Le soleil et le vent poussent sur les terres des paysans
Des toits pour les panneaux solaires, du terrain pour les éoliennes, de la biomasse pour le biogaz: autant d’atouts pour produire des énergies renouvelables à la ferme. Mais cette voie exige encore un certain idéalisme. Exemple avec Christian Weber, paysan des montagnes neuchâteloises.
«Le problème énergétique est devenu tellement important que chacun doit s’en préoccuper. Nous, en tant que paysans, nous avons tout ce qu’il faut pour produire de l’énergie propre», affirme Christian Weber, agriculteur du Val-de-Ruz, dans le canton de Neuchâtel.
Dans cette région du Jura, où il y a souvent un mètre de neige en hiver et où les fermes sont disséminées entre des forêts de sapins, de hêtres et d’érables, les agriculteurs vivent depuis toujours en autarcie énergétique. Les maisons sont certes reliées au réseau électrique et téléphonique, mais elles sont traditionnellement chauffées au bois. Chacune dispose de sa propre source d’eau ou de citernes recueillant l’eau de pluie.
«Dans ce coin, nous sommes plutôt fiers de dépendre le moins possible du pétrole transporté du Moyen-Orient ou de Dieu sait où», souligne le paysan, qui se déplace en voiture électrique.
En Suisse, les énergies renouvelables couvrent un peu plus de 20% de la consommation énergétique totale, mais la plus grande partie de cette part provient de sources traditionnelles: l’eau (13,7%) et le bois (4,20%).
Les «nouvelles» énergies renouvelables (soleil, vent et biomasse) couvrent seulement 2% de la demande totale.
Dans d’autres État européens, en particulier l’Allemagne et les pays scandinaves, le secteur agricole offre un grand potentiel de développement.
Selon une étude d’AgroCleanTech, d’ici à 2030, les agriculteurs pourraient produire 3400 GWh/année d’électricité et de chaleur, soit environ 100 fois plus qu’aujourd’hui.
L’étude voit des possibilités de développement surtout dans le solaire et le biogaz. D’ici à 2030 toutes les fermes pourraient être recouvertes de panneaux solaires et développer 1200 installations de production de biogaz (seulement une centaine actuellement).
«Le virus de l’énergie»
L’isolement favorise l’esprit d’entreprise, qualité qui ne fait pas défaut à Christian Weber. Après son bac, il a décidé de suivre les traces de ses grands-parents, paysans dans le canton de Berne. Il a repéré une ferme dans les montagnes neuchâteloises et s’y est installé avec sa famille, en pleine nature. «Je ne voulais pas travailler dans une région urbanisée, peut-être même à côté d’une autoroute.»
Cela fait déjà quelque temps qu’il pratique l’agriculture biologique, ce qui est plutôt méritoire à plus de 1000 mètres d’altitude. Il y a plus de vingt ans qu’il a mis sur pied un système de ramassage de biomasse et de compost pour les communes du Val-de-Ruz, ce qui lui a valu en 1993 le prix de l’innovation dans le secteur agricole, sponsorisé par l’Union suisse des paysans. Puis, il y a quelques années, il est touché par «le virus des énergies renouvelables», selon ses termes.
«Mon premier rêve était une petite installation éolienne. Et puis je me suis rendu compte que le solaire est beaucoup moins cher et plus facile à réaliser.» C’est ainsi qu’il a recouvert les toits de la ferme de panneaux photovoltaïques. Il produit aujourd’hui suffisamment d’électricité pour alimenter 6 ménages, qu’il revend avec un contrat de vingt ans à l’entreprise électrique de Zurich. «C’est une fourniture virtuelle, car l’électricité est utilisée dans la région. Mais dans une ville comme Zurich, où il y a souvent une plus grande sensibilité pour l’écologie, il y a des clients qui sont disposés à payer un peu plus pour soutenir les énergies renouvelables.»
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«Une petite Ferrari»
Après cette première étape, il décide de faire les choses à plus grande échelle. Avec un ami, il installe 1600 m2 de panneaux photovoltaïques sur le toit d’un manège à Derrière-Pertuis, à quelques kilomètres de sa ferme. «Cette installation, c’est déjà une petite Ferrari. Nous pouvons couvrir la demande d’électricité de 60 ménages», s’enthousiasme l’agriculteur.
