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Un nouveau pôle de la crypto-monnaie au Tessin

Bitcoin St. Gallen
Le premier automate à bitcoins de Suisse orientale, photographié à St-Gall en janvier 2014. On peut y acheter, mais aussi y vendre des bitcoins, contre du "vrai" cash. Keystone

Partie de Zoug, la fièvre de la crypto-monnaie a désormais aussi atteint le Tessin. Une motion demande au canton d’accepter les bitcoins pour le paiement de services, à l’instar de la commune de Chiasso qui les encaissera dès janvier pour des taxes basses. La cité frontalière ambitionne de devenir une «crypto-polis» et attire déjà des start-up d’Italie du nord.

A partir de janvier 2018, à Chiasso, on pourra payer en bitcoins les impôts jusqu’à une valeur de 250 francs: 50 francs de plus qu’à Zoug qui, depuis juillet 2016, est le premier canton à accepter la crypto-monnaie pour le paiement de services. Dans les deux villes, et leurs cantons respectifs, ce changement va toutefois bien au-delà du simple geste symbolique de l’administration.

Crypto Valley et CryptoPolis

Zoug, connue depuis longtemps pour son imposition favorable aux entreprises, désire se débarrasser de son étiquette de refuge fiscal pour celle de Crypto Valley. Elle compte aujourd’hui une trentaine d’entreprises actives dans le secteur des monnaies électroniques et un incubateur d’entreprises ad hoc.

A Chiasso, où s’est constituée en octobre l’association CryptoPolis, une dizaine de start-up sont déjà actives. 

Comment générer un bitcoin.

Il faut s’imaginer un problème mathématique complexe avec 21 millions de solutions possibles, et que chaque nouvelle solution trouvée donne droit à un jeton. Les principales caractéristiques d’un tel processus sont qu’il existe un nombre maximum de pièces générables et que plus on avance, plus la puissance de calcul nécessaire est élevée: aujourd’hui, il n’est plus possible «d’extraire» des bitcoins avec un ordinateur personnel, même en le laissant travailler pendant des jours. On peut retracer l’extraction, la possession et les transactions de cette monnaie virtuelle dans un registre partagé appelé blockchain. La plupart des personnes se procurent des bitcoins en les acquérant (par exemple en changeant des francs suisses ou des euros).

 Il y a parmi elles des entreprises qui développent des portefeuilles numériques permettant d’effectuer des transactions en crypto-monnaie. D’autres encore travaillent sur des «smart contract», soit des contrats qui s’exécutent d’eux-mêmes, comme par exemple des polices qui remboursent automatiquement les assurés en cas d’événements adverses tel le retard d’un avion.

L’initiative cantonale

La ville de Chiasso estime ne courir aucun risque monétaire. A l’instant même où elle encaissera des bitcoins, elle les changera en francs suisses. Un peu comme les Chemins de fer fédéraux qui, depuis un an, vendent des bitcoins à leurs guichets automatiques et les acquièrent au moment même où le client les demande. Toutefois, ils ne les acceptent pas comme moyen de paiement. C’est ce que, en revanche, des parlementaires tessinois demandent à l’Administration cantonale de faire. La motion suggère de mener un projet pilote conduit par le Département des institutions, à savoir le département qui, «au-delà du prélèvement fiscal au sens strict, émet le nombre le plus élevé de factures», explique le premier signataire Paolo Pamini, député du groupe La Droite, conseiller fiscal et professeur: impôts sur la circulation, expertises des véhicules, taxes pour les permis de séjour.

«Un geste qui ne coûte pas grand’ chose»

Le Département des institutions est le cadre idéal car «l’Etat a ainsi le grand avantage de savoir déjà qui sont les sujets en train de dépenser». Dans le même temps, «avec un geste relativement symbolique, le Canton pourrait montrer qu’il croit dans le potentiel de la fintech et gagner aussi quelque chose avec ces transactions», poursuit M. Pamini.

C’est justement là le risque, avertit Sergio Rossi, professeur de macro-économie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg. Le secteur public pourrait être tenté d’effectuer des retenues de crypto-monnaie, «mais alors la tendance du bitcoin de s’apprécier par rapport au franc suisse pourrait finir d’un moment à l’autre».

Les fluctuations et la nature du bitcoin

Que l’Etat spécule ou non, le bitcoin a un prix extrêmement fluctuant; «on risque de perdre beaucoup et de reporter sur les contribuables le coût de cette crypto-monnaie». Pour rentrer dans ses frais, relève M. Rossi, il faudrait ensuite «couper dans les dépenses publiques ou augmenter la charge fiscale». 

Pourquoi proposer au Canton du Tessin le bitcoin et non une autre crypto-monnaie?

