«Devoir jeter du lait, c’est écoeurant»
Lancée au niveau européen, la grève du lait aura duré quasiment une semaine en Suisse. Un accord a finalement été trouvé dans la nuit de lundi à mardi. Le mouvement a été diversement suivi, mais le ras-le-bol est bien là. Reportage dans la campagne fribourgeoise.
«Au moment d’ouvrir la vanne, certains n’ont pas pu. C’était trop dur. Ils avaient pourtant décidé de suivre le mouvement. On les comprend».
A l’image d’Alexandre Galley, 28 ans, et de son père Michel, environ 10’000 producteurs suisses de lait – sur les quelque 27’000 que compte le pays – ont fait la grève à compter de mercredi dernier. Parfois plusieurs jours de suite, parfois un seul.
Dans un village près de Fribourg où les villas poussent désormais comme des champignons colorés, les Galley habitent l’une des rares fermes qui n’a pas encore été transformée en demeure rustique pour citadins en mal de sensations champêtres.
Avec un autre agriculteur, ils exploitent 61 hectares et produisent du lait de fromagerie. Payé 10 à 12 centimes de plus que le lait industriel, celui-ci implique aussi des coûts plus élevés. Mais l’évolution de son prix est généralement calquée sur celle du lait livré aux centrales.
D’où la solidarité que les producteurs de lait de ce village fribourgeois ont voulu témoigner à l’endroit de leurs homologues suisses.
Jeter du lait
En partie délocalisée à l’extérieur du village, l’installation des Galley, toute de tôle bleue, est conforme aux nouvelles normes agricoles: elle a l’allure d’un immense hangar anonyme où 120 têtes de bétail circulent entre deux séances de broutage dans les prés.
Parmi elles, 50 vaches laitières. Dimanche, elles ont participé à la grève. Sans rien en savoir. Quant à Alexandre Galley, il a commencé sa journée comme d’habitude, de bon matin.
«Il faut de toute façon se lever tôt. Le travail ne change pas. Cela nous a même demandé plus de temps, car il a fallu trouver des moyens pour ne pas jeter le lait», souligne-t-il. Comme à tous les producteurs de lait, cette éventualité «écoeurante» lui aurait fait «mal au ventre».
Président de la commission «lait» du syndicat paysan Uniterre, à l’origine de la grève en Suisse romande, Jacques Barras avait pourtant averti qu’il serait peut-être nécessaire d’en arriver là pour obtenir l’augmentation revendiquée. Soit entre 7 et 10 centimes par litre de lait, payé actuellement un peu plus de 70 centimes au producteur et vendu environ 1,40 franc en magasin.
Alors que certains producteurs se sont résignés à jeter leur lait à la fosse, d’autres n’ont suspendu qu’une livraison ou ont attendu de voir l’ampleur que prendrait la grève, lui conférant ainsi son aspect disparate. Malgré cela, le mouvement a marqué les esprits.
Sensibiliser la population
«Quand nous avons décidé de soutenir cette grève, il était clair pour nous que vider notre lait dans une fosse sans avertir personne ne servirait à rien», explique Alexandre Galley. L’option choisie a donc été la sensibilisation.
Les habitants du village fribourgeois ont eu droit dimanche à une distribution gratuite de lait frais. A l’instar de ce qui s’est passé par exemple à Lausanne, où les fermiers de la ville ont offert le lait à des cantines scolaires.
«La population a réagi très positivement. Nous avons été surpris du soutien qu’elle nous a manifesté. Les gens ont été nombreux à évoquer le problème de la marge des distributeurs, et ils étaient plutôt de notre côté !», ajoute-t-il.
Très suivie dans les cantons de Zurich, d’Argovie, de Zoug, de Lucerne, de Berne, de Vaud et du Valais, la grève a eu un peu moins d’adeptes en terre fribourgeoise. Le fait que deux des quatre plus grandes centrales laitières de Suisse – Cremo et Elsa, qui fournit le numéro un de la distribution en Suisse Migros – y aient leur siège a certainement joué un rôle.
Il faut se battre
D’autant que faire la grève est un luxe que certains producteurs ne peuvent pas se permettre. Selon le calcul d’Uniterre, une exploitation produisant en moyenne 120’000 kilos de lait par an perdrait 230 francs par jour en cessant de livrer.
Face à son père qui se voyait payer 1 franc, ou «même plus», le litre de lait et qui pouvait vivre sans devoir compter chaque centime, Alexandre Galley parle de combat lorsqu’il évoque son métier.
«Aujourd’hui, on doit se battre avec les prix, les nouvelles normes, l’administration et la gestion. Tout est devenu plus compliqué. Sans les paiements directs, on pourrait mettre la clé sous le paillasson.»
Comme beaucoup d’agriculteurs l’ont déjà fait. La société de laiterie locale comptait une trentaine de membres du temps de Michel Galley. La moitié avait cessé d’exercer lorsqu’Alexandre était en formation. Il fait aujourd’hui partie des trois derniers producteurs de lait du village.
swissinfo, Carole Wälti
En Suisse, la grève du lait a débuté mercredi dernier.
Les producteurs suisses ont emboîté le pas à leurs collègues européens. L’Allemagne, l’Autriche et la Belgique ont été particulièrement touchées.
Parti de Suisse alémanique, le mouvement s’est étendu à la Suisse romande. Il a été de plus en plus suivi.
Sur 27’000 producteurs de lait, quelque 10’000 ne livraient plus lundi, au 6e jour de la grève.
L’association BIG-M (Bäuerlichen Interessengruppe im Marktkampf) et le syndicat paysan Uniterre ont joué un rôle moteur dans cette grève.
De son côté, la Fédération des producteurs suisses de lait (PSL) n’a pas lancé d’appel à la grève.
Elle a cependant enjoint les quatre plus gros transformateurs helvétiques – Emmi, Cremo, Elsa et Hochdorf – à augmenter le prix du lait.
Un accord sur le prix du lait a été négocié dans la nuit de lundi à mardi.
Il prévoit une augmentation de 6 centimes par kilo de lait à partir du 1er juillet 2008. Cette adaptation de prix sera valable pour six mois.
Big-M demandait une hausse de 10 centimes dès le 1er juillet, mais, comme Uniterre, l’association revendique un franc par litre de lait afin de couvrir les coûts de production.
La Fédération des producteurs suisses de lait demandait elle une augmentation de 7 centimes.
Le grand distributeur Migros a d’ores et déjà annoncé qu’il répercutera cette hausse sur le prix des produits laitiers. Ils coûteront 8% plus cher dès le 1er juillet.
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