Emmanuel Macron veut faciliter le référendum sans s’inspirer du modèle suisse
Le président français souhaite assouplir le recours au Référendum d’initiative partagée. Un pas vers une démocratie semi-directe à la suisse? On en est loin, estiment plusieurs observateurs.
Les Français auront-ils la possibilité de s’exprimer par référendum au cours du second mandat d’Emmanuel Macron, qui se termine en 2027? Pourront-ils exercer leur droit de vote autrement que lors de scrutins électoraux, ce qu’ils n’ont pas fait depuis 2005 et le référendum sur le traité constitutionnel européen, qu’ils ont rejeté?
Début octobre, le président français faisait un petit geste en direction des partisans d’une démocratie plus directe: le recours au référendum d’initiative partagée (RIP), instauré depuis 2008 mais qui n’a jamais donné lieu à un vote populaire, doit être facilité, estimait Emmanuel Macron.
Pour l’heure, il faut l’accord d’un cinquième du Parlement et d’un dixième du corps électoral – soit 4,8 millions de personnes! – pour lancer un RIP. Le chef de l’Etat souhaite assouplir ces conditions et élargir l’application de ce référendum, restreinte aujourd’hui aux traités internationaux et à la politique économique, sociale et environnementale. Encore faut-il modifier la Constitution…
Très prudents, ces quelques mots du président ont suffi pour agiter la sphère pro-démocratie directe en France. Celle-ci s’accroît de jour en jour. En 2018-19, pendant la crise des «gilets jaunes», on pouvait lire sur leurs banderoles: «RIC!», pour référendum d’initiative citoyenne, un outil plus ou moins calqué sur l’initiative populaire et le référendum helvétiques, mais donnant de surcroît la possibilité de révoquer un élu.
Parallèlement, de nombreux chercheurs en droit ou en sciences politiques s’intéressent toujours plus à la démocratie directe, participative ou délibérative. Certains d’entre eux se sont retrouvés fin octobre à l’ambassade suisse de Paris pour un débat autour du modèle suisse de démocratie directe, à l’heure où l’on célèbre le 175e anniversaire de la Constitution helvétique de 1848.
«Macron a raté une occasion historique»
«Les instruments de démocratie directe existant en Suisse ne sont pas directement transposables, mais une partie des mécanismes pourrait très bien s’appliquer en France», estime Yves Sintomer, professeur de sciences politiques à l’Université Paris 8 et à l’Université de Neuchâtel. «Emmanuel Macron a raté une occasion historique après la crise des gilets jaunes. A l’instar du Général de Gaulle qui avait instauré l’élection directe du président de la République en 1962, il aurait dû mettre en place le référendum d’initiative citoyenne, en l’encadrant bien sûr. Il avait alors la majorité pour le faire!», se désole Yves Sintomer.
Certes, la France n’est pas la Suisse. L’initiative populaire n’existe pas dans l’Hexagone et le mot «référendum» n’y a pas tout à fait le même sens. «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum», clame pourtant l’article 3 de la Constitution de la Ve République.
Le référendum est donc placé au même rang que le Parlement. Mais un référendum initié, à son bon vouloir, par le président. Charles De Gaulle s’en est servi plusieurs fois, François Mitterrand deux fois, comme Jacques Chirac, la dernière fois en 2005. Et puis, plus rien.
Après 2005, la population s’est sentie «trahie»
«Le référendum de 2005 sur la Constitution européenne avait fait l’objet d’un vrai débat démocratique, rappelle Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Mais l’histoire s’est mal terminée». Le «non» du peuple a dissuadé le pouvoir de recourir à nouveau au référendum. «Et surtout, le Parlement n’a pas tenu compte du ‘non’ en entérinant pour l’essentiel le traité constitutionnel européen, note Loïc Blondiaux. Une partie de la population s’en est sentie trahie.»
Faut-il alors porter ses espoirs sur le Référendum d’initiative partagée, très lointain cousin, un peu estropié, de notre initiative populaire? Un RIP qu’Emmanuel Macron entend ouvrir à des sujets de société notamment – l’immigration par exemple, pour faire plaisir à la droite sans laquelle il ne peut pas gouverner? «Le RIP est une aberration constitutionnelle, tranche Loïc Blondiaux, il a été mis en place dans la Constitution pour ne pas être utilisé.»
>> Comment fonctionne une initiative populaire en Suisse:
Hyper-encadré, presque inapplicable – comme l’ont montré cette année les deux RIP lancés par l’opposition sur la réforme des retraites, rejetés par le Conseil constitutionnel – le RIP ne rend pas sa souveraineté au peuple. La preuve: même si, au terme d’un long marathon, les 4,8 millions de signatures citoyennes sont rassemblées, le Parlement peut se saisir du sujet et en faire ce que bon lui semble. Et exit le référendum.
Le référendum divise même les universitaires
«En France, le peuple est censé être souverain, mais les gouvernants en ont tellement peur qu’ils ne le consultent jamais, déplore Marie Gren, professeure de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Beaucoup de mes collègues universitaires se méfient du référendum, craignant que le peuple ne s’en saisisse pour rétablir la peine de mort, renvoyer les étrangers, etc. Il faudrait l’encadrer bien sûr, empêcher toute remise en cause des droits fondamentaux. Et le désacraliser, comme en Suisse, en ayant recours au référendum régulièrement.»
En France, le mot «référendum» divise même les partisans d’une démocratie plus active. Peut-être parce qu’il est régulièrement mis en avant par le Rassemblement national de Marine Le Pen, situé à l’extrême droite. Peut-être aussi parce qu’il présente un choix binaire, où les arguments démagogiques risquent de l’emporter sur la raison. A la démocratie directe, les activistes ont souvent tendance à préférer la démocratie participative ou délibérative: les conventions citoyennes notamment, permettant d’orienter les choix du Parlement.
Le référendum comme outil politique
«C’est dommage que la France ne s’inspire pas davantage du modèle suisse, note Loïc Blondiaux. Ici, quand vous êtes dans la minorité, vous êtes dépossédé de tout moyen d’agir sur l’agenda politique. Or, le référendum ne donne pas seulement la parole au peuple, il modifie le rapport de forces politique.»
La preuve en Suisse: «Jusqu’aux années 1990, la plupart des initiatives populaires, souvent étrangères à la classe politique, étaient rejetées, pointe l’historien suisse Thomas Maissen, professeur à l’Université de Heidelberg. Depuis une trentaine d’années, les partis, notamment l’UDC et le PS, ont découvert leur utilité.» Les responsables politiques se servent désormais de la «menace» référendaire pour obtenir des concessions sur tel ou tel sujet.
Le modèle helvétique n’en est pas parfait pour autant. Les référendums ont tendance à devenir des instruments de blocage, estime Astrid Epiney, rectrice de l’Université de Fribourg. Conséquence: «Les élus ont parfois peur d’avancer sur tel ou tel dossier, de peur d’être contredits par le peuple.»
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.