Comment l’Afrique peut tirer pleinement profit de son cacao
L’Afrique de l’Ouest produit trois quarts des fèves de cacao utilisées dans la fabrication du chocolat. Pourtant, à peine un producteur sur cinq de la région gagne assez pour vivre. Analyse.
En Afrique de l’Ouest, près d’un million de cultivateurs et cultivatrices de cacao (sur un total d’environ cinq millions) ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs besoins de base, tels que la nourriture, le logement, l’habillement, l’éducation ou les soins médicaux.
Les entreprises européennes telles que Nestlé, Lindt & Sprüngli ou Ferrero se partagent quant à elles près de la moitié du marché mondial du chocolat. Un secteur qui pèse quelque 120 milliards de dollars, selon une étude de marché réalisée en 2023 par Marketsandmarkets. Les poids lourds du chocolat en Amérique du Nord et en Asie-Pacifique, comme Mars, Mondelez et Meiji, empochent pour leur part environ 30%. Les pays producteurs de cacao en Afrique, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, n’obtiennent, eux, que 5%.
Cinq spécialistes suisses de l’industrie du cacao et du chocolat livrent leur analyse de comment l’Afrique peut combler ce fossé et ainsi assurer une vie décente aux personnes qui cultivent le cacao.
Réguler l’offre
Le problème principal est que l’Afrique produit plus de cacao que le marché ne peut en absorber, estime Christian Robin, directeur de la Plateforme suisse pour un cacao durable (Swissco) – une coalition de chocolatiers, de négociants, de détaillants, d’ONG et d’universitaires. Les acheteurs internationaux sont donc en position de force, ce qui pousse les prix du cacao vers le bas.
«La Côte d’Ivoire a presque doublé sa production de cacao au cours des dix dernières années. Même si c’est difficile, à un moment donné, les principaux pays producteurs africains vont devoir mieux gérer leur production», déclare l’expert.
Il recommande aux agriculteurs et agricultrices d’Afrique de l’Ouest de diversifier leurs exploitations et de cultiver d’autres denrées. Cela leur permettra de moins dépendre des fluctuations des prix du cacao. Une autre façon de gagner plus d’argent est d’obtenir une certification Fairtrade. Le label Fairtrade Max Havelaar leur propose un minimum de 2400 dollars par tonne de fèves de cacao. C’est environ 300 dollars de plus que le prix officiel fixé par le Conseil ivoirien du cacao pour la récolte principale de 2022-2023. La demande de chocolat Fairtrade n’est toutefois pas suffisante (15% des ventes totales en Suisse) pour permettre à toutes les exploitations productrices de cacao d’en bénéficier.
«Il est encourageant de voir qu’un si grand nombre d’agriculteurs et d’agricultrices souhaitent participer à notre programme. Malheureusement, le volume de cacao certifié est trop important par rapport à ce que nous pouvons vendre sur le marché», déclare Yanick Lhommel, responsable du développement commercial chez Fairtrade Max Havelaar.
La Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux premiers producteurs mondiaux de cacao, ont mis en place des conseils du cacao contrôlés par le gouvernement. Ceux-ci sont chargés d’assurer la qualité des fèves et de fixer le prix minimum que les agriculteurs et agricultrices obtiennent pour leur récolte. Ils fournissent également des intrants agricoles tels que des engrais, des pesticides et des plants de cacao. Les conseils sont financés par les recettes tirées de l’exportation des fèves de cacao. Ils sont censés garantir qu’au moins 70% de ces recettes reviennent aux agriculteurs et agricultrices.
Réformer un système obsolète
«Le système actuel cultivateur-propriétaire a rendu le secteur dysfonctionnel», déclare Brigitte Cuendet, productrice suisse de cacao au Ghana. Depuis 2014, elle possède dans l’est du pays une ferme sur 12 hectares.
Dans le cadre de ce système, le ou la propriétaire d’une petite parcelle agricole engage une tierce personne pour cultiver le cacao. Cette dernière reçoit généralement un tiers de la récolte. Cependant, les terres sont souvent trop petites – en moyenne deux hectares au Ghana – et les prix trop bas pour que les deux parties en tirent un revenu décent. Pour les exploitations désireuses de faire évoluer leur situation, les incitations manquent. Elles reçoivent toutes les mêmes prix à la production fixés par les conseils étatiques du cacao. Leur rémunération dépend donc de la quantité et non de la qualité des fèves produites.
«Au fil des ans, nous avons affiné nos pratiques post-récoltes et nous produisons une qualité de fèves qui pourrait être qualifiée de cacao de spécialité. Bien entendu, nous souhaitons maintenant être autorisés à développer nos propres chaînes d’approvisionnement, même en tant que petite exploitation», déclare Brigitte Cuendet.
Selon elle, cela ne veut pas dire que les conseils du cacao n’ont pas de rôle à jouer. Elle est convaincue que la collaboration avec les petites exploitations serait bénéfique pour toutes les parties. Sa source d’inspiration: un voyage au Brésil où elle a rencontré des producteurs de café. «Nous devrions suivre l’exemple de ce qui se passe pour le café, où des petits fabricants s’approvisionnent directement auprès de petits exploitants», dit-elle.
Accroître la résilience
Si l’Afrique de l’Ouest produit actuellement plus de cacao que nécessaire, le rendement de ses exploitations est menacé par des maladies et l’âge de certains arbres qui deviennent moins productifs.
