’Israël.
«Ce que nous avons vu le 7 octobre est directement lié au programme scolaire», a soutenuLien externe Marcus Sheff, directeur d’IMPACT-se, à CNN en janvier. De même, UN Watch affirme que des enseignants de l’UNRWA ont célébré l’attaque du Hamas, qui a tué 1200 personnes, dans un groupe de discussion sur Telegram. L’agence a réponduLien externe qu’il était impossible de vérifier s’il y avait des employés de l’UNRWA sur les 3000 membres du groupe de discussion.
Philippe Lazzarini a déjà reproché à UN Watch et IMPACT-se de colporter de la désinformation. Chercheur postdoctoral à l’Université américano-libanaise de Beyrouth, Jo Kelcey a rédigé sa thèse de doctorat sur le programme d’éducation de l’UNRWA. Elle soutient que les critiques de ces groupes «se caractérisent par une approche polémique plutôt que sur des recherches». La chercheuse cite une étude indépendante des manuels scolaires réalisée en 2021 par l’Institut Georg Eckert en Allemagne. Selon cette source, les affirmations d’IMPACT-se contenaient «des conclusions exagérées basées sur des lacunes méthodologiques».
Les écoles de l’UNRWA, qui accueillent quelque 540’000 enfants palestiniens dans la région, utilisent les manuels des gouvernements hôtes et enseignent un programme accrédité.
Il s’agit probablement du programme le plus scruté et le plus contrôlé au monde. «Le nombre d’études et d’analyses dépasse tout ce que j’ai pu voir», commente Jo Kelcey. Mais certaines évaluations ont mis en évidence des problèmes. L’Institut Georg Eckert, par exemple, a estiméLien externe que si les livres utilisés par l’UNRWA respectent les normes de l’UNESCO en matière d’éducation politique et de droits humains, certains d’entre eux contiennent des récits antisémites. L’agence des Nations Unies a réponduLien externe qu’elle s’était penchée sur les problèmes signalés dans le passé et qu’elle examinait régulièrement le contenu des livres scolaires.
Les fonds du principal donateur de l’UNRWA, les États-Unis, vont en majorité à l’éducation. Washington fait partie des 16 pays donateurs qui ont retiré leur financement à l’agence ces dernières semaines.
D’autres agences pourraient-elles remplacer l’UNRWA?
Selon Hillel Neuer, l’UNRWA pourrait «être progressivement remplacée par d’autres agences des Nations Unies. Par exemple celles qui répondent actuellement aux besoins humanitaires de plus de 20 millions de personnes au Soudan».
Selon Jo Kelcey, c’est mal comprendre le rôle des organisations de l’ONU. L’agence pour les réfugiés UNHCR, souvent citée comme alternative à l’UNRWA, n’a pas pour mandat de travailler dans des zones sous occupation ou de fournir des services de santé et d’éducation étendus.
«Il ne s’agit pas d’un remplacement à l’identique», corrobore Daniel Forti. «L’UNRWA joue actuellement un rôle inestimable en matière d’aide humanitaire.» Selon lui, une réduction significative de ses opérations augmenterait immédiatement le risque d’instabilité dans toute la région. Et se débarrasser de l’UNRWA ne serait même pas dans l’intérêt d’Israël, ajoute-t-il, puisque Jérusalem devrait alors garantir aux réfugiés palestiniens des services de base actuellement offerts par l’agence.
À Gaza, plus de deux millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire. L’UNRWA affirme disposer de suffisamment de fonds pour assurer un mois supplémentaire d’opérations et met en garde contre une famine imminente sur le territoire. La Suisse, neuvième pays contributeur au budget de l’UNRWA, d’après les chiffres de 2022, retient 20 millions de francs suisses jusqu’à ce que les résultats de l’enquête de l’ONU et de l’examen indépendant soient publiés.
«Il est très difficile de concevoir cette région, de même que la situation à ce moment précis, sans le travail de UNRWA», déclare Jo Kelcey. «Il est difficile d’imaginer à quel point la situation peut se détériorer sans l’intervention de l’agence.» Des donateurs comme l’Irlande, la Belgique, l’Espagne, la Norvège et le Koweït continuent de financer l’organisation et lui réaffirment leur confiance. Un signe que la chercheuse considère comme encourageant.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin/livm/ac, traduit de l’anglais par Mary Vacharidis
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