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La Suisse recrute ses top managers à l’étranger

Etranger ou suisse, la compétence reste un critère d’embauche determinant. Keystone

Managers et cadres étrangers sont devenus légion dans les entreprises suisses. Loués pour avoir contribué à améliorer les performances de l’économie nationale, ils sont aussi accusés de bafouer les valeurs suisses. Tour d’horizon.

Le rapport 2011 du bureau de recrutement Guido Schilling estime à 45% la part des dirigeants étrangers dans les entreprises suisses. Et elle pourrait dépasser 50% d’ici à 2015.

La Suisse bénéficie déjà depuis longtemps des compétences d’entrepreneurs d’origine étrangère. L’Allemand Henri Nestlé ou encore l’immigrant libanais Nicolas Hayek (Swatch) ont ainsi apporté une contribution énorme à l’économie helvétique.

Les arguments économiques qui expliquent cette affluence semblent convaincants. Avec un marché domestique très limité, les entreprises suisses doivent chercher profits et croissance à l’étranger pour rester compétitives. Or une expansion vers de nouveaux marchés nécessite des compétences multinationales.

En outre, cette expansion génère aussi de l’emploi en Suisse, et de nombreuses entreprises se plaignent de ce que la main d’œuvre locale ne suffit pas à pourvoir ces nouveaux emplois très qualifiés.

La grogne

Depuis 2002, l’ouverture des frontières aux travailleurs de l’Union européenne a contribué à combler ce manque de main d’œuvre. Particulièrement grâce à l’arrivée de milliers d’Allemands qui ont occupé des postes qualifiés, y compris des postes de cadre.

«Les entreprises suisses sont réellement ouvertes, estime Jim Pulcrano, directeur exécutif de l’IMD (école de management) de Lausanne. Si vous apportez les bonnes compétences et que vous faites quelques efforts pour vous adapter à l’endroit où vous travaillez, vous serez accepté.»

«L’essentiel de la croissance économique à venir ne va pas se faire en Europe, poursuit-il. Du coup, pourvoir les postes de direction avec des personnes talentueuses et multinationales positionne bien la Suisse pour l’avenir.»

Mais tout le monde n’est pas forcément heureux de voir des dirigeants allemands, français ou britanniques tirer les ficelles au sommet des entreprises suisses. D’où une réaction croissante contre cette influence.

Cette grogne, véhiculée principalement par l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) provient d’un mécontentement plus large contre l’importante population étrangère qui vit en Suisse. Quelque 22% des résidents du pays n’ont pas le passeport à croix blanche, et cette proportion tend à augmenter. Certains dénoncent l’énorme pression que cette immigration croissante ferait peser sur les infrastructures, principalement de transports et de logements.

Depuis peu, la colère s’est focalisée sur les immigrants hautement qualifiés, spécialement des Allemands, très présents dans des secteurs comme la santé ou l’industrie.

Une autre culture

Juste avant la crise financière, on avait sutout peur des étrangers opportunistes reprenant des entreprises suisses. Comme dans le cas de la compagnie aérienne Swiss, vendue au groupe allemand Lufthansa ou de la firme Sulzer & Oerlikon, reprise par le milliardaire russe Viktor Vekselberg.

Certains ont également mis les problèmes rencontrés par UBS et Credit Suisse durant la crise sur le compte de la culture anglo-saxonne, très prisée des deux géants bancaires suisses.

Le manque de sensibilité des managers étrangers a aussi été dénoncé lorsque Novartis a annoncé, fin 2011, la suppression de 1000 emplois en Suisse (une décision plus tard annulée) ou que le propriétaire allemand de la biotech Serono a affirmé il y a peu vouloir cesser la production en Suisse.

«Il y a un danger que les managers étrangers soient trop orientés vers l’international et perdent ainsi contact avec la culture locale des entreprises suisses, déclare Ewald Ackermann, porte-parole de l’Union syndicale suisse. Nous avons déjà vu des exemples des problèmes que cela peut causer avec les programmes de rationalisation infligés à la Suisse.»

Les PME aussi

Mais les managers étrangers n’ont pas forcément besoin de laminer les valeurs traditionnelles des entreprises suisses ou de rudoyer la main d’œuvre locale, estime Jim Pulcrano.

«Les cadres étrangers ne vont pas nécessairement faire prendre un virage à 180 degrés à une entreprise suisse, explique-t-il. L’idée peut être de recruter quelqu’un qui est plus ouvert pour faire des affaires avec les zones de croissance de l’Asie ou de l’Amérique latine. Les entreprises sont ouvertes, mais elles ne vont pas pour autant engager n’importe qui». La compétence reste donc un critère déterminant.

C’est dans les multinationales basées en Suisse que l’on rencontre les plus de managers étrangers. Selon le rapport de Guido Schilling, 66% des dirigeants des entreprises vedettes de la bourse suisse sont étrangers.

Mais ses auteurs estiment que beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) orientées vers l’exportation sont également à l’affût de talents venus de l’extérieur. Responsable de l’institut des PME à l’Université de St Gall, Thierry Volery partage cette analyse.

«Ces entreprises plus petites sont tout à fait pragmatiques, innovantes et opportunistes, souligne-t-il. Etant donné qu’elles étendent leur présence à l’étranger, elles éprouvent le besoin de disposer de davantage de managers qui possèdent le savoir-faire approprié et des compétences en matière de réseautage.»

«Certaines PME peuvent bien recruter des managers étrangers, mais ils ne viendront pas pour rien, poursuit Thierry Volery. Pour d’autres, une alternative plus rentable serait de délocaliser la production à l’étranger.»

A fin 2011, 45% des membres dirigeants des 116 plus grandes entreprises suisses étaient étrangers. Proportion identique à celle de 2010, alors qu’elle était de 36% en 2006 (année du premier rapport du bureau Guido Schilling) et de 32% en 2007..

Selon le rapport, cette stagnation, après des années de progression, n’est pas significative. «En 2014, la majorité des dirigeants sera d’origine étrangère», a déclaré Guido Schilling lors de la présentation du document à Zurich.

Selon l’expert en placement de cadres, il est étonnant que l’économie suisse ait encore pu engager des managers allemands en 2011. «Contrairement aux années 2009/2010, l’économie allemande se porte à nouveau bien.»

De plus, de nombreux médias allemands se sont fait l’écho des critiques émises en Suisse contre «leurs» immigrés.

Deux tiers des 20 entreprises suisses cotées au SMI étaient dirigées en 2011 par un chef étranger. Dans les plus grandes d’entre elles toutefois, ce ne sont pas les Allemands qui dominent, mais les Américains.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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