La débâcle du «modèle Dubaï» touche aussi la Suisse
Une semaine après la révélation de l'abysse financier qui menace de faire péricliter l'émirat de Dubaï, la place financière helvétique prend la mesure de cette nouvelle crise financière qui vient troubler les premières éclaircies de la reprise économique.
Quelques semaines après le lancement du métro de Dubaï – le plus long système de transport automatisé sans chauffeur au monde – et quelques semaines avant l’inauguration du plus grand gratte-ciel de la planète, le Burj Dubaï (le 4 janvier prochain), la cité-Etat dubaoïte, haut-lieu de la démesure, voit ses rêves de grandeur tourner au cauchemar.
L’annonce, il y a un peu plus d’une semaine, d’une demande de moratoire de six mois déposée par le gouvernement de Dubaï pour faire face à sa dette de 59 milliards de dollars, provoquait une onde de choc sur les marchés, tant la crainte d’une propagation planétaire était vive. Les bourses asiatiques réagissaient particulièrement mal à l’annonce.
Et alors que la crainte s’atténue peu à peu, en Suisse, des analystes révèlent avoir tiré la sonnette d’alarme auprès de leurs clients au printemps déjà.
«La situation était alors déjà très claire. Les entreprises de construction ne réglaient plus leurs factures et les conglomérats d’Etat commençaient à liquider d’importantes réserves de valeurs. Ce qui a poussé les investisseurs à chercher au plus vite une voie de sortie», explique le fondateur de Baer Capital, Mike Bär, dont la société financière zurichoise dispose d’un siège à Dubaï.
Déconfiture de l’immobilier
Des propos confirmés sur les ondes de la Radio suisse romande, lundi soir par Agnès Arlandis, responsable du secteur pays émergents de la banque HSBC à Genève: «En mars, le secteur immobilier accusait une baisse de 30% déjà et aujourd’hui il est de 50%!». La dégringolade de ce fleuron n’est donc pas une surprise pour la spécialiste qui rappelle que Dubaï vit sous perfusion financière grâce à l’intervention de l’émirat voisin d’Abu Dhabi.
«Dix milliards de dollars avaient déjà été injectés au début de l’année, et 5 milliards ont à nouveau été alloués le 25 novembre dernier», rappelle-t-elle. Résultat: aujourd’hui, la dette du pays oscillerait (pas de chiffres officiels fournis par l’Etat de Dubaï) autour des 90 milliards de dollars, soit plus de 100% du montant du PIB.
Un trou creusé notamment par le conglomérat d’Etat Dubaï World, à raison de 25 milliards de dollars et par le géant de l’immobilier Nakheel avec 3,5 milliards de dollars (et dont on attend l’annonce de défaut de bien le 14 décembre prochain).
Pour Didier Cossin, professeur à l’IMD, «les frais d’infrastructure ont été extraordinaires. Une crise réelle aura des impacts au-delà de la région, notamment vers le sous-continent», indique-t-il.
Capitaux étrangers
Après un premier vent de panique, les banques – helvétiques notamment – ont eu le temps d’estimer les prêts accordés à Dubaï et de constater que la casse serait relativement limitée.
Le montant des capitaux suisses engagés sur place avoisinerait les 4,6 milliards de dollars, soit un dixième environ des sommes investies par les banques britanniques dans le petit émirat.
Pour les valeurs financières, le Crédit Suisse et UBS ont vite souligné que le risque d’un défaut de paiement n’était «pas substantiel» et «insignifiant».
« Mais les entreprises suisses de constructions seront touchées à terme », prédit encore le banquier zurichois. Ces dernières, et parmi elles, Holcim, Sika et Geberit, assurent néanmoins que leur chiffre d’affaire dubaïote est «marginal».
Surenchère de luxe
De fait, le cheikh Mohammed ben Rachid el-Maktoum, a délibérément misé sur l’immobilier, le tourisme de luxe (inventant les hôtels 7 étoiles) et la finance, pour doper l’essor de sa principauté. Une stratégie qui a fait de ce mouchoir de poche un véritable Eldorado pour les architectes du monde entier, «parce que tout y est possible».
De Tadao Ando à Frank Gehry, de Jean Nouvel et Zahad Hadid, les ambitions de grandeur et de démesure de cet Etat-confetti ont attiré tel un aimant irrésistible les plus grands créateurs de la planète.
