Passation de pouvoir pour le job le plus difficile du monde
Le Jordanien Zeid Ra'ad al Hussein termine à la fin du mois son mandat de Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l'homme. Il sera remplacé par Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili après avoir subi la répression et la torture sous la dictature du général Pinochet.
«Michelle Bachelet assumera l’une des tâches les plus difficiles au monde à un moment où les droits humains font l’objet d’attaques généralisées. En tant que victime elle-même, elle apporte un point de vue unique sur l’importance d’une défense vigoureuse des droits de l’homme», réagissait au début du mois Kenneth RothLien externe, directeur de l’organisation Human Rights Watch.
En guise de conseil à la nouvelle élue – un choix confirmé par l’Assemblée générale de l’ONU le 10 août -, Zeid Ra’ad al Hussein a déclaré qu’il fallait «être honnête, ne pas faire de discrimination envers un quelconque pays et être prêt à ferrailler».
Une formule qui va comme un gant au Jordanien. Tout au long de son unique mandat de 4 ans, Zeid al Hussein s’est rendu célèbre pour son franc-parler, pointant régulièrement les violations des droits humains dans le monde entier et n’épargnant aucun gouvernement ni aucun chef d’Etat.
Zeid al Hussein a accusé le président américain Donald Trump d’être «un danger pour l’humanité», qualifié le Premier ministre hongrois Viktor Orban de «raciste», tout en suggérant «une évaluation psychiatrique» du président philippin Rodrigo Duterte.
« L'oppression fait son retour. La répression est à nouveau à la mode », — le Haut-Commissaire des Nations Unies aux @UNhumanrightsLien externe, Zeid Ra’ad Al Hussein, dont le mandat s’achève ce mois-ci. Son entretien avec @ONUinfoLien externe 👇 https://t.co/zTjLxuu00wLien externe
— Nations Unies (ONU) (@ONU_fr) 15 août 2018Lien externe
Tout en se mettant à dos certaines des grandes puissances, le Haut-Commissaire a gagné l’estime des défenseurs des droits humains dans le monde entier. «Il a été incroyablement franc à un moment très difficile», relève Louis Charbonneau, représentant à l’ONU de Human Rights Watch.
Travail solitaire
Pour ne pas devoir marchander des soutiens, Zeid al Hussein a décidé de ne pas se présenter pour un autre mandatLien externe. Mais bien qu’il ait créé des précédents par son franc-parler, chaque Haut-Commissaire aux droits de l’hommeLien externe s’est attiré les foudres d’une série de dirigeants. Mary Robinson (1997–2002) a irrité la Chine en étant la première à ce poste à se rendre au Tibet, et l’administration Bush pour avoir laissé entendre que sa «guerre à la terreur» menaçait de compromettre les normes en matière de droits de l’homme. Une critique également formulée par Louise Arbour (2004-2008), qui déclarait que «la guerre contre le terrorisme a infligé un sérieux revers à l’agenda international des droits de l’homme».
Navi Pillay (2008-2014) est entrée en conflit avec le gouvernement du Sri Lanka pour avoir dénoncé les atrocités commises à la fin de la guerre contre la guérilla des Tigres tamouls, et d’Israël pour avoir critiqué ses offensives contre Gaza.
Pour beaucoup, le fait d’être impopulaire parmi les gouvernements est le signe que le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a fait son travail correctement. «Le Haut-Commissaire doit dire des choses qui sont impopulaires, il ou elle n’est pas dans ce travail pour éviter les problèmes», souligne Louis Charbonneau. Isha DyfanLien externe, responsable des actions internationales de plaidoyer d’Amnesty International, ajoute: «Zeid al-Hussein est une voix forte, indépendante et de premier plan pour les droits humains dans le monde. Il nous manquera beaucoup.»
Zeid Ra’ad al Hussein s’est mis à dos les dirigeants arabes et leurs soutiens occidentaux en n’épargnant aucune critique à leur encontre https://t.co/mRb1bbjZgsLien externe pic.twitter.com/vDbiOTWPqyLien externe
— Middle East Eye Fr (@MiddleEastEyeFr) 12 août 2018Lien externe
La candidate parfaite?
Aujourd’hui, c’est donc au tour de Michelle Bachelet de remplir cette tâche très difficile. L’ancienne présidente socialiste du Chili est le premier choix du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et pour nombre de gouvernements et de groupes de défense des droits de l’homme, elle pourrait être la candidate parfaite: comme ancienne présidente, elle connaît bien la diplomatie internationale et nombre de dirigeants.
Son histoire personnelle ne peut que la rendre particulièrement sensible aux victimes d’atrocités. Michelle Bachelet et sa mère ont été arrêtées peu après le coup d’Etat du général Pinochet en 1973. Jetées en prison et torturées, les deux femmes ont dû s’exiler à leur libération. Quant à son père, le général Alberto Bachelet, il est mort à 51 ans dans une prison militaire.
Mais sera-t-elle aussi directe que Zeid? Candidat pour ce poste, le Suisse Nils Melzer – rapporteur spécial de l’ONU sur la torture – déconseille d’adopter le «style brutal» de Zeid.
«La prochaine Haut-Commissaire doit comprendre que la défense des droits humains ne consiste pas à attaquer les gouvernements, a-t-il écrit. Ce n’est pas un exercice visant à attribuer un blâme.»
Un argument qui ne convainc par Louis Charbonneau. Selon ce familier de la scène onusienne, c’est le Secrétaire général de l’ONU qui a besoin de compétences diplomatiques, et pour réussir, il a besoin d’un Haut-Commissaire aux droits de l’homme à la voix forte.
Isha Dyfan d’Amnesty International ajoute que Michelle Bachelet «arrive à un moment critique pour la communauté des droits humains. A l’approche du 70e anniversaireLien externe de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les libertés qui y sont consacrées sont menacées dans le monde entier.»
Switzerland warmly welcomes @michelebacheletLien externe to #genevaunLien externe as new #UNHCHRLien externe. Promoting and protecting human rights must remain a priority. pic.twitter.com/g0sHIb6sDjLien externe
— SwitzerlandUN (@swiss_un) 10 août 2018Lien externe
Adapté de l’anglais par Frédéric Burnand
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