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La régulation à petits pas du secteur bancaire

Aux Etats-Unis, Barack Obama envisage une réduction de la taille des banques. Keystone

La crise financière et le renflouement de banques ont conduit les autorités à initier le chantier de la régulation. Obama s’est récemment profilé sur ce terrain. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, constatent, critiques, les économistes Charles Wyplosz et Sergio Rossi.

«C’est assez extraordinaire, trois ans après le démarrage de la crise, on en est toujours aux propositions, ironise Charles Wyplosz, professeur à l’Institut de hautes études et du développement à Genève.

Les choses se sont accélérées en 2009, selon lui, avec la création du Conseil de stabilité financière et la remise en route du comité de supervision des banques, tous deux à Bâle. A ce stade, leurs propositions sont discutées. Aux Etats-Unis aussi, Obama vient juste de lancer la machine avec une série de propositions à usage interne «qui influent sur le débat» international.

Le président américain souhaite séparer la haute finance et la prise de risque de l’activité de dépôts et de prêts bancaires au commun des mortels. Il veut aussi, en filigrane, réduire la taille des banques. Autrement dit, éviter que les banques «too big to fail» ne soient «too big».

«Avec ses propositions formulées de manière vague, on veut revenir au schéma où les banques sont des banques et pas des établissements financiers. C’est très joli dans la théorie, beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. Il faudra voir à quoi les Américains parviennent…», note Charles Wyplosz.

La Suisse, pour une fois, est en avance. «Plus de capital, une réduction de l’effet de levier [donc de la prise de risque des banques]: ces recommandations essentielles de Bâle sont déjà en place en Suisse.»

Avec ses mastodontes

Avec ses deux mastodontes bancaires (UBS et Credit Suisse), la petite Suisse est dans une position particulière. «Une situation extrêmement périlleuse, juge Charles Wyplosz. On est passé à côté de la catastrophe avec UBS». La question «hautement politique» est donc posée: la Suisse peut-elle s’offrir deux banques de cette taille?

«La sortie d’Obama va donner du courage aux gens qui ont des idées. Il va y avoir débat en Suisse aussi. Mais je n’ai aucune visibilité sur la manière dont cela se règlera au niveau politique.»

Sur le plan des nouvelles règles, «la Suisse est en meilleure position que le reste du monde», confirme Sergio Rossi, professeur d’économie à l’Université de Fribourg. Mais il craint que cela ne suffise pas. «Davantage de fonds propres, une politique plus restrictive des bonus: établir ces règles il y a cinq ou dix ans ne nous aurait pas évité une crise très similaire à celle de ces trois dernières années».

Pour Sergio Rossi – hormis Obama qui montre la voie avec des mesures structurelles – les régulateurs de la planète manquent la cible. «On fait de la cosmétique populiste, on ne s’attaque pas au fond du problème, par incompréhension et en raison des intérêts particuliers.»

Réguler les banques à travers les bonus ne rime pas à grand-chose sur le plan économique, note par exemple Charles Wyplosz. «L’opinion publique réclame vengeance. Mais les bonus sont un symptôme, pas une cause. Et les banquiers, qui sont des gens très innovants, trouveront de nombreux moyens de contourner les limites sur leurs bonus.»

Une comptabilité raffinée

Une banque peut prendre des risques pour son propre compte, reprend Sergio Rossi. Ses dirigeants doivent répondre devant les actionnaires. Et devant la justice en cas d’actes illicites. Mais elle ne doit pas poser de problème pour l’ensemble du système financier et, au-delà, économique, comme le montre la crise actuelle. «Il faut l’en empêcher par une politique qui agit sur les structures, pas simplement sur les comportements.»

Deux minutes de concentration. Les banques ont deux activités séparées: elles créent de la monnaie, elles peuvent aussi octroyer des crédits. Actuellement, les autorités de contrôle n’ont pas la possibilité de distinguer ces deux domaines. La comptabilité ne le permet pas techniquement.

