La recherche suisse sur le cancer pourrait «booster» l’immunothérapie
L’immunothérapie est présentée comme le nouvel espoir contre de nombreux cancers. Des groupes de recherche suisses trouvent des moyens de la rendre plus efficace. Mais leurs découvertes peinent à parvenir jusqu’aux malades: la procédure d’autorisation des traitements est lente.
Des miracles médicaux peuvent se produire. Au cours de la dernière décennie, de nombreux patientes et patients atteints d’un cancer en phase terminale et ayant suivi un traitement expérimental par immunothérapie ont vu leur tumeur disparaître ou entrer en rémission. En bref, l’immunothérapie offre une «aide à s’aider soi-même». Au lieu d’attaquer directement les cellules cancéreuses, comme c’est le cas avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, l’immunothérapie vise à stimuler et à renforcer le système immunitaire des patientes et patients pour que ce dernier reconnaisse les cellules cancéreuses, les détruise ou du moins empêche leur croissance.
Des expériences et essais cliniquesLien externe ont montré que l’immunothérapie des cancers peut prolonger la vie des malades, car leur système immunitaire apprend à détecter et à attaquer les cellules cancéreuses si elles réapparaissent. Cette «mémoire immunologique» les aide à vivre plus longtemps sans cancer. En outre, la thérapie provoque moins d’effets secondaires, car elle ne cible pas toutes les cellules de l’organisme, mais uniquement le système immunitaire.
Néanmoins, les immunothérapies échouent encore chez environ deux tiers des patientes et patients cancéreuxLien externe. Elles ne peuvent agir que sur certains types de tumeurs. De nombreuses personnes ne répondent pas du tout à l’immunothérapie et, si tel est le cas, les effets sont temporaires. Les scientifiques s’interrogent encore sur les raisons de cet échec. Mais, en Suisse, un groupe de recherche pourrait avoir trouvé une piste.
Vers un marathon continu
L’une des explications est que les cellules T – un sous-type de globules blancs qui joue un rôle clé dans la reconnaissance et l’attaque des cellules cancéreuses – se fatiguent trop. Elles perdent leur capacité à stopper la progression d’une tumeur, alors qu’elles l’identifient et luttent contre les cellules cancéreuses. Connu sous le nom d’«épuisement des cellules T», le phénomène constitue l’un des principaux obstacles à l’immunothérapie du cancer. Le problème du dysfonctionnement métabolique signifie que les cellules T s’épuisent nettement plus vite qu’elles ne peuvent être régénérées, de sorte qu’elles n’ont pas la faculté d’être transformées en combattants efficaces contre le cancer, explique Li Tang, professeur associé en immuno-ingénierie à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Pour revitaliser les cellules T épuisées, des chercheuses et chercheurs de Leman Biotech, une spin-off de l’EPFL, ont mis au point une protéine booster qui peut être ajoutée aux traitements d’immunothérapie. Li Tang, cofondateur de Leman Biotech, décrit avec humour ce mécanisme comme une «remise en forme métabolique des cellules T». Actuellement, les immunothérapies stimulent les cellules T par différentes stratégies et accélèrent leur métabolisme pour attaquer les cellules cancéreuses, «tout comme on offre continuellement à une personne du Red Bull et de la caféine pour qu’elle continue à courir plus vite dans un sprint de 100 mètres, ce qui l’épuise très rapidement», explique Li Tang.
Son équipe, en revanche, étudie comment conserver les lymphocytes T au frais et maintenir leur métabolisme dans un état équilibré, comme s’ils couraient continuellement un marathon. La protéine qu’elle a développée y contribue. Des essais précliniques sur des sourisLien externe ont montré un taux de guérison de près de 90% lorsque cette protéine était utilisée conjointement avec les formes d’immunothérapie anticancéreuse les plus répandues, à savoir la thérapie cellulaire T adoptive et les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire.
La thérapie cellulaire T adoptive – également connue sous le nom de thérapie par cellules CAR-T – renforce la capacité naturelle des cellules T des patientes et patients à combattre le cancer. Les cellules immunitaires sont prélevées sur la tumeur et celles qui sont les plus actives contre le cancer sont sélectionnées, cultivées en grandes quantités et réintégrées dans l’organisme des patientes et patients.
Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire sont, eux, des médicaments qui permettent aux cellules immunitaires de combattre plus fortement le cancer en bloquant les liaisons des points de contrôle immunitaire. Ceux-ci servent à vérifier si une cellule est anormale ou saine. La protéine artificielle mise au point par la spin-off de l’EPFL agit comme un booster permettant d’améliorer l’efficacité thérapeutique.
Du laboratoire à la clinique
La protéine stimulant l’immunothérapie n’est qu’une des récentes avancées dans la réorientation du système immunitaire contre le cancer. Selon un récent éditorial publié dans la revue universitaire Nature CancerLien externe, il existe actuellement des dizaines d’immunothérapies approuvées et des milliers d’essais cliniques en cours chez l’être humain à travers le monde entier, la plupart des essais portant sur des tumeurs solides. L’immuno-oncologie, un marché de 30 milliards de dollarsLien externe, continue de croître. Mais seule une proportion limitée de patientes et patients (de 15 à 30% dans la plupart des tumeurs solides à 45-60% dans le mélanome par exempleLien externe) répond aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI). Ainsi, de nombreuses personnes ne bénéficient donc d’aucune amélioration.
Sur le site clinicaltrials.govLien externe, qui regroupe des informations concernant les études cliniques passées, en cours et prévues dans le monde entier, plus de 800 essais de thérapie par cellules CAR-T sont enregistrésLien externe, dont beaucoup sont axés sur les tumeurs solides. Or, seules cinq thérapies à cellules CAR-T ont été approuvées par la Food and Drug Administration américaine pour certains cancers du sang, dont la leucémie, et 90% des patientes et patients traités rechutent. Aucune thérapie à cellules CAR-T n’a encore été approuvée pour les tumeurs solides.
Le développement de l’immunothérapie du cancer en Suisse est similaire à celui des États-Unis, selon Pierre-Yves Dietrich, qui dirige le département d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Le professeur souligne que les scientifiques suisses considèrent également les cellules CAR-T et d’autres types de cellules immunitaires comme les stratégies thérapeutiques les plus prometteuses contre le cancer.
Jusqu’ici, six traitements à base de cellules CAR-T ont été autorisés par Swissmedic, l’autorité de réglementation des produits thérapeutiques. Toutefois, Alex Josty, porte-parole de Swissmedic, reste prudent quant au concept et à l’efficacité de l’immunothérapie: les traitements à base de cellules CAR-T autorisés sont «destinés à renforcer l’immunité, mais cela ne correspond pas véritablement à la définition établie de l’immunothérapie oncologique», relève-t-il.
Yves Dietrich souligne, pour sa part, que l’immunothérapie n’en est qu’à ses débuts et rappelle que les premiers agents chimiothérapeutiques mis au point dans les années 1950 n’étaient pas aussi efficaces que les médicaments modernes. Il s’attend à ce que le développement de l’immunothérapie du cancer suive une courbe similaire et lente, mais demeure optimiste. «De nouvelles compositions et stratégies viendront nourrir l’espoir pour les années à venir», déclare-t-il.
Un processus d’approbation prudent… et lent
Swissmedic observe une hausse significative des demandes d’autorisation d’essais cliniques de diverses immunothérapies, en particulier des essais avec des lymphocytes d’infiltration tumorale (TIL). Du reste, par rapport aux États-Unis ou au Japon, qui ont mis en place des mécanismes pour accélérer le processus d’examen et d’approbation des thérapies à cellules CAR-T, Swissmedic semble être plus prudent lorsqu’il s’agit d’introduire de tels traitements dans les essais cliniques. «Les médicaments d’immunothérapie du cancer sont des produits très complexes et à haut risque», explique Alex Josty. Au cours de la procédure d’autorisation, Swissmedic évalue les données des tests précliniques de manière très minutieuse et établit le rapport bénéfices/risques pour les patientes et patients qui souffrent d’une maladie sous-jacente et ont éventuellement déjà reçu d’autres traitements.
Entre-temps, Leman Biotech a réussi à réunir suffisamment de fonds pour lancer les essais cliniques et déposé des brevets internationaux pour sa nouvelle thérapie. «Nous avons déjà passé cinq ans à effectuer des études précliniques sur des souris pour démontrer la faisabilité», indique Li Tang. Mais, en raison de la complexité et de la longueur de la procédure d’approbation, il faudra probablement attendre plusieurs années avant que la protéine mise au point par Leman Biotech n’entre en phase clinique chez l’être humain. Au vu de ces conditions, Li Tang et ses collègues envisagent de mener les essais en Chine.
Yves Dietrich convient que les processus d’approbation des immunothérapies anticancéreuses sont complexes en Suisse, mais gérables. «Nous n’avons jamais eu autant d’avancées en si peu de temps, et cette tendance va se poursuivre au cours de la prochaine décennie. L’équilibre entre la protection des patientes et patients et l’accès rapide aux nouveaux traitements est délicat», conclut-il.
Lu et vérifié par Sabrina Weiss et Veronica DeVore / traduit de l’anglais par Zélie Schaller
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