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La vérité sur l’origine du coronavirus éclatera-t-elle un jour?

chauve-souris en main de scientifique
Selon de nombreuses études, la plupart des coronavirus qui infectent l'humain proviennent d'animaux, notamment le virus qui a provoqué l'épidémie de SRAS en 2002. Les chauves-souris sont considérées comme les "coupables" les plus probables, car elles sont porteuses d'un virus génétiquement apparenté au SARS-CoV-2. Toutefois, la distance génétique entre le coronavirus de la chauve-souris et le coronavirus humain suggère que le virus a atteint l'homme via un "hôte intermédiaire", tel qu'un pangolin, un vison ou une civette. Copyright 2021 The Associated Press. All Rights Reserved.

Faire toute la lumière sur le virus à l'origine de la pandémie de Covid pourrait s'avérer une mission quasi impossible, tant les enquêtes ont été jusqu’ici compliquées à mener. En Suisse, les virologues penchent plutôt pour la théorie d’une transmission de l'animal à l'humain. Mais la thèse d’une fuite du laboratoire de Wuhan ne doit pas être négligée.

Dans un éditorial publié récemment dans la revue NatureLien externe, des scientifiques qui ont enquêté sur la pandémie dans le cadre d’un mandat de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) redoutent que l’enquête ne touche à son terme.

Pour Isabella Eckerle, virologue et directrice du Centre des maladies virales émergentes aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), «trouver un coupable semble aujourd’hui plus important que de découvrir la vérité». L’un de ses collègues, Didier Trono, qui officie à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), estime pour sa part que cette question est devenue plus politique que scientifique. Virologue renommé, il craint que la vérité n’éclate jamais. De quoi l’inquiéter sur la prévention et la gestion d’épidémies futures.

«Nous devons être prêts à ne pas avoir de réponse définitive en raison des difficultés scientifiques et des imbrications politiques du dossier. Mais jusqu’ici, la probabilité d’une transmission d’animal à humain reste élevée», résume-t-il.

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Des vérités cachées

La quête de l’origine du virus de la Covid-19 a été complexe et émaillée de controverses. La Chine ne s’est jamais montrée à 100% coopérative ni transparente, refusant par exemple l’accès à des données et échantillons complets, a relevé le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus dans une de ses rares critiques envers la ChineLien externe. Selon lui, ce manque de transparence a gêné l’OMS lorsque celle-ci a envoyé en janvier et février derniers à Wuhan, en Chine, une équipe indépendante de scientifiques pour y mener des enquêtes approfondies. D’abord placés en quarantaine pendant deux semaines, les spécialistes n’ont pu dialoguer avec leurs collègues chinois que par chat vidéo, a mentionné l’OMS dans son rapport. Ne restait en définitive plus que deux semaines pour des enquêtes sur le terrain. Un agenda planifié et ficelé à l’avance afin de satisfaire aux exigences et contraintes sanitaires.

Malgré cette collaboration déficiente avec le gouvernement chinois, l’OMS a pourtant écarté l’hypothèse d’une apparition du SARS-CoV-2 due à un accident de laboratoireLien externe. L’OMS qualifie même cette piste d’«extrêmement improbable», mais avoue cependant n’avoir eu en main que des données incomplètes.

Le patron de l’OMS a tout de même dû reconnaître par la suite que cette thèse avait peut-être été mise de côté un peu prématurément. A la tête du groupe de scientifiques qui s’est rendu en Chine, le chercheur danois Peter Ben Embarek a aussi admis récemment que les autorités chinoises avaient à ce moment-là fait pression sur son groupeLien externe afin qu’il abandonne cette théorie.  

A la suite de ces révélations et tenant compte du fait que les données sur ce coronavirus restaient encore incomplètes, des Etats membres de l’OMS – parmi lesquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie – ont vivement critiqué l’OMSLien externe à Genève pour sa négligence. Mais des critiques ont aussi fusé contre la Chine pour avoir dissimulé des données et gêné la coopération. Dans la revue ScienceLien externe, une lettre signée par 17 scientifiques du monde entier, dont l’expert dans l’évolution des virus et professeur à l’Université de Bâle Richard Neher, a enfoncé le clou en mai. Cette lettre exige qu’on poursuive l’enquête objectivement et de manière plus transparente.

Les signataires de cette missive estiment que «les deux théories – celle d’un débordement et de l’accident de laboratoire – n’ont pu être considérées de façon équilibrée», sans pour autant que des résultats concrets viennent étayer ces pistes. «Nous devons prendre ces hypothèses au sérieux tant que nous ne disposons pas d’assez de données», confirme Richard Neher à SWI swissinfo.ch.

Une question de probabilité

L’étude menée par l’OMS a réussi à identifier quatre voies de transmission possibles du coronavirus à partir d’un animal – supposément la chauve-souris fer à cheval – à l’origine ensuite de la contamination chez les humains: 1) une propagation zoonotique (directement des chauves-souris à l’humain, thèse considérée comme probable), 2) l’arrivée de ce virus via un hôte intermédiaire (transfert de la chauves-souris à un autre animal puis à l’humain, thèse très probable), 3) par le biais d’une chaîne alimentaire froide (thèse jugée possible), et enfin un accident de laboratoire, théorie jugée extrêmement improbable.

L’hypothèse d’une contamination par un hôte intermédiaire est jugée très probable, car bien qu’on ait connu par le passé l’existence d’un coronavirus véhiculé par la chauve-souris, animal génétiquement proche du SARS-CoV-2, l’apparition de ce premier virus date en réalité de plusieurs décennies déjà. Une forte probabilité penche donc aujourd’hui pour l’existence d’un «chaînon manquant». Un animal appartenant à une autre espèce qui aurait servi de «pont» entre l’humain et la chauve-souris, précise l’OMS dans son rapport. Des animaux comme le pangolin, le vison ou la civette ont été listés comme hôtes potentiels car sensibles au virus, mais sans que ce pont soit identifié définitivement.

«Il se peut aussi qu’il ne le soit jamais», explique Isabella Eckerle, arguant que le traçage de l’origine d’un virus est un gros défi, qui exige beaucoup de temps. «La recherche peut prendre des années comme ce fut le cas pour le SARS-CoV-1. De plus, ajoute-t-elle, des animaux hôtes peuvent avoir entretemps disparu.»

Lors de l’épidémie de SRAS entre 2002 et 2004, il a fallu aux spécialistes environ quatre moisLien externe pour identifier la civette comme hôte intermédiaire. Mais plus de dix ans pour retrouver la trace de la seule population de chauves-souris fer à cheval encore existante et réfugiée dans une grotte très éloignée. Or celle-ci recelait précisément tous les éléments génétiques du virus. Isabella Eckerle n’est guère surprise des conclusions de l’OMS vu la complexité de l’enquête.     

Ce qui est clair en revanche, c’est que beaucoup de virus qui circulent aujourd’hui sont le résultat de zoonoses, des maladies qui se transmettent de l’animal aux humains et vice versa. Un phénomène qui pourrait s’amplifier en raison des déprédations causées par les humains aux habitats des animaux (déforestation, élevage intensif). Selon la virologue, les incidents en laboratoire sont rares. Elle-même affirme n’avoir jamais eu à en traiter au cours de ses dix ans de carrière, ni en avoir même été témoin lors d’une expérience.

«Il est donc plus aisé de cibler un bouc émissaire. Ce qui évite ainsi d’avoir à admettre que notre mode de vie a pu contribuer à cette pandémie», dit-elle.

L’un des auteurs de la lettre publiée dans la revue Science, Richard Neher, est plus circonspect. S’il reconnaît que les épidémies sont souvent générées par des zoonoses, il rappelle que des incidents de laboratoire se sont déjà produits.  

Lui n’écarte pas cette piste. «Etant donné la présence d’un laboratoire spécialisé sur les coronavirus à Wuhan, cette possibilité ne peut être écartée», affirme-t-il. L’expert souligne également l’absence de preuves contraires. L’Institut de virologie de Wuhan fait partie des nombreux laboratoires qui, à travers le monde, travaillent sur des recherches sensibles sur les coronavirus en conservant une base de données d’échantillonnage et de séquençage des virus.

Selon un rapport des services de renseignement américainsLien externe, trois chercheurs de cet Institut ont eu à subir des soins à l’hôpital en novembre 2019 à la suite de symptômes grippaux. Cette théorie sous-entendrait que des membres du personnel de l’Institut auraient été infectés, ceci en raison d’équipements de protection défectueux sur place ou de mesures de sécurité inadéquates. Le virus se serait ensuite propagé à Wuhan. Mais l’Institut n’a jusqu’ici publié aucun dossier médical permettant de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

Pour Richard Neher, cette théorie aurait pu être écartée si l’hôte intermédiaire avait été identifié. Mais en dépit de toutes les recherches entreprises sur des animaux sauvages ou de ferme qui auraient pu héberger le SARS-CoV-2, «aucun virus de la sorte ou étroitement apparenté n’y a été retrouvé jusqu’à présent».

Conflits d’intérêts et génomes suspects

De nouvelles questions sur une fuite à partir du laboratoire de Wuhan se sont posées, à la lumière d’indices contenus dans l’enquête de l’OMS et compte tenu de la nature même du coronavirus.

Par exemple, la présence à Wuhan de Peter Daszak, président de l’EcoHealth Alliance de New York. Choisi par l’OMS pour enquêter avec d’autres scientifiques «indépendants et neutres», sa place interroge.

En effet, EcoHealth Alliance avait jadis financé les recherches sur les coronavirus menées par Shi Zheng-li, scientifique de renom de l’Institut de Wuhan et surnommée par les médias «Bat Woman» en raison de ses travauxLien externe sur les virus et les chauves-souris. Or aux prémices de la pandémie, Peter Daszak avait signé une lettre, publiée dans la revue LancetLien externe, qui réfutait la thèse de l’accident de laboratoire et incitait les autres scientifiques à en faire autant.

Infectiologue et professeur honoraire à l’Université de Lausanne, Pascal Meylan relève une caractéristique «un peu suspecte» du coronavirus, en lien avec la théorie selon laquelle le virus aurait pu être manipulé avant de s’échapper.  

Non seulement le SARS-CoV-2 présente un site de clivage dans la protéine Spike pour la furine, une enzyme qui coupe les protéines présentes à la surface des cellules humaines, explique Pascal Meylan. Mais il code aussi dans ce site de clivage deux acides aminés arginine en utilisant le codon nucléotidique triplet CGG (c’est-à-dire le langage des acides nucléiques spécifiant les acides aminés). Ce codon est favorisé par les cellules humaines, mais est rarement retrouvé dans les coronavirus propres aux chauves-souris.

Ces caractéristiques pourraient suggérer que le virus ait pu être manipulé en amont en laboratoire, après utilisation de cellules humaines et de souris. Mais nombre de spécialistes des coronavirus réfutent cette théorieLien externe et affirment que plusieurs espèces de coronavirus en lien avec le SRAS possèdent des sites de clivage de la furine. D’autres qualifient cette théorie de «coup fumeux».

«Il ne s’agit pas là d’une preuve, mais la présence de ces deux codons arginine typiquement humains au milieu de codons typiquement coronavirus est un peu suspecte», a déclaré Pascal Meylan à SWI swissinfo.ch.

Alain Meyer

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