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Dans la crise, La Chaux-de-Fonds retient son souffle

La visibilité reste une denrée rare en ces temps de frimas économiques. Keystone

La capitale de l’horlogerie affiche actuellement le taux de chômage le plus élevé du pays. Les temps sont durs pour Patrick, Marie, Jane et tant d’autres. Mais on reparle aussi de commandes qui rentrent. Reportage et interview.

«J’avais huit ans de boîte… c’est dur! Mais il n’y avait plus de boulot jusqu’à fin mai-début juin, alors ils m’ont licencié». Le serrurier en construction métallique serre les dents. A l’office régional de placement, géré par l’Etat, c’est un défilé de chômeurs. Fin janvier dans les Montagnes neuchâteloises, moral bas.

Assis plus loin, Patrick*, 21 ans, dit avoir pas mal d’amis passés l’an dernier du chômage partiel au chômage tout court. Et restés les mains vides depuis. Cette fois, c’est son tour. «Je fais de la décoration de mouvements. Licencié pour fin janvier. Je m’y attendais mais pour le moment, j’ai reçu une vingtaine de réponses négatives à mes postulations. Je suis inquiet, ça démotive.»

A 28 ans, Marie* a passé le stade des premières postulations. Vendeuse, puis employée dans l’horlogerie, stagiaire aide-soignante, elle chôme depuis trois ans. Et jongle entre les services sociaux et la recherche d’un emploi. «J’attends justement une réponse pour un placement en entreprise par le chômage», glisse-t-elle avant de rejoindre le fonctionnaire chargé de son dossier.

La Chaux-de-Fonds, ville à la campagne et haut-lieu de l’horlogerie suisse, n’avait plus connu un tel taux de chômage depuis septante ans. 9,9% en décembre dernier, contre 5,2% un an plus tôt. Record de Suisse.

L’horlogerie, avec 13,1% de chômage et l’industrie des machines sont touchées surtout. Or, ici, la montre représente plus d’un emploi sur quatre, sans compter tout un tissu économique qui en dépend. L’essentiel de la production horlogère gagne les marchés étrangers, mais avec la crise, la demande a fondu, et les commandes avec.

Incroyable il y a deux ans encore, on voit même des horlogers complets chercher du travail, observe un responsable de HiRe, spécialiste en ressources humaines.

La rapidité de la crise

«La spécificité de cette crise, c’est sa rapidité. Les projections d’il y a seulement deux ans n’évoquaient qu’un ralentissement mais des licenciements importants sont intervenus en un laps de temps restreint», constate Laurence Aellen, cheffe ad intérim du service neuchâtelois de l’emploi.

«Aujourd’hui, note-t-elle, on s’installe dans la crise, avec la crainte qu’elle ne débouche sur une crise sociale. On n’en est bien sûr pas à redouter des émeutes. Mais toujours plus de gens ne parviennent plus à tourner.»

Du haut de la tour Espacité, qui abrite les autorités communales, le ministre de l’économie dit sa volonté de tout faire pour maintenir la «cohésion de le collectivité, la solidarité et relancer la machine». Avec les maigres possibilités d’une ville de 37’000 habitants, face à une crise mondiale.

Mais Laurent Kurth met aussi la hausse du chômage en perspective: durant les trois ans d’avant crise, l’emploi avait tout de même augmenté de 15% à La Chaux-de-Fonds (voir entretien dans la rubrique En relation avec le sujet).

Le chômage partiel

Beaucoup le disent en ville, les patrons ont compris l’importance de l’outil de production et de la conservation du savoir-faire. Autrement dit, plutôt que de licencier, ils utilisent les possibilités du chômage partiel. 247 entreprises y avaient recours en novembre dans le canton, la moitié dans l’horlogerie, largement concentrée à La Chaux-de-Fonds.

«Il y a eu très peu de licenciements collectifs. Nous nous attendions à beaucoup plus», confirme Ralph Zürcher, de la Convention patronale de l’industrie horlogère, l’organe faîtier de la branche en matière sociale.

