La justice française impose une caution monstre à UBS
La justice française a confirmé lundi la très lourde caution d'1,1 milliard d'euros (1,3 milliard de francs) imposée à UBS dans l'enquête sur un blanchiment présumé de fraude fiscale. UBS avait fait recours contre ce montant.
UBS est accusée d’avoir encouragé des clients français fortunés à placer une partie de leur argent en Suisse. La caution doit être versée avant le 30 septembre. Elle correspond à 42,6% de la dernière année de bénéfice après impôt d’UBS et à 2,8% de ses fonds propres.
«C’est un signal très fort adressé aux banques, estime Eric Vernier, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Cela fait longtemps que des commerciaux suisses démarchent en France pour des services d’évasion fiscale. Mais jusqu’à récemment, les cautions et les condamnations portaient sur de petits montants, quelques dizaines de milliers d’euros au plus. »
L’exemple BNP Paribas
Tout change aujourd’hui. Les montants exigés par la justice, en France et surtout aux États-Unis, sont directement corrélés avec le manque à gagner pour les fiscs nationaux. Rappelons que la justice américaine a contraint la banque française BNP Paribas à payer la somme rondelette de 8,9 milliards de dollars pour avoir contourné l’embargo décrété par les États-Unis sur certains pays. Un montant «négocié» dans le cadre d’une procédure de plaider coupable.
Et Credit Suisse a pour sa part écopé d’une amende de 2,8 milliards de dollars pour avoir aidé des clients américains à contourner le fisc.
«En ces temps de crise, les Etats ont besoin d’argent, note Eric Vernier, qui s’apprête à publier «Fraudes fiscales et paradis fiscaux» aux éditions Dunod. Et ce genre de sanctions feront réfléchir les banques: ce qu’elles gagnent d’un côté en aidant les contribuables à frauder le fisc, elles vont le perdre de l’autre.»
Fin juin, après la dure sanction infligée aux États-Unis à BNP Paribas, les deux parties renonçaient à tout arrangement dans le cadre de la procédure de plaider coupable. L’amende de 8,9 milliards de dollars et l’aveu de culpabilité de BNP Paribas aux Etats-Unis ont fait l’effet d’un choc à Paris.
«La France n’avait pas plus intérêt à négocier avec la banque helvétique, estime M. Vernier : un arrangement aurait été extrêmement mal vu par l’opinion publique, surtout en ces temps de ″ras-le-bol fiscal ″»
Décision politique?
Dans une prise de position publiée lundi, UBS se dit «extrêmement déçue» de cette décision, qui ne prend pas du tout en compte les arguments invoqués par la banque lors de l’audition. Elle persiste à estimer qu’il s’agit d’un procès «hautement politisé», qui, depuis le début de l’enquête, n’a pas respecté les principes de l’Etat de droit.
UBS va donc recourir auprès de la Cour de cassation. La banque va également contester la procédure judiciaire auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.«Pourquoi ne demande-t-on pas une telle caution au Crédit agricole, qui avait pourtant des pratiques similaires? s’interroge l’avocat fiscaliste suisse Philippe Kenel. Le problème, c’est que l’on juge à l’aune de la sensibilité actuelle des faits survenus il y a dix ans, quand tout le monde savait ce qui se passait et quand ces pratiques étaient tolérées.»
Trois ans de procédure
Mars 2011 Une note anonyme est envoyée à l’Autorité de contrôle prudentiel, qui supervise les banques et les assurances françaises. Sans doute rédigé par d’anciens salariés d’UBS, le document décrit dans le détail la stratégie de rabattage des chargés d’affaires de la banque et le rôle de sa filiale française.
Avril 2012 une information judiciaire est ouverte pour «démarchage bancaire ou financier par personne non habilitée et blanchiment de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide d’un démarchage illicite, commis en bande organisée».
Mai 2013 UBS est mise en examen pour «démarchage bancaire illicite». Il est reproché à UBS d’avoir incité de riches Français à placer des sommes non-déclarées en Suisse.
Juin 2013 L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), gendarme des banques, inflige une amende de 10 millions d’euros à UBS France, pour « laxisme » dans le contrôle de pratiques commerciales susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale.
De 2003 à 2010 au moins, des dizaines de chargés d’affaires suisses employés par UBS auraient clandestinement démarché de riches contribuables français pour les inciter à placer leur argent chez UBS Suisse.
D’après plusieurs anciens cadres d’UBS France, les commerciaux comptabilisaient leurs transactions dans d’informels «carnets de lait». Les contacts se faisaient souvent dans le cadre d’événements sportifs ou mondains.
UBS France a déjà été condamné à payer une amende de 10 millions d’euros pour «laxisme» dans le contrôle de pratiques commerciales susceptibles de relever du blanchiment de fraude fiscale.
D’autres banques seront touchées
«Beaucoup de banques ont du souci à se faire, estime Me Kenel. Le démarchage sans autorisation des clients français était pratiqué à l’époque par d’autres banques suisses, mais aussi par de nombreuses banques françaises qui ont des succursales en Suisse.»
Dans la foulée de la France, d’autres Etats européens pourraient entamer des poursuites. UBS est déjà empêtrée dans plusieurs affaires d’évasion fiscale, en Belgique et en Allemagne.
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