«Il n’est donc pas possible d’identifier le crédit bancaire surabondant, qu’il faudrait empêcher, parce qu’il ne repose pas sur une production de valeur ajoutée.» Ce crédit bancaire surabondant va pourtant tôt ou tard créer une bulle promise à l’explosion, sur le marché des actifs réels (immobilier notamment) ou financiers (produits structurés, actions et autres).

La solution prônée par Sergio Rossi passe donc par une structure comptable raffinée, dans chaque banque, qui permette de séparer ce qui est création de monnaie et ce qui est octroi de crédit. Et qui permette au gendarme financier d’intervenir en cas d’abus. Une réforme déjà appliquée en 1844 en Angleterre pour la banque centrale…

«C’est la question du mélange entre banques d’affaires et banques de dépôts [dont la séparation est une piste du mouvement de régulation actuel], non pas sous l’angle des comportements, mais des structures comptables sous-jacentes.»

Muscler le gendarme

Sur la nécessité de réguler, Charles Wyplosz et Sergio Rossi sont d’accord, après la piqûre de rappel de la crise actuelle. Mais contrairement aux banques, ils ne jugent pas absolument nécessaires d’imposer des règles globales et identiques partout sur la planète. D’autant que cette exigence permet surtout de freiner le mouvement.

Mais réguler, pour les deux économistes, nécessite de muscler les gendarmes financiers, qui ont «une responsabilité écrasante dans la crise», selon Charles Wyplosz. Dans certains pays, il faut même les repenser et renforcer leur indépendance face au gouvernement.

En Suisse, la Finma, «dramatiquement sous-staffée», doit surtout pouvoir obtenir davantage de moyens et engager plus d’économistes.

«On l’a autorisée à offrir des salaires plus élevés, on verra si cela est suffisant, lance le professeur genevois. Mais globalement, le problème n’est pas résolu. Quand les superviseurs embaucheront les meilleurs banquiers en leur offrant des salaires comparables aux banques, on aura un outil efficace. Un sumotori doit faire le poids face à son antagoniste.»

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Bonus. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont décidé d’une ponction unique de 50% sur les bonus des banquiers, histoire de rembourser au contribuable une partie de l’argent investi dans les plans de sauvetage et la relance.

En Suisse, le gendarme des marchés financiers (Finma) a introduit cette année des directives pour réduire les bonus excessifs et lier ce type de rémunération à des objectifs à long terme – distribution sur trois ans, bonus/malus, plafonnement de l’enveloppe des bonus.

Fonds. Précédant le Conseil de stabilité financière et le Comité de Bâle, la Finma a rehaussé en 2008 ses exigences en matière de fonds propres pour contraindre UBS et Credit Suisse surtout à mettre de côté davantage de capital en prévision des temps difficiles.

D’autant que ces banques sont dites «too big to fail» ou systémiques, l’Etat étant contraint de les sauver pour éviter un effet de dominos.

Trancher. Le patron de la Banque nationale suisse propose que sa banque ou la Finma puisse séparer les unités saines des unités à problème des deux grandes banques afin d’éviter la faillite et sauvegarder le système financier. Une bonne idée difficile à mettre en pratique, juge Sergio Rossi.

Assurance. Aux Etats-Unis, la présidence a mis en chantier deux plans. Le premier prévoit que les institutions financières paient une sorte d’assurance qui viendrait remplacer l’argent des contribuables en cas de renflouement futur.

Séparation. Les «règles Volcker», elles, doivent forcer les banques à réduire leur prise de risque. Elles prévoient l’interdiction fait aux banques de placer leur propres avoirs sur les marchés et d’investir dans des fonds spéculatif et de capital-investissement.

La place financière suisse génère 11,6% d’un PIB totalisant 540 milliards de francs en 2008. Elle emploie directement 6% de la population active.

Le pays compte plus de 320 banques, sans compter les succursales d’instituts étrangers. Elles emploient à elles seules plus de 121’000 personnes.

Les banques ont généré 5,057 milliards de francs de recettes fiscales en 2006 et 595 millions en 2008 (sans compter les bénéfices imposables distribués dans le secteur bancaire, le droit de timbre et l’impôt anticipé).

En 2006, les recettes fiscales fédérales, cantonales et communales ont totalisé 67,2 milliards de francs.

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