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La Suisse sur la carte

La première représentation précise d'un paysage européen par Konrad Witz, en 1444. Les Musées d'art et d'histoire de Genève

Chaque carte est une interprétation. Celles qui datent des siècles passés racontent ainsi un peu de l’histoire de ceux qui les ont fabriquées. Un court voyage à travers les cinq cents dernières années de cartographie de la Suisse.

En 1444, plusieurs retables de l’artiste bâlois Konrad Witz ont été installés dans la cathédrale Saint-Pierre de Genève. L’un d’entre eux a probablement capté le regard des fidèles: l’image de Jésus-Christ, devant un lac. Ce n’est toutefois pas cette scène bien connue de la Bible qui a surpris, mais le panorama devant lequel se tenait le Sauveur: une représentation minutieusement élaborée du paysage autour du lac Léman. Le Môle (montagne de France voisine) était reconnaissable, tout comme les villages qui l’entouraient. Il s’agissait de la première représentation de paysage précisément localisée de la peinture européenne.

Redécouverte de Ptolémée

Mais à l’époque, il n’existait pas de cartes exactes. Ce n’est qu’avec l’effondrement de l’Empire romain d’Orient à la fin du XIVe siècle après J.-C. que des connaissances cartographiques sont revenues en Europe.

Selon Hans-Peter Höhener, qui a étudié toute sa vie l’histoire de la cartographie, la cartographie sérieuse est redevenue possible pour la première fois à cette époque. La carte de Ptolémée, en particulier, est devenue un modèle important: elle recensait des indications astronomiques, la longitude et la latitude – «bien que la longitude était encore un peu difficile à mesurer à cette époque».

Le territoire de la Suisse actuelle sur une carte de Ptolémée, un savoir ancien revient en Europe. unibas.ch

Cartes astrologiques-médicales

La première carte réelle de la Confédération suisse a cependant été dessinée par Conrad Türst en 1496. Hans-Peter Höhener explique la motivation de ce dernier par sa profession: «Türst était médecin et, à cette époque, les médecins travaillaient encore beaucoup avec l’astrologie et l’étude des étoiles. C’est pourquoi il a dû procéder à des localisations plus précises, en fonction de la latitude et de la longitude, pour créer des horoscopes et en tirer des options de traitement pour ses patients.» La première carte de la Suisse est donc le produit d’un adepte des horoscopes.

En 1496, le médecin Conrad Türst établit la première carte de la Confédération suisse, pour déterminer les horoscopes de ses patients. Zentralbibliothek Zürich


Au XVIe siècle, les villes de Zurich et Bâle se sont spécialisées dans l’imprimerie de livres et de cartes. Cependant, les cartes de l’ensemble de la Confédération sont longtemps restées rares. Hans-Peter Höhener y voit un lien avec la forme de gouvernement de l’époque: «La Suisse n’était unie que par la Constitution, il n’y avait pas d’autre autorité commune.»

La cartographie est donc souvent restée cantonale, voire locale: «Les cantons urbains s’intéressaient aux cartes, les cantons ruraux, plus pauvres, ne le faisaient pas. Il existait tout au plus quelques cartes des frontières ou des dessins pour les affaires judiciaires, qui représentaient l’endroit d’un litige et servaient à la justice pour trancher.»

Fonction militaire

Les cartes présentaient également à l’époque un intérêt en raison de leur fonction militaire. En 1620, Hans Conrad Gyger a réalisé une carte de la Suisse orientale, commandée par le canton de Zurich. À cette époque, la guerre de Trente Ans faisait rage. Les Zurichois craignaient la Suisse centrale en raison des différences religieuses nées après la Réforme. La carte a servi à des fins stratégiques. «Gyger a fait des suggestions quant au lieu d’implantation des tours de guet et à la manière de diviser la zone après une victoire», dit Hans-Peter Höhener.

Gyger a abandonné la perspective du cavalier, celle que Türst avait mise au point et qui donnait une perspective en diagonale sur le paysage. À la place, il a adopté une perspective aérienne. Son innovation n’a toutefois pas trouvé d’écho à l’époque, car les cartes n’étaient pas censées être rendues publiques. «Les cartes détaillées ont longtemps été un secret d’État. Sur les cartes imprimées, les rues n’étaient pas dessinées. Seuls les ponts y figuraient parfois», explique Hans-Peter Höhener.

En 1683, Gyger a publié une carte de la Suisse mais sa précision ne correspondait pas à son travail militaire. Toute la Suisse y figurait – mais de manière fragmentée: les frontières cantonales et leurs armoiries dominaient la représentation.

Carte de la Suisse par Hans Conrad Gyger à partir de 1683. Ses cartes militaires étaient beaucoup plus précises, mais sont restées secrètes. Universitätsbibliothek Basel

Le territoire nu: la carte Dufour

Au XVIIIe siècle, les techniques de mesure sont devenues de plus en plus scientifiques. «Il y avait des expéditions pour mesurer la longitude et des méthodes de plus en plus précises», développe Hans-Peter Höhener. En France, la profession d’«ingénieur géographe» est née. Des cours et des écoles polytechniques ont été mis sur pied. La cartographie est devenue plus professionnelle et plus détaillée.

Tentes des géomètres à 2400 mètres d’altitude, 1882. Eth-bibliothek Zürich

En même temps, la cartographie est restée une forme de représentation du pouvoir, estime Hans-Peter Höhener: par ce biais, on se montre fier de son territoire. Il n’est donc pas étonnant que le premier relevé cartographique minutieux de la Suisse, réalisé selon les nouvelles normes scientifiques, ait été réalisé au moment de la création de l’État fédéral.

Ce travail a été réalisé par Guillaume-Henri Dufour. Ce dernier a été formé en France et a passé des décennies à travailler avec des scientifiques, des topographes et des graveurs pour créer la carte dite Dufour, publiée entre 1845 et 1865. La carte Dufour représentait pour la première fois une unité nationale, et les différences cantonales y étaient moins importantes.

Sous la direction de Guillaume-Henri Dufour, la carte Dufour a été produite entre 1845 et 1865, la première carte officielle du jeune état fédéral. swisstopo

La popularisation de la carte

Pour le grand public, il existait déjà des cartes nationales, mais elles étaient moins précises. Il y avait notamment un «Atlas Suisse», réalisé par le fabricant de rubans de soie Johann Rudolf Meyer d’Aarau vers 1800. Le siècle des Lumières a également touché la cartographie: ce qui était autrefois un savoir secret est devenu accessible aux civils.

À partir du XVIIIe siècle, les premières cartes sont arrivées dans les écoles, puis dans les atlas. Le tourisme alpin a provoqué un essor de la cartographie civile en Suisse: des cartes de voyage ont été publiées. Lors de sa fondation en 1863, le Club alpin suisse (CAS) a inscrit dans ses statuts qu’il allait contribuer à une meilleure connaissance des Alpes grâce à des excursions, «notamment en termes de topographie, d’histoire naturelle et de paysage».

Keystone / Walter Studer

Le CAS a ensuite fait pression sur la Confédération suisse pour qu’elle publie les cartes Dufour à leur échelle originale. Cela est devenu possible en 1868 grâce à la loi sur la publication des levés topographiques.

Aujourd’hui, la cartographie numérique a pris le dessus. Elle est utilisée quotidiennement. Nous avons même accès à des images satellites. Sommes-nous ainsi au sommet de la cartographie? «Les cartes sont toujours une interprétation. Une photographie n’est pas une interprétation et donc pas une carte», répond Hans-Peter Höhener.

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