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La stratégie des «amis du secret bancaire»

Keystone

La Suisse, le Luxembourg et l'Autriche ont lancé, dimanche, la riposte aux menaces d'établissement de liste noire des paradis fiscaux. Ces trois pays qui connaissent le secret bancaire «exigent» d'être consultés par le G20 sur les critères de la liste.

«Les débats au sujet du secret bancaire sont menés dans des enceintes dont nous ne faisons pas partie, comme par exemple le G20. Nous exigeons qu’on nous ouvre les portes de ces enceintes pour voir comment on va établir la liste des paradis fiscaux.»

Ministre luxembourgeois du Trésor, Luc Frieden, a dévoilé dimanche, la stratégie des trois pays qui appliquent le secret bancaire en Europe, mais qui sont menacés de se retrouver sur la liste noire de l’OCDE.

Face à la menace brandie par plusieurs pays du G20, France et Allemagne en tête, d’élargir cette liste à des pays «non coopératifs», sur des critères «non plus seulement de droit, mais aussi de pratique» dit on à Paris, le Luxembourg, la Suisse et l’Autriche veulent être entendus et réclament que l’on mette fin aux «attaques médiatiques et aux pratiques qui ne sont pas conformes à celles de la diplomatie».

«Nous regrettons que certains pays parlent d’oasis fiscaux, sans avoir mené de débats sur les critères définissant les paradis fiscaux», déclare Luc Frieden.

«Jusqu’à présent il manquait une plate-forme pour nous exprimer. Nous l’avons désormais, et nous exigeons le dialogue avec le G20», ajoute Hans-Rudolf Merz, qui estime «avoir de bonnes chances d’être entendu» par les dirigeants qui siègent au G20 – ce qui n’est pas le cas des trois pays réunis dimanche au Château de Senningen,à Luxembourg.

Stratégie en quatre volets

La stratégie des défenseurs du secret bancaire commence donc à prendre forme.

Première volet: influencer les discussions au sein des enceintes qui établiront les critères de la liste noire. Dans le G20, mais aussi dans l’Union Européenne. Ce sera le rôle du Luxembourg et de l’Autriche. Les ministres des Finances de l’UE se retrouvent d’ailleurs deux fois avant le G20 du 2 avril pour établir une position commune. «Nous allons expliquer à nos partenaires allemands et français notamment que nous appliquons les règles internationales», indique Luc Frieden.

Deuxième volet: défendre le principe du secret bancaire. «Ce n’est pas le secret bancaire qui a déclenché la crise actuelle», rappelle Luc Frieden. «Dans toutes les grandes enceintes internationales, que ce soit au FMI ou au Financial Stability Forum, nous sommes à la tête de toutes les initiatives internationales pour lutte contre la discrimination fiscale», reprend Hans-Rudolf Merz qui rappelle la philosophie du secret bancaire: «Nous avons conclu que les trois pays doivent se retrouver ensemble pour préserver la sphère privée contre toute immixtion».

Troisième volet: ouvrir la porte à des concessions, que l’on souhaite à minima, mais que l’on sait inévitables. «Nous lançons un signal clair: nous maintenons le secret bancaire mais nous sommes prêts au dialogue», lance le ministre autrichien Josef Pröll. La concession suisse est déjà sur la table: «J’accepte de discuter de la différence entre fraude et évasion fiscale», lâche le président de la Confédération.

Quatrième volet: lancer une contre-offensive. «Le secret bancaire est un aspect de la question, mais il y en a d’autres: les comportements fiscaux néfastes ou dangereux de certains pays, lance Hans-Rudolf Merz. Nous avons aussi des questions à ceux qui nous en posent. Je n’accuse personne publiquement, je ne fais pas de procès par médias interposés, comme eux nous font.»

Luc Frieden cible par exemple le Royaume-Uni: «Le système britannique où les grandes fortunes ne sont pas imposées est-il un modèle pour l’Europe?» Il y a quelques jours, Jean-Claude Juncker, Premier ministre luxembourgeois, ironisait: «Je m’étonne de ne pas avoir vu de liste sur les dizaines de paradis fiscaux au sein de l’Union, comme la Corse par exemple.»

Autres pistes

La Suisse explore aussi d’autres pistes, qu’elle emprunte seule. Vendredi dernier, une délégation de banquiers suisses, menée par son président, Urs Roth, qui fait aussi partie du groupe d’experts qui fera des recommandations au Conseil fédéral, s’est rendue à la Commission Européenne pour rencontrer, à sa demande, plusieurs chefs d’unité qui s’occupent de fiscalité et de finances.

«Il fallait expliquer les récents événements, comme l’affaire UBS, mais aussi la position suisse sur le secret bancaire», raconte un témoin.

La Suisse et ses partenaires ont moins d’un mois pour convaincre. Se retrouver sur une liste noire «ne serait pas catastrophique», reconnaît Hans-Rudolf Merz, mais ce serait «très difficile, raison pour laquelle nous devons tout mettre en œuvre pour éviter d’en arriver là.»

swissinfo, Alain Franco, Luxembourg

Le 2 avril à Londres, les pays riches du G20 plancheront sur le fonctionnement et la transparence du système financier international à la lumière de la crise récente et sur les paradis fiscaux.

Aux Etats-Unis et au sein de l’UE, le secret bancaire et les pratiques liées à l’évasion fiscale de la Suisse, du Liechtenstein, de l’Autriche, du Luxembourg et de la Belgique sont attaquées.

La France menace de demander l’inscription de la Suisse sur une liste noire du G20. Elle a aussi critiqué le Luxembourg qui, avec l’Autriche et la Belgique, est l’un des trois pays de l’UE à pratiquer le secret bancaire.

En vue du sommet de Londres, Paris et Berlin ont aussi proposé que les pays du G20 rompent les conventions bilatérales avec les pays «non coopératifs».

Le chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg (binational tchéque et suisse) a déclaré dans la presse dominicale que l’indépendance et la tradition d’un Etat neutre comme la Suisse comptent davantage que quelques millions d’euros d’impôts.

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