L’économie suisse guette la fin des sanctions contre l’Iran
L'accord sur le programme nucléaire iranien n'est pas encore sous toit. Mais les représentants de l’économie fourbissent déjà les armes, prêts à investir ce nouveau marché prometteur dès que l'embargo sera levé. Une délégation suisse se rend à Téhéran en avril.
L’accord conclu à Lausanne entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne, (G5+1) et Téhéran accroît les chances qu’un traité définitif voie le jour d’ici fin juin qui mette fin à la controverse sur le nucléaire iranien. Mais les cercles diplomatiques ne sont pas les seuls à retenir leur souffle.
Les représentants de l’économie de plusieurs pays occidentaux cherchent à reprendre contact – en passant parfois par les canaux officiels – avec ce pays exclu de tous les processus politiques et économiques depuis des années, sur pression des Etats-Unis. Ce n’est pas étonnant.
L’accord sur le nucléaire iranien
Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne, ont conclu un accord de principe début avril à Lausanne avec l’Iran.
Téhéran a accepté de limiter l’étendue de son programme nucléaire et de le soumettre à une surveillance internationale, afin de démontrer son caractère pacifique. En contrepartie, il a obtenu la levée des sanctions à son encontre.
Cet accord servira de base à un traité définitif, qui doit être négocié d’ici fin juin.
(Source: ats)
L’Iran compte près de 80 millions d’habitants, dont une bonne partie sont des professionnels bien éduqués, ainsi qu’une classe supérieure aisée. Ses immenses réserves de gaz et de pétrole représenteront également une opportunité économique de taille, une fois les sanctions levées.
La Suisse n’est pas en reste. Le Secrétariat d’Etat à l’économieLien externe (SECO) s’est mis en tête de soigner ses relations avec la république iranienne. En avril, une délégation de représentants de l’économie se rendra à Téhéran, sous la direction de l’ex-ambassadeur de Suisse en Iran, Livia Leu, pour évaluer le potentiel représenté par ce pays.
Prendre la température
«Nous aimerions en savoir plus sur la manière dont le gouvernement iranien pense procéder d’ici à l’issue des négociations et comment il appréhende la fin des sanctions», indique la déléguée du Conseil fédéral aux accords commerciaux, qui a représenté les intérêts de la Suisse à Téhéran jusqu’en 2013. La diplomate ne se prononce pas sur la composition de la délégation, si ce n’est pour préciser qu’elle comprendra «des collaborateurs du SECO, de l’association faîtière economiesuisseLien externe, ainsi que des représentants d’entreprises issues de plusieurs secteurs.»
Sur place, elle s’entretiendra avec des ministres, des représentants de diverses autorités et des acteurs du monde des affaires. Pour les représentants de l’économie suisse, il est important de rencontrer des entrepreneurs iraniens: cela leur permettra de mieux comprendre le climat des affaires qui prévaut dans ce pays et de juger s’il existe des débouchés pour leurs produits et services. «Il vaut toujours mieux se rendre sur place pour se faire une idée d’un marché», note Livia Leu.
On retrouve la même discrétion face aux questions des médias auprès des rares entrepreneurs qui ont continué à faire des affaires avec la République islamique durant l’embargo. Il s’agit essentiellement de l’industrie pharmaceutique et alimentaire, ainsi que d’une partie du secteur horloger et des machines qui n’étaient pas directement concernés par les sanctions.
Mystérieux trafic des paiements
Ce ne sont pas que des petites et moyennes entreprises. Les géants comme Nestlé, Holcim ou Novartis sont également présents en Iran. Un représentant du groupe pharmaceutique bâlois fera d’ailleurs partie de la délégation helvétique. Il possède un bureau sur place.
«Nous avons conclu un accord avec une société locale, qui gère la production et la vente de nos produits», confirme la société. Novartis s’engage pour «permettre aux patients iraniens d’avoir accès à des médicaments, dans le strict respect des sanctions économiques et des règles édictées par les Etats-Unis, l’Union européenne et la Suisse».
La firme n’ a en revanche pas voulu se prononcer sur la façon dont elle gère le trafic des paiements avec un pays qui est exclu du système international de transactions interbancaires SWIFT. «Nous ne fournissons pas de détails financiers», dit-elle.
Economie «assoiffée»
Bühler AG, dont le siège se trouve à Uzwil, dans le canton de Saint-Gall, est représenté en Iran sans interruption depuis 1976. «En plus du siège principal à Téhéran, nous exploitons également une unité de production à Astara. Cette présence locale nous permet de servir nos clients de façon optimale», écrit l’entreprise fondée il y a 150 ans, qui commercialise des moulins et des machines destinées à l’industrie alimentaire en Iran.
La société, qui emploie plus de 10’000 personnes sur le plan mondial et vend aussi des composants automobiles, ainsi que des produits destinés à l’industrie de l’emballage et électronique, ne communique pas non plus sur son trafic des paiements avec l’Iran.
Le directeur de la filiale de Bühler à Téhéran, Sharif Nezam-Mafi, se trouve également à la tête de la chambre de commerce irano-suisse, qui compte parmi ses membres la plupart des entreprises helvétiques installées en Iran. Elle recevra la délégation du SECO.
