«Je tombe amoureuse d’une personne et pas d’un genre»
Aimer une personne avant d’aimer un homme ou une femme. C’est la philosophie de Runa Wehrli. A 18 ans, elle se définit comme bisexuelle et en parle ouvertement. Une orientation assumée et bien acceptée par son entourage mais pas toujours pris au sérieux par la société.
Que signifie LGBTIQ ?
L’acronyme LGBTIQ est un sigle utilisé pour désigner les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer et intersexuées. Avec le temps d’autres termes sont également apparus pour définir les diverses orientations sexuelles et identités de genre.
Derrières ces lettres se trouvent toutefois des histoires de vie, des parcours parfois tortueux parfois simples mais tous uniques. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer un portrait à chaque terme qui compose l’acronyme. Nous souhaitons ainsi donner la parole aux personnes LGBTIQ et évoquer avec elles leurs rêves, leurs acquis et leurs revendications. Une série qui s’insère dans un débat de société au cœur de l’actualité, à découvrir au cours des prochaines semaines sur swissinfo.ch
Sur son chapeau noir sont placées d’anciennes lunettes d’aviateurs métallisées. Un style qui ouvre la porte de l’univers créatif de Runa Wehrli. A 18 ans, la jeune fille est passionnée de théâtre, de jeux de rôle grandeur nature et de dessin. Sur les réseaux sociaux, elle se présente tantôt déguisée en elfe, tantôt portant des chapeaux aux formes diverses ou dévoile des cheveux teints en bleu.
Si Runa se glisse volontiers dans la peau de personnages fantastiques et imaginaires, elle a aussi appris à se connaître elle-même. Pour preuve, l’assurance et la maturité avec laquelle elle décrit ses sentiments. Elle considère que l’amour ne doit pas se heurter aux barrière érigées par la société: «Je tombe amoureuse d’une personne et pas d’un genre.»
Un principe qui pour elle a toujours été clair et qu’elle n’a pas eu peur d’appliquer. «Les trois premières personnes dont j’ai été amoureuses étaient des garçons, puis un jour, j’ai eu un coup de foudre pour une fille.» Des sentiments qu’elle a acceptés et spontanément partagés avec sa famille. «Nous avons toujours parlé ouvertement des relations. Je ne vois donc pas pourquoi j’aurais dû leur cacher le fait que j’étais amoureuse.»
Ses parents n’ont jamais considéré comme un problème le fait qu’elle ait une relation avec une fille ou un garçon. «Comme j’ai grandi dans une famille ouverte, je n’ai jamais vraiment dû faire un coming out. Je me suis contentée de parler avec mon entourage de ma vie sentimentale», note-t-elle. Jusqu’en janvier dernier, Runa était en couple avec une fille. «Mes parents étaient contents pour moi. Par contre, je crois que la famille de ma copine n’a pas vraiment compris. Ils ont pensé que nous étions des amies proches.»
Faut-il un jour décider?
Actuellement célibataire, celle qui vient d’obtenir sa maturité (baccalauréat) continue à laisser la porte ouverte à l’amour, refusant de lui assigner un genre. «Au début, ma mère m’a tout de même demandé: ‘Ne penses-tu pas que tu devrais faire un choix’? J’ai répondu que non et elle a compris.» La jeune fille estime que la société donne trop d’importance aux catégories: «Avant d’être des hommes ou des femmes, nous sommes des êtres humains. Même si demain, je rencontre l’homme ou la femme de ma vie et que je reste dans une relation monogame pour le restant de mes jours, cela ne voudra toujours pas dire que j’ai choisi.»
«Je crois que lorsqu’on est sûr de soi et qu’on s’accepte, c’est plus facile pour les autres de comprendre.»
Runa Wehrli
Que ce soit à l’école, à la maison ou à travers ses loisirs, elle n’a jamais tenté de cacher son orientation sexuelle. Même si elle a grandi dans le canton campagnard et conservateur de Glaris, elle n’a jamais subi de discrimination ou été la cible d’homophobie. «Je crois que lorsqu’on est sûr de soi et qu’on s’accepte, c’est plus facile pour les autres de comprendre. Il y a beaucoup de choses dont je ne suis pas sûre dans la vie mais mon orientation sexuelle est une chose dont je ne doute pas», analyse-t-elle.
La bisexualité, pas toujours prise au sérieux
Runa s’apprête à partir à Berlin pour suivre des cours de théâtre durant trois mois. Peut-être un tremplin pour réussir à entrer dans l’une des écoles qui lui permettrait d’entreprendre une formation de comédienne.
Le milieu artistique est particulièrement ouvert, notamment sur les questions d’orientation sexuelle, a-t-elle remarqué. Son monde est ainsi constitué de personnes tolérantes et compréhensives. Elle se considère comme «chanceuse» car elle est consciente que ce n’est pas toujours le cas: «A l’école, j’ai tout de même remarqué que certains de mes camarades considéraient la bisexualité comme quelque chose de spécial, même s’ils étaient tolérants.»
Les réactions négatives ou l’incompréhension, elle les a aussi expérimentées. Elle se souvient notamment du commentaire désobligeant d’une passante qui l’a vu embrasser son amie en sortant du cinéma. Ce ne sont que des mots mais ils peuvent tout de même blesser. «Si ce type de réactions étaient venues de personnes proches, les choses auraient été plus difficiles pour moi», imagine-t-elle.
Dans une société qui classe, catégorise, évalue en permanence, les personnes qui refusent de choisir entre hommes et femmes peuvent déranger ou déconcerter. «Le principal problème est que je ne suis parfois pas prise au sérieux. Au sein même de la communauté LGBTQI, certains ne comprennent pas, pensant que je ne suis ni vraiment hétéro, ni vraiment homo», constate Runa. Et puis, il y a ces hommes qui croient que bisexualité signifie qu’ils peuvent avoir deux filles dans leur lit. D’autres personnes lui ont dit qu’elle finira par trouver «l’homme dont elle a besoin».
Elle s’est aussi heurté à l’opinion de ses grands-parents. «J’ai essayé de leur expliquer mais je crois que j’ai échoué. Ils pensent que je suis trop jeune et que cela me passera», raconte-t-elle, estimant qu’il s’agit d’un problème générationnel.
Une affaire privée
Des réactions qui touchent la jeune fille, elle qui espère voir arriver le jour où les différentes orientations sexuelles seront traitées comme quelque chose de «normal». En Suisse, cela doit commencer par l’introduction du mariage pour tous, affirme-t-elle, constatant que beaucoup de pays européens ont déjà franchi le pas. «La sexualité ne devrait même pas être un sujet politique. C’est une affaire privée, chacun devrait pouvoir faire librement ce qui le rend heureux.»
Les médias ont, selon elle, également un rôle à jouer. Aujourd’hui, elle constate qu’il est encore nécessaire d’évoquer les minorités sexuelles pour attirer l’attention sur les inégalités. Néanmoins, dans son monde idéal, «il y aurait des films dans lesquels le personnage principal serait bisexuel, sans que cela ne soit le sujet principal.»
«Mourir… dormir, dormir! peut‐être rêver», écrit-elle au-dessous de l’un des dessins qu’elle publie sur son compte Instagram, citant Shakespeare.
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