Des concours qui n’ont pas manqué d’attirer aussi des architectes suisses, comme Valerio Olgiati (Prix béton 2009) ou les Lausannois Sébastien de Rham et Ursula Xirinachs, qui ont signé le projet «Acacias Avenue», dans le quartier des affaires de Dubaï. Et les acquéreurs suisses attirés par la vie au pays des Mille et une Nuits ne sont pas en reste, comme Roger Federer, qui possède un luxueux loft de 600 m 2 à un jet de pierre de la Marina de Dubaï.
Outre ses projets pharaoniques comme la construction d’îles artificielles en forme de palmiers ou de la plus haute tour du monde, l’émirat a développé des services de santé, des universités et des installations sportives. Mais pour de nombreux observateurs, le cheikh Mohamed aurait fait l’erreur de confondre gestion d’entreprise et gestion d’un pays.
Tour de vis
A cela s’ajoute que l’aide apportée par le grand voisin d’Abu Dhabi (les cheikhs de Dubaï et d’Abu Dhabi sont cousins) pourrait aussi avoir pour conséquence de rigidifier les règles en vigueur dans le plus libéral des sept émirats du Golfe.
C’est notamment ce qu’a pu observer le banquier Mike Bär: «Depuis ce printemps, les investisseurs immobiliers étrangers ont vu leur permis de résidence établi habituellement pour plusieurs années, à une durée de trois mois seulement».
Les visiteurs et les habitués redoutent que le style de vie à l’occidentale affiché à Dubaï ne soit bientôt qu’un lointain souvenir.
Une passation de pouvoir pourrait effectivement être envisagée à terme, selon Didier Cossin. «Car si le pétrole continue à des cours élevés, la région n’aura pas de problème à absorber la situation de Dubaï, même s’il s’agira de transférer le pouvoir dans la région».
Nicole della Pietra, swissinfo.ch
Après avoir alloué une aide d’urgence de 10 milliards de dollars au début de l’année à Dubaï, le gouvernement d’Abu Dhabi a réinjecté 5 milliards de dollars le 25 novembre dans les comptes de son voisin.
Ce même jour, le petit émirat arabe demandait un moratoire de six mois pour le règlement de 59 milliards de dollars. Lundi 30 novembre, les bourses de Dubaï et d’Abu Dhabi piquaient une nouvelle fois du nez.
L’annonce de l’incapacité de Dubai World, le conglomérat qui a piloté l’expansion immobilière du petit émirat, à rembourser ses créances, a été faite à la veille de la fête musulmane de l’Aïd et juste avant la fête nationale des Emirats arabes unis (EAU), ce 2 décembre. Les médias locaux ont presque entièrement passé sous silence la nouvelle.
Le flou règne sur les actifs qui sont possédés personnellement par la famille régnante, ceux qui sont contrôlés par le gouvernement et ceux qui sont simplement soutenus soit par la famille régnante soit par le gouvernement.
En comparaison des pertes provoquées par le crash du géant américain Lehman Brothers avec 600 milliards de dollars, ou les pertes essuyées par les marchés financiers depuis le début de la crise (1’300 milliards de dollars, selon le FMI), la dette de Dubaï, estimée à 80-90 milliards dollars reste relativement «modeste».
Selon une étude du Crédit Suisse, près de la moitié de la dette de Dubaï, soit environ 40-45 milliards de dollars est financée par des banques européennes.
L’exposition des banques suisses ne devrait pas dépasser les 4,6 milliards de dollars, ce qui correspond à moins d’un dixième des capitaux engagés par les banques britanniques.
En matière de commerce, l’importance de Dubaï resterait aussi très relative selon les experts. Seul 1,3% des exportations helvétiques sont destinées au Emirats arabes unis et la Confédération n’importe que 0,2% de marchandises de cette région.
Dubaï est l’un des sept émirats arabes unis (EAU) du golfe et le seul qui ne produit pour ainsi dire pas de pétrole (seul 5% de son PIB).
En 2006, le pétrole représentait moins de 10% du PIB, alors qu’il comptait encore pour 30% en 2003 et 45% à la fin des années 80.
Le dirigeant de Dubaï, l’émir Mohammed ben Rachid el-Maktoum, est le vice-président et le ministre de la défense des Émirats arabes unis. Dixième représentant de la dynastie bédouine Maktoum, il est aussi le tenant d’un islam tolérant et moderne.
Son projet a suscité la controverse au sein des pays du Golfe car il inclut la construction à marche forcée de villes nouvelles dans le désert grâce à des travailleurs et des financements étrangers. Aujourd’hui, il est fortement remis en question.
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