Le spectacle vivant, grand allié de la nature
Sur les hauteurs de Lausanne, le plus vaste domaine forestier du plateau suisse offre au théâtre un écrin idéal pour l'éveil d’une conscience écologique. Avec le soutien de la Commission européenne, sept metteurs et metteuses en scène internationaux sont invités à monter des pièces réunies sous le titre «Paysