«En Afghanistan, un enfant de 8 ans a déjà vu dix fois des cadavres»
Edris, 24 ans, est arrivé en Suisse en juillet dernier après des mois de voyage et de marche. Une odyssée qui lui a fait traverser des frontières et des épreuves avec son petit frère, encore mineur. Ce jeune Afghan s'acclimate doucement à sa nouvelle vie en Suisse où il vient d'obtenir l'asile.
«Chaque fois que tu vas en ville, à chaque instant, il y a un risque d’attentat», témoignait Edris vendredi dans l’émission Tout un monde. «Chaque fois qu’on entend parler d’une explosion, on appelle toute sa famille pour savoir si tout le monde va bien. Tous les Afghans savent de quoi je parle. En Afghanistan, un enfant de 8 ans a déjà vu dix fois des cadavres.»
Chaque Afghan a une histoire douloureuse et une bonne raison de quitter l’Afghanistan, raconte-t-il. Au sein de sa famille, deux personnes sont mortes. «Mon grand-père, qui était commandant dans l’armée afghane, a été assassiné. Mon oncle a été assassiné sous mes yeux et ceux de mes proches.»
Après cet événement, la famille d’Edris a choisi de quitter l’Afghanistan. «Si quelqu’un travaille pour le gouvernement, dans 99% des cas, il est en danger. Vous avez tous les talibans à vos trousses. J’étais menacé parce que mon père faisait partie des moudjahidines*. Mon grand-père travaillait pour l’Etat afghan. On a reçu des lettres de menace de la part des talibans nous demandant de quitter notre village», relate le jeune homme.
Le départ pour l’Iran
Edris vient de la région de Herat, une ville tout à l’ouest de l’Afghanistan, à une centaine de kilomètres de la frontière iranienne. C’est d’ailleurs est en Iran que toute sa famille a trouvé refuge. Edris y a passé toute sa jeunesse, dans la clandestinité. Il a dû arrêter ses études, faute de papiers. Ses parents ont par la suite décidé de rentrer au pays, mais ils ont été retrouvés par les talibans. Menacés, l’oncle d’Edris a été exécuté en septembre 2019.
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«La majorité des Afghans et des Afghanes n’obtient pas le statut de réfugié en Suisse»
Le jeune homme décide alors de partir. En Turquie, il est séquestré par des passeurs durant vingt jours avec son frère dans une cave. Un endroit pire qu’une prison, décrit-il. Puis vient la traversée de la Méditerranée sur un bateau qui n’en est pas vraiment un, et la Grèce où ils restent une année.
La traversée de l’Europe
S’en est suivi un long chemin vers l’Europe à pied. Des marches de 12, parfois 24 heures avec un passeur, qui guide le petit groupe. «La police en Croatie a vraiment été sans pitié», se souvient Edris. «Mon frère a été tellement battu qu’ils lui ont cassé le pied. Ils prennent les téléphones des migrants, ils les menacent physiquement. Même mon frère, qui était mineur, ils l’ont battu.»
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L’accueil des personnes fuyant l’Afghanistan divise aussi en Suisse
La marche continue jusqu’en Italie, puis en Suisse. Edris a également dû porter son frère. «La peur des talibans reste toujours avec moi et elle sera là jusqu’à la fin», raconte-t-il. «Cette peur, elle n’existe pas qu’en moi. Tous les Afghans la ressentent. Maintenant que je suis en Suisse, ce n’est pas la même peur. Le stress et l’angoisse sont moins présents. Cela diminue un peu.»
En Suisse, Edris espère reprendre une vie normale, des études. Il avoue prendre encore des médicaments pour dormir, mais il rêve de devenir architecte ou ingénieur en génie civil.
*Troupes du célèbre commandant Massoud, les moudjahidines, ont combattu les Russes pendant l’occupation soviétiques, puis les talibans à leur arrivée au pouvoir en 1996.
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