«Le régime des sanctions a endommagé l’économie de ce pays riche», a-t-il dit à la correspondante de la radio SRF. La levée de l’embargo aurait pour effet de permettre de rapatrier en Iran quelque 100 milliards de dollars, issus de l’exportation de pétrole, qui sont actuellement gelés sur des comptes bancaires à l’étranger. «L’économie iranienne est assoiffée d’investissements», a poursuivi Sharif Nezam-Mafi. Celle-ci est en grande partie contrôlée par l’Etat et consumée «par la corruption et le népotisme», a-t-il toutefois reconnu.
Embargo sélectif
L’embargo a causé beaucoup de tort au pays, admet également son pendant helvétique, Hassan Akbarzadeh, interrogé par swissinfo.ch. Né en Iran, il vit depuis 40 ans en Suisse, où il dirige la chambre de commerce helvético-iranienne, dont le siège se trouve à Zurich depuis 1976.
«Les sanctions ont surtout affecté les personnes qui étaient déjà défavorisées, indique cet ancien vendeur de tapis, qui retourne régulièrement en Iran. Elles ont augmenté la pauvreté, alors que les couches aisées de la population ont été moins touchées.»
Globalement, la plupart des Iraniens ont cependant vu leur vie privée et professionnelle devenir plus complexe et onéreuse, selon Hassan Akbarzadeh. «Comment faire, par exemple, pour envoyer de l’argent à ses enfants qui étudient à l’étranger, lorsque aucune banque ne veut effectuer un transfert bancaire depuis l’Iran?», interroge-t-il, en s’appuyant sur sa propre expérience. Très souvent, le simple fait d’entretenir un rapport avec ce pays suffit pour être traité comme un criminel par ces institutions, lorsqu’on se rend au guichet ou qu’on les appelle.
La plupart des paiements passent donc par des Etats tiers comme Dubaï ou la Turquie, précisent les deux chambres de commerce. Mais ils restent assujettis au bon vouloir des banques. La Banque cantonale zurichoise a un temps autorisé les transactions financières avec l’Iran, selon la chambre zurichoise. Mais «elle s’est entièrement retiré du marché iranien à partir de 2010, en raison des sanctions décrétées par l’Union européennes et l’ONU», a-t-elle assuré à swissinfo.ch.
Avec nous ou contre nous
Le trafic des paiements reste le principal obstacle aux échanges avec l’Iran, confirme Livia Leu, du SECO. Même si la Suisse et l’UE ont adopté des sanctions moins lourdes que le régime mis en place par les Etats-Unis durant les 35 dernières années, l’embargo décrété par Washington influence néanmoins indirectement les relations économiques entre la Suisse et l’Iran. Du point de vue américain, les entreprises doivent se décider entre faire des affaires avec la République islamique ou avec les Etats-Unis.
Les banques suisses en particulier ont pris ce facteur en compte dans leur analyse des risques. «La plupart ont rompu tous leurs liens avec des établissements iraniens, même avec ceux qui ne se trouvent pas sur la liste des sanctions», fait remarquer la diplomate helvétique.
Contourner la corruption
La corruption représente un autre défi pour les entrepreneurs qui veulent faire des affaires avec l’Iran. Le pays occupe la 144e place sur 177 de l’Indice de perception de la corruptionLien externe de Transparency. «Il s’agit d’un phénomène mondial, dit Livia Leu en réponse à une questions sur la façon d’investir en Iran sans enfreindre la loi. Des directives ont été développées dans le cadre de l’OCDE pour éviter la corruption. Le SECO recommande aux entrepreneurs suisse de s’appuyer sur celles-ci pour leurs affaires internationales.»
Les sanctions contre l’Iran
Le gouvernement suisse a mis en oeuvre dès 2007 les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, et introduit des sanctions contre l’Iran. En 2011, il a adapté ce régime de mesures coercitives à celui adopté par son plus important partenaire commercial, l’Union européenne. En 2012, il les a renforcées et en 2014, il les a ponctuellement suspendues.
Ces restrictions concernent principalement la livraison et l’approvisionnement en armement, en technologies et en biens à double usage (civil et militaire). L’interdiction porte aussi sur la livraison de certains produits pétroliers, gaziers ou issus de l’industrie pétrochimique, ainsi que sur les diamants.
Les services financiers ou autres prodigués en lien avec ces industries sont également prohibés. Les fonds de certaines personnes, entreprises et organisations ont par ailleurs été gelés.
(Source: SECO)
L’Iran a après tout ratifié la Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Celle-ci permet d’obtenir relativement aisément un jugement d’arbitrage de la part d’un tribunal situé dans le pays de son partenaire économique. Ce qui facilite le dépôt d’une plainte en cas de rupture de contrat et maximise les chances d’une résolution positive.
Symbole de l’égalité
Les intérêts économiques seront au premier plan du voyage de la délégation suisse à Téhéran, indique Livia Leu, interrogée sur la possibilité que la question des droits humains soit abordée lors des entretiens avec les Iraniens. Mais comme elle connaît bien le pays, elle n’exclut pas que d’autres thèmes soient aussi soulevés.
«De façon générale, les relations entre la Suisse et l’Iran ont de nombreuses facettes, et les droits humains font bien sûr partie des thèmes importants abordés lors des rencontres officielles», détaille la diplomate, qui dit ne pas s’être sentie désavantagée en Iran en tant que femme. «Les Iraniennes m’ont souvent dit à quel point elles appréciaient le fait que la Suisse ait envoyé une femme à Téhéran, car cela représente un symbole fort en faveur de l’égalité entre les sexes», conclut-elle.
(Traduction de l’allemand: Julie Zaugg)
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