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Les cinq dates qui ont forgé les relations américano-suisses depuis 1945

Avocat juif entouré de journalistes
Le procès intenté aux banques suisses par des survivants de l’Holocauste et leur avocat américain Ed Fagan, photographié s’adressant à la presse à Zurich en 1998, a jeté une ombre sur les relations entre la Suisse et les États-Unis. Keystone

La Suisse et les États-Unis ont connu des relations en dents de scie depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, mettant parfois à rude épreuve des principes fondateurs. À commencer par la neutralité suisse.  

«Il n’existe pas de dossier à l’échelle mondiale où nos deux nations ne jouent pas un rôle moteur. Car nous partageons les deux des valeurs communes pour améliorer les choses.» S’exprimant en juillet 2023 à Zurich pour la fête d’indépendance des États-Unis, l’ambassadeur américain Scott Miller avait résumé la quintessence du lien entre les États-Unis et la Suisse.

L’histoire récente regorge d’exemples où Suisse et États-Unis ont œuvré ensemble pour parvenir à un système international plus stable et fondé sur des règles. Forte de sa neutralité, la Suisse a par exemple organisé en juin 2021 à Genève la rencontre entre les présidents américain Joe Biden et russe Vladimir Poutine dans un contexte géopolitique déjà très inflammable.

Le président de la Confédération entre le président russe et le président américain
Le président de la Confédération suisse de l’époque, Guy Parmelin, a accueilli Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève le 16 juin 2021 et a eu des entretiens bilatéraux avec eux en marge de leur sommet. Copyright 2021 The Associated Press. All Rights Reserved.

Il convient également de rappeler que c’est sous l’impulsion des autorités des deux pays que fut créé en 2022 le Fonds pour le peuple afghan (Fund for the Afghan People). Objectif: injecter dans l’économie afghane exsangue une partie des réserves de la Banque centrale afghane gelées aux États-Unis.

Mais Berne et Washington ont connu aussi des désaccords profonds. Par exemple, lorsque les États-Unis se sont irrités du refus de la Suisse d’autoriser la réexportation d’armes de fabrication suisse vers l’Ukraine. Une position que Berne a défendue bec et ongles en mettant en avant sa neutralité.

swissinfo.ch décrypte ci-dessous une série d’événements dont certains ont mis à rude épreuve la neutralité suisse, alors que d’autres ont mis au contraire en exergue la coopération entre les deux pays. Mais un déséquilibre apparaît.  

Or nazi et avoirs en déshérence

Les rapports économiques que la Suisse a entretenus avec l’Allemagne nazie sans elle-même prendre part à la 2e Guerre mondiale avait raidi jadis ces relations. Pour rappel, Berne avait accordé pendant le conflit un prêt au 3e Reich pour lui permettre de se procurer du matériel de guerre. De plus, la Suisse et des banques privées ayant pignon sur rue en Suisse avaient acheté l’or des nazis, dont une partie pillée dans les pays occupés. Selon une récente estimation, la valeur de cet or se serait élevée à 1,7 milliard de francs suisses.

Pour contraindre la Suisse à cesser ses échanges avec l’Allemagne, Washington avait gelé en 1941 les réserves d’or suisse à New York. Mais Berne avait continué sous couvert de la neutralité politique et économique de commercer avec le 3e Reich, ne limitant ses transactions que vers la fin du conflit. En 1946, Berne a finalement accepté de verser, en échange des avoirs gelés, 250 millions de francs suisses au fonds constitué pour reconstruire l’Europe.

Ce dossier est remonté à la surface des décennies plus tard. En 1995 à New York, le Congrès juif mondial intenta une action collective au nom des victimes de l’Holocauste et de leurs héritier-res, à qui il avait été refusé l’accès à des comptes bancaires en Suisse sur lesquels de l’argent dormait depuis la guerre.

Le président américain Bill Clinton demanda ensuite l’ouverture d’une enquête sur l’or pillé par l’Allemagne nazie dans les pays occupés. Au vu des reportages que les médias étrangers ont consacrés alors à la Suisse, la réputation du pays avait pâli. Pour démêler ses agissements durant la guerre, le Conseil fédéral a mis sur pied un groupe de travail et le parlement, une commission indépendante dirigée par l’historien Jean-François Bergier.

Homme lors d'une audition devant le Sénat américain
Des officiels suisses, dont le consul général Alfred Defago, ont été contraints de témoigner sur les avoirs dormants des survivants de l’Holocauste lors d’une audition publique à New York. Keystone

En 1997, un rapport du Département d’État américain épingla la Suisse pour son rôle de «banquière des nazis». «L’affaire des avoirs en déshérence perturba les relations américano-suisses pendant des années», atteste l’ouvrage de référence qu’est le Dictionnaire historique de la Suisse (DHS).

En 1998, un accord fut conclu entre les banques et les victimes spoliées pour un montant de 1,25 milliard de dollars. Mais l’affaire a laissé des traces en Suisse et aux États-Unis, même si le volet a été refermé. «Si pour les États-Unis l’important était d’arriver à un accord, l’affaire constitua un vrai trauma en Suisse avec un dégât d’image pour la neutralité», indique Sacha Zala, directeur du centre de recherche Dodis, consacré à l’histoire diplomatique suisse. 

Position durant la Guerre froide

Avec l’avènement de la Guerre froide, la Suisse et sa neutralité ont eu à subir aussi d’intenses pressions, notamment pour accepter le leadership des États-Unis dans leur opposition frontale avec l’URSS. En 1951, Washington imposa un embargo sur les exportations vers les pays de l’Est. «Le gouvernement américain usa alors de tous les moyens dont il disposait pour obtenir que la Suisse participe également à cet embargo», décrit le DHS.

