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Ceux qui veulent déstabiliser la démocratie tunisienne

Rédaction Swissinfo

Déstabiliser la jeune et encore fragile démocratie tunisienne - la seule à ce jour issue du Printemps arabe -, c’est l’objectif des groupes qui ont perpétré les récents attentats de Tunis et de Sousse. L’analyse de Lisa Watanabe, chercheuse au Centre d’études de sécurité de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

L’attentat du 26 juin à Sousse, qui a tué 38 touristes britanniques, allemands et belges, survient seulement trois mois après celui du Musée du Bardo, qui avait fait 22 morts. Et comme celle de Tunis, cette tuerie a été revendiquée par l’Etat islamique. Ces événements sanglants sont particulièrement choquants dans un pays qui a souvent été considéré comme la lueur d’espoir du «Printemps arabe». La Tunisie vient d’adopter une nouvelle Constitution, le parlement a été démocratiquement élu pour la deuxième fois à la fin de 2014 et le nouveau gouvernement formé en février par Habib Essid se veut d’union nationale, avec notamment un ministre du parti islamiste Ennahda, pourtant battu aux législatives. Tous ces pas semblaient très prometteurs, et c’est justement ces acquis démocratiques que visent les violences djihadistes. 

Point de vue

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Bien avant ces deux attentats, la montée de la violence était déjà palpable, avec notamment l’attaque de l’ambassade américaine en 2012 et l’assassinat des deux hommes politiques Chokri Belaïd et Mohammed Brahmi en 2013. Ansar al-Sharia, le groupe salafiste djihadiste censé être derrière ces actes, aurait des liens avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Jusque à récemment, c’étaient les forces de sécurités tunisiennes qui étaient visées par les djihadistes. Mais avec la prise d’otages au Bardo et l’attentat contre les clients de l’hôtel à Sousse, on est dans une nouvelle stratégie, qui vise à fragiliser l’économie et miner la confiance dans un gouvernement élu sur la promesse d’améliorer la sécurité dans le pays.

Plusieurs facteurs ont contribué à la croissance du radicalisme et de la violence salafiste en Tunisie depuis 2011. Le régime de Ben Ali avait fortement réprimé les islamistes. Suite à l’attentat de Djerba en 2002, des arrestations et des incarcérations massives avaient eu lieu. Mais malgré ces mesures, les réseaux djihadistes ont persisté, et à l’époque déjà, ils envoyaient des combattants dans les zones de conflits. Après la chute de Ben Ali, le gouvernement a libéré les militants emprisonnés pendant les années 2000. Parallèlement, la nouvelle tolérance religieuse a encouragé des salafistes non-violents, mais aussi des djihadistes violents, à retourner en Tunisie.

Le parti islamiste Ennahda, sorti des premières élections démocratiques en Tunisie comme la force politique la plus importante de la coalition gouvernementale, s’est souvent vu reprocher d’avoir été trop tolérant envers les salafistes. C’est seulement après l’attentat contre l’ambassade américaine, revendiqué par Ansar al-Sharia, que le gouvernement s’est montré plus ferme envers ce groupe et envers le salafisme violent en général. Plus de 150 associations civiles présumées avoir des liens avec des groupes djihadistes ont été fermées. Une vingtaine de mosquées hors de contrôle étatique où l’on prêchait le djihadisme violent ont aussi été fermées. Mais des voix ont critiqué cette réaction par trop tardive.

Inégalités, instabilité

La situation socio-économique encore difficile dans le pays joue aussi son rôle dans la montée du radicalisme. Le chômage, particulièrement des jeunes, et les inégalités entre zones urbaines et rurales étaient parmi les premières causes de la révolution. Selon l’Organisation internationale du travail, en 2014, le taux de chômage des jeunes Tunisiens était toujours de 42% La situation socio-économique des habitants des régions pauvres à l’intérieur et au sud du pays reste également précaire. Et c’est justement dans ces régions laissées pour compte que le militantisme monte en flèche.

L’instabilité de la région alimente aussi celle de la Tunisie. Le pays est, par tête d’habitant, celui qui fournit le plus de combattants étrangers en Syrie et en Irak. On estime que quelque 3000 Tunisiens y sont partis pour faire la guerre depuis 2011. La plupart d’entre eux ont rejoint l’Etat islamique ou Jabhat al-Nusra, un groupe dissident d’Al-Qaïda en Irak. Selon l’ancien ministre de l’intérieur, Lofti Ben Jeddou, environ 400 à 500 de ces combattants sont déjà rentrés au pays, avec les risques que cela suppose pour la sécurité nationale. La détérioration de la situation sécuritaire et l’effondrement du système politique en Libye contribuent également à la déstabilisation de la Tunisie. Les assaillants du Bardo et ceux de Sousse ont été formés dans le même camp d’entrainement de l’Etat islamique en Libye.

Titulaire d’un doctorat en Sciences politiques de l’Université York à Toronto (Canada), Lisa Watanabe est chercheuse senior au Centre d’études de sécurité (CSS) de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Elle s’intéresse particulièrement à la sécurité et à la défense européenne, aux relations avec le sud de la Méditerranée et à la dynamique des transitions en Afrique du Nord, thèmes auxquels elle a consacré plusieurs publications. ethz

A la suite de l’attentat de Sousse, le président Beji Caid Essebsi a annoncé de nouvelles mesures sécuritaires et préventives. Parmi elles, la fermeture de 80 mosquées hors contrôle étatique, des poursuites judiciaires contre les partis politiques et les associations qui s’opposent à la Constitution, des mesures légales renforcées pour lutter contre le financement du terrorisme par les associations, ainsi que le déploiement de 1000 agents de sécurité et la présence de policiers armés dans les zones touristiques.

Les parlementaires ont également été appelés à adopter dès que possible un nouveau projet de loi pour lutter contre le terrorisme. Le texte permettrait la poursuite des individus qui rejoignent des groupes terroristes à l’étranger. Certaines de ces mesures contribueraient non seulement à combattre les groupes armés, mais aussi à lutter contre les causes du djihadisme violent. Mais bien sûr, certaines mettent aussi les droits civils en danger. Le vrai défi pour le gouvernement tunisien sera de combattre le terrorisme tout en gardant un système politique ouvert et pluraliste. 

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