Le Conseil ghanéen du cacao a dépensé 230 millions de dollars (sur un prêt de 600 millions de dollars de la Banque africaine de développement) pour remettre en état quelque 160’000 hectares (sur un million) de plantations de cacao trop peu productives. Les cacaoyers de ces terres étaient soit trop vieux, soit infectés par le virus de l’œdème des pousses du cacaoyer (Cocoa Swollen Shoot Virus). Ils ont dû être déracinés et remplacés par de nouveaux arbres. Ce virus diminue le rendement des arbres en l’espace d’un an et les tue généralement en quelques années.
«La progression du virus du Swollen Shoot en Afrique de l’Ouest est effrayante, avec un doublement de la surface infectée en trois ans. La sécheresse due au changement climatique ne fera qu’aggraver la situation, car les plantes affaiblies sont plus exposées au risque d’infection véhiculé par les cochenilles», explique Sanja Fabrio, qui travaille pour une start-up suisse appelée SwissDeCode.
Celle-ci a développé, en collaboration avec la société chocolatière Mars Wrigley, un kit permettant de détecter le virus sur le terrain. Le test coûte actuellement environ 15 francs suisses par échantillon et permet de détecter le virus sur une feuille avant l’apparition des symptômes. Étant donné que les plantes infectées peuvent ne pas présenter de symptômes pendant deux ans, le test peut aider à détecter le problème et à réduire la transmission à un stade précoce. Sanja Fabrio espère faire baisser le coût des tests lorsque l’entreprise aura conclu d’autres partenariats pour transférer la fabrication dans les pays concernés.
«Les chocolatiers ont manifesté leur intérêt pour la technologie, mais il faut maintenant normaliser l’adoption du test. Les autorités locales comparent déjà notre test à la PCR (un test de laboratoire) et les résultats sont plus qu’encourageants», déclare Sanja Fabrio.
Connaître sa clientèle
«Tous les grands noms du cacao peuvent être réunis dans une seule pièce. Si vous ne pensez qu’au prix du cacao, vous avez dix acteurs contre vous qui peuvent trouver des moyens de faire baisser le prix», déclare Anian Schreiber, directeur de la société Koa, basée en Suisse, qui vend des produits à base de fruits de cacao. Une activité de niche, car les fruits du cacao sont généralement jetés après l’extraction des précieuses fèves.
Koa a été créée en 2017 avec les fonds propres d’Anian Schreiber et de ses cofondateurs et a commencé par produire seulement 12 litres de jus par jour, avant de passer à 5’000 litres dans une petite usine au Ghana. L’année dernière, l’entreprise zurichoise a réussi à lever 10 millions de dollars pour construire une nouvelle usine au Ghana qui portera la production quotidienne à 25’000 litres.
Sur la base de sa propre expérience, Anian Schreiber recommande aux producteurs de chocolat de se concentrer sur la création de valeur dans les pays d’origine, ce qui ne peut se faire qu’avec une bonne compréhension de leurs marchés clés. Outre la production locale, il conseille d’investir dans une entité de commercialisation en Europe ou aux États-Unis, afin de se rapprocher des consommateurs et consommatrices et de trouver de nouveaux moyens d’ajouter de la valeur au cacao.
«Aujourd’hui, la question est de savoir qui reçoit quelle part du gâteau. Les producteurs devraient plutôt se demander: qui aime le gâteau? Devrais-je faire un gâteau ou plutôt un muffin ou un brownie?», illustre-t-il.
Anian Schreiber cite l’exemple de Niche Cocoa, la plus grande entreprise transformatrice de cacao du Ghana, qui a ouvert une usine aux États-Unis l’année dernière pour s’implanter dans le lucratif marché américain. En avril, Niche Cocoa a également lancé le premier lait chocolaté en bouteille du Ghana.
Attirer les jeunes
Selon plusieurs études indépendantes, l’âge moyen des cultivateurs et cultivatrices de cacao au Ghana se situe entre 50 et 55 ans. En raison du manque d’intérêt des jeunes générations, nombreux sont ceux et celles qui travaillent aussi longtemps qu’il leur est physiquement possible.
Selon Brigitte Cuendet, la culture du cacao est devenue le dernier recours des jeunes qui préfèrent s’orienter vers d’autres professions telles que les soins infirmiers, l’enseignement, la police ou l’armée. Elle dénonce les conditions foncières défavorables et les prix du cacao qui ne sont pas en phase avec l’augmentation du coût de la vie. Celles-ci rendent peu attrayant le dur labeur que représente la culture du cacao.
«Pour convaincre les jeunes, les perspectives de développement d’entreprises permettant de vivre décemment, bien au-dessus du seuil de pauvreté, doivent être concrètes», explique-t-elle.
Outre l’argent, la formation est également importante. En 2016, le Ghana, en collaboration avec des partenaires internationaux, a lancé un programme de cinq ans intitulé «Next Generation Cocoa Youth Program» (MASO), offrant une formation en agriculture et en développement commercial à 10’000 jeunes personnes au chômage vivant avec moins de deux dollars par jour. Une évaluation du projet, qui s’est achevée en 2020, a révélé que ceux et celles qui avaient reçu une formation étaient 22,5% plus susceptibles de cultiver du cacao.
Texte relu et vérifié par Virginie Mangin. Traduit de l’anglais par Dorian Burkhalter
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