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Sous menaces de sanctions économiques de la part de Washington, Berne n’a eu alors d’autre choix que d’accepter l’accord informel dit de Hotz-Linder en vue d’une réduction des échanges de biens stratégiques avec le bloc de l’Est.  

«Pour préserver – du moins sur le papier – sa neutralité, la Suisse a contourné le traité officiel en privilégiant cette voie moins formelle», explique Sacha Zala. Mais concrètement, Berne avait pris position en acceptant les contrôles à l’exportation et s’était rangée de fait du côté de l’Occident. «Voilà qui démontre bien avec cet accord combien le pouvoir des États-Unis était disproportionné dans ces relations bilatérales», précise encore l’historien.

Puissance protectrice pour temps de crise

Le point culminant des relations entre Berne et Washington fut, selon Dodis, l’accord de 1961 à partir duquel la Suisse représenta les intérêts américains à Cuba. Ce mandat de puissance protectrice lui a permis de jouer pendant 54 ans un rôle de premier plan dans la désescalade des tensions qui régnaient en pleine Guerre froide. En particulier lors de la crise des missiles à Cuba en 1962.

Aujourd’hui, le seul mandat comme courroie de transmission qu’endosse encore la Suisse à l’égard des États-Unis concerne l’Iran. Entré en force après la rupture des relations entre Washington et la République islamique en 1980, ce mandat perdure. La Suisse a ainsi joué un rôle important dans la crise qui a éclaté avec la prise d’otages de novembre 1979 à l’ambassade américaine de Téhéran, laquelle durera 444 jours. Des diplomates suisses participèrent à la libération et à l’évacuation des otages relâché-s, tout en prenant soin des personnes qui étaient encore retenues. La présence de diplomates suisses sur place a permis de maintenir aussi les canaux de communication ouverts entre Washington et Téhéran, préalable à toute négociation d’un éventuel accord.

Ambassadeur suisse signant un document avec quatre hommes derrière lui.
L’ambassadeur suisse Erik Lang signe les documents pour le rapatriement des corps de huit Américains morts lors d’une opération de sauvetage ratée des otages américains détenus à l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1980. Keystone

Ce rôle de bons offices a à nouveau été apprécié récemment pour faciliter un échange de prisonniers entre les États-Unis et l’Iran. Et le canal de dialogue a été réactivé en avril quand l’Iran a lancé des drones et missiles contre Israël.

Ce rôle d’intermédiaire «pour un petit pays peut ouvrir des portes à Washington, mais cela ne va pas plus loin», souligne toutefois Sacha Zala, ajoutant que la Suisse ne peut résoudre par ce biais tous ses différends avec les États-Unis.

Pas d’accord commercial 

La Suisse lorgne également depuis longtemps sur un accord de libre-échange global avec Washington. Ex-directeur de la Chambre de commerce américano-suisse, Martin Naville le compare à une police d’assurance-vie dans le cas où l’Union européenne et les États-Unis signeraient un accord du même type.

Un tel pacte était à bout touchant en 2006. Mais les discussions exploratoires ont été stoppées lorsqu’il est apparu qu’aucun compromis n’allait être trouvé sur le dossier agricole et son protectionnisme. Idem pour les OGM (organismes génétiquement modifiés), selon Martin Naville qui était impliqué dans les discussions.

Sous le règne de Donald Trump (2017-21), qui était favorable aux entreprises, la Suisse a essayé de se replacer, mais sans aiguiser l’intérêt des États-Unis.

Depuis que son successeur, le démocrate Joe Biden est à la Maison-Blanche, Berne négocie des accords sectoriels et techniques pour réduire les barrières commerciales. Aussi parce que l’actuel président a qualifié les accords de libre-échange de reliques du 20e siècle. En 2023, un premier accord a été signé pour l’inspection par les deux pays de sites de production pharmaceutique. Plus haute fonctionnaire suisse pour le volet économique, Hélène Budliger Artieda avait répété alors que la Suisse était toujours prête pour un accord global.

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Accord ou pas accord, le commerce entre les deux pays est aujourd’hui en plein essor. Les États-Unis sont le deuxième partenaire commercial de la Suisse après l’Allemagne, et le premier investisseur étranger en Suisse.

Évasion fiscale et secret bancaire

Au lendemain de la crise économique de 2008, les autorités américaines avaient cependant accusé la banque suisse UBS d’avoir aidé une riche clientèle américaine à échapper au fisc aux États-Unis, ce qui avait provoqué un clivage entre les deux pays.

Pour éviter des poursuites pénales aux États-Unis, UBS avait dû décliner alors l’identité d’environ 250 clients américains. Ce n’est pas tout. La banque a dû s’acquitter également d’une amende de 780 millions de dollars aux États-Unis et assumer l’entière responsabilité des services rendus pour échapper au fisc.

L’affaire a mis aussi en pièces le secret bancaire suisse, la confidentialité n’étant plus garantie qu’à l’intérieur des frontières du pays. Dans la foulée, les États-Unis ont poursuivi plus d’une centaine d’autres établissements bancaires en Suisse, lesquels ont dû payer des amendes pour un total de 7,5 milliards de dollars. Deux banques ont également été mises en faillite.

Pour Sacha Zala, voilà qui démontre l’influence de la plus grande économie du monde sur la Suisse. Même si celle-ci reste économiquement performante. «Dans les relations internationales, la notion de pouvoir est généralement liée aussi à des intérêts commerciaux. Les États-Unis ont un pouvoir gigantesque. Si vous ne vous y conformez pas, impossible de commercer avec eux», conclut-il.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Alain Meyer

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Modéré par: Benjamin von Wyl

Qu’est-ce que la Suisse et les États-Unis pourraient apprendre l’un de l’autre aujourd’hui?

Que peuvent apprendre les deux démocraties l’une de l’autre?

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