A l’autre bout de la ville, Jane* va prendre sa pause de midi. Elle indique que son employeur, une grande marque de la place entrée dans le giron américain, avait annoncé septante licenciements l’an dernier. Pour finir, il y a eu vingt départs, grâce au chômage partiel, toujours d’actualité.

«On cherche à s’occuper, on travaille sur des prototypes… C’est dur. L’an dernier, un de nos jeunes s’est suicidé. Il avait des problèmes de famille, et le risque de chômage s’est ajouté… Je ne me fais pas de souci pour moi, étant bientôt à la retraite. Mais pour les jeunes… il faut tenir, tenir! Beaucoup dépendra du salon de Bâle. Si les commandes sont là pour la rentrée, ça ira, sinon…»

La direction, elle-aussi, parie sur Baselworld. Elle y présentera un nouveau programme marketing, une nouvelle politique de prix. «Nous ne prévoyons pas de licenciements supplémentaires, indique une porte-parole. Nous avons la chance aussi de faire partie d’un groupe qui a pris des dispositions pour soutenir ses marques».

Des signes de reprise

Récemment, certaines entreprises n’ont d’ailleurs pas renouvelé leur période de chômage partiel, indique le service de l’emploi. Une partie ont licencié pour «adapter l’effectif à la marche des affaires», les autres commencent à enregistrer des commandes. Car ici ou là, on pointe des signes de reprise. Des commandes s’entend, ce qui n’empêchera pas le chômage de grimper encore dans un premier temps.

«Il est très difficiles de qualifier la situation en général, mais elle n’est pas aussi noire que certains le disent», assure Jean-Pierre Häring. Responsable chez Genilem et Arc management, l’homme est tout indiqué pour prendre le pouls des PME.

«Certaines vont bien, voire très bien, d’autres pas. Mais cela dépend moins de leur secteur d’activité que de leur organisation, de leur capacité financière et surtout de la qualité du management.»

A la Chaux-de-Fonds, le contrecoup de la crise commence maintenant à toucher le secteur du bâtiment. Mais en sillonnant les rues, rien ne transparait des difficultés d’une ville qui en a vu d’autres. Aucune explosion des immeubles à vendre, par exemple.

«Le marché ne bouge plus beaucoup, confirme Caroline Choulat, responsable du service économique de la ville. Très peu de nouveaux objets à vendre, très peu de transactions, malgré la demande d’investisseurs, les gens ne veulent pas bouger tant qu’ils ne savent pas à quoi s’en tenir.» Incertitude, le mot est lâché.

En ville, personne ne peut jurer que la reprise est là. Mais le contraire non plus. «On sent un léger mieux, mais de manière très contrastée, résume Ralph Zürcher. On est encore dans le brouillard, il faut bien le dire.» Et face à cette absence de visibilité, la cité retient son souffle.

Pierre-François Besson, La Chaux-de-Fonds, swissinfo.ch

*Prénoms fictifs

A la fin de l’année 2009, malgré la crise, La Chaux-de-Fonds comptait 149 habitants de plus que l’année précédente, soit 37’582 résidents.

La ville enregistre des soldes migratoires positifs (plus d’arrivées que de départs) avec les communes du Jura neuchâtelois, de la Suisse alémanique, de la France, de l’Espagne et du Portugal.

Les soldes négatifs concernent les autres communes neuchâteloises, le Jura, le Jura bernois, la Suisse romande, le Tessin et l’Italie.

La part de la population étrangère de la ville se monte à 28,6% (-0,8%). Les Portugais sont les plus nombreux, suivis des Italiens, des Français et des Espagnols.

La ville comptait avant la crise quelque 4000 emplois (sur plus de 23000) occupés par des travailleurs frontaliers. Le reflux de l’emploi ne les a pas touchés plus que la population résidente, comme le montrent les chiffres.

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