Inaugurée l’année dernière, l’installation sera amortie et commencera à être rentable probablement d’ici une vingtaine d’années. «Pour moi, qui n’ai pas de caisse de pension, c’est un peu comme une prévoyance vieillesse, explique Christian Weber. Mais ce n’est certainement pas une affaire en or. Un investisseur qui cherche un bon rendement n’investit pas dans une chose pareille. Un banquier achèterait plutôt des actions d’Apple.»
Aucun chance, d’ailleurs, d’obtenir un crédit bancaire. Pour financer l’installation, il a utilisé ses économies et appelé à l’aide sa famille. Mais il est aussi poussé par la passion et un certain sens des responsabilités. «Nous, les paysans, nous avons le devoir de soigner la terre et de l’utiliser pour produire de l’énergie alimentaire. Mais maintenant, nous pouvons aussi produire de l’énergie électrique et je ne vois pas pourquoi nous ne le ferions pas.»
Depuis 2009, la Confédération promeut la production d’énergie électrique renouvelable avec la Rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC).
Cet instrument, financé par une taxe perçue sur chaque kilowatt/heure utilisé, assure une recette supplémentaire aux producteurs d’électricité «propre».
Dans la pratique, la différence entre le coût de production et le prix du marché est couverte pour une période de 20-25 ans.
À la fin de 2012, 5000 installations étaient soutenues par la RPC, mais environ 30’000 projets ou installations existantes sont sur liste d’attente.
Suite à une initiative parlementaire, la RPC devrait disposer dès l’an prochain de plus grandes ressources financières. Une augmentation de la taxe de0,9 à 1,5 centimes par kilowatt-heure est en effet prévue.
Une nouvelle augmentation jusqu’à 2,3 centimes est prévue par la Stratégie énergétique 2050 du gouvernement.
Un longue liste d’attente
Cette vision est partagée par l’Union suisse des paysans, qui a créé en 2011 la plateforme d’information et de conseil AgroCleanTech, dans le but de promouvoir les énergies renouvelables et l’efficience énergétique parmi les agriculteurs.
«A l’avenir, la production alimentaire doit rester prioritaire en Suisse. Les installations solaires sont par exemple installées sur les toits et pas dans les champs, relève Armin Hartlieb, directeur d’AgroCleanTech. Mais nous sommes convaincus que l’agriculture a aussi un grand potentiel énergétique. Selon une de nos études, d’ici à 2030, nous pourrions produire 2100 gigawatt-heure d’électricité et 1300 GWh de chaleur par an.» C’est plus que toute la production annuelle de la centrale nucléaire de Mühleberg.
Un potentiel peu exploité jusqu’à présent par rapport à des pays comme l’Allemagne, où l’État soutient plus activement le secteur du renouvelable. «Il y a aujourd’hui près de 30’000 projets sur la liste d’attente pour la Rétribution à prix coûtant du courant injecté (RPC). Cette rémunération de la Confédération couvre la différence entre les coûts de production et le prix du marché: il est donc indispensable pour assurer la rentabilité de beaucoup d’installations», souligne Armin Hartlieb. Gouvernement et Parlement veulent maintenant augmenter les moyens à disposition, mais il faudra encore des années avant de satisfaire toutes les demandes.
Nouveau projet
Parmi les installations en attente, il y a aussi celle de Christian Weber. Mais il ne se contente pas d’attendre: il a déjà lancé un nouveau projet pour la construction d’un parc éolien à quelques kilomètres de Derrière-Pertuis, à La Joux-du-Plâne: 12 grandes éoliennes qui devraient fournir de l’électricité à plus de 12’000 ménages. Le projet, auquel ont adhéré une vingtaine d’agriculteurs de la région, sera transmis l’année prochaine aux autorités, mais il a déjà reçu en 2012 le Prix à l’innovation agricole du canton de Neuchâtel.
Les paysans ont déjà réalisé des études de faisabilité concernant la mesure des vents, les routes migratoires des oiseaux, l’impact pour les chauve-souris. Pour le financement (60 à 80 millions de francs), ils ont signé un accord avec la principale usine électrique du canton. «Mais le projet est dans nos mains: nous disposons de 3 sièges sur 5 dans le comité de pilotage», précise Christian Weber.
Le parc éolien devrait s’élever exclusivement sur les terres des paysans intéressés, mais son promoteur s’attend à une longue bataille avec les organisations environnementales, qui s’y opposeront sûrement par recours. «Je me considère aussi comme écologiste, mais parfois j’ai du mal à comprendre les vues de certains. Ils semblent plus préoccupés par les chauve-souris que par les déchets radioactifs ou le changement climatique.»
(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)
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