«Parce que c’est la plus solide», estime Paolo Pamini. «Avec l’ethereum, c’est la crypto-monnaie qui connaît la plus grande capitalisation et le plus grand nombre de transactions». Pour les bitcoins, on dépasse les 100 milliards de francs au niveau mondial. En outre, «cette crypto-monnaie n’a jamais été piratée par des hackers. Des portefeuilles ont déjà été volés, mais la technologie en elle-même est extrêmement sûre».

L’instabilité du taux de change est le seul défaut que Paolo Pamini reconnaît au bitcoin. Les investisseurs devraient tenir compte du fait «que les prix peuvent s’écrouler à tout moment». Mais il le considère par ailleurs comme une technologie sûre et solide: «je pense que son potentiel est énorme, et tant les banques commerciales que les banques centrales sont en train de s’en rendre compte».

Sergio Rossi concorde sur l’intérêt suscité par la crypto-monnaie, mais il met en garde: le bitcoin n’est pas une monnaie. «Pour le moment, c’est un instrument financier, et non pas une vraie monnaie», précise le professeur. «Pour qu’il le devienne, il faut qu’il soit intégré dans le système bancaire et des paiements traditionnels. Cela signifie que les banques doivent se doter de la technologie de la blockchain et s’affilier à une banque centrale qui règle le trafic des paiements interbancaires». Et M. Rossi d’ajouter: tant que le bitcoin restera en dehors des paiements interbancaires, il vaudra mieux que l’Etat n’y touche pas.

Une masse monétaire «limitée»

Une des caractéristiques du bitcoin est le nombre maximum de pièces «minables» ou générables. Aujourd’hui, quelque 17 millions de bitcoins circulent dans le monde, et vu leur valeur, on est déjà en train de négocier leurs fractions. La monnaie peut être fragmentée jusqu’à son cent-millionième (le huitième chiffre après la virgule).

Le plafond fixé à l’émission des bitcoins constitue «la vraie innovation non technologique, mais économique et aussi philosophique», estime Paolo Pamini. «Selon les théories économiques en lesquelles je crois, il n’est pas nécessaire de continuer à augmenter la masse monétaire pour faire fonctionner l’économie, l’important est qu’il existe un moyen fiable d’échange».

En supposant que l’activité économique croisse, le pouvoir d’achat d’un bitcoin continuerait ainsi d’augmenter. «C’est l’évolution que nos grands-parents et nos arrière-grands-parents ont pu observer, avant que les banques centrales et commerciales commencent à augmenter systématiquement la masse monétaire», explique M. Pamini. 

Le problème de l’anonymat

Le bitcoin est, dans un certain sens, la monnaie la plus transparente qui existe: il reste une trace permanente de chaque transaction dans un registre décentralisé et partagé, un «livre de comptes» visible par tous sur le net. Toutefois, dans le domaine virtuel, les possesseurs de portefeuilles ne sont pas obligés de s’enregistrer ou d’indiquer leurs prénoms et noms. Voilà pourquoi la crypto-monnaie est souvent utilisée pour conclure des affaires illicites.

Pouvoir d’achat, théorie et réalité

«Il est vrai qu’au cours des années, les banques centrales ont émis des centaines de milliards de francs, d’euros ou de dollars américains, et celui qui possède ces monnaies perd une partie du pouvoir d’achat car les prix sont destinés à grimper, ou en tous les cas, il y a une circulation monétaire majeure», reconnaît Sergio Rossi. Il n’est pas dit toutefois que la solution soit une monnaie virtuelle, selon le professeur. «Si je finis le nombre de bitcoins à ma disposition, je peux inventer une autre crypto-monnaie. Et donc il n’existe pas non plus de limitation d’émission pour les monnaies cryptographiques dans leur ensemble. La théorie affirme qu’elles protègent le pouvoir d’achat, mais la réalité pourrait être toute autre».

Un futur sans monnaies nationales?

Les partisans du bitcoin exaltent en général l’absence d’une banque centrale. Mais est-ce vraiment un avantage? «Un système bancaire officiel est important pour protéger les dépôts. Avec le bitcoin ou les autres crypto-monnaies, il manque une banque aussi comme intermédiaire entre l’acquéreur et le vendeur», observe Sergio Rossi. Le manque d’ancrage dans un territoire national ou une zone monétaire pourrait induire les autorités à décréter le bitcoin illégal, et «cela pourrait constituer un problème pour la stabilité financière ou la stabilité des prix», car si la monnaie est interdite, elle perd sur le champ toute sa valeur et son change est équivalent à zéro. Celui qui possède des bitcoins aurait alors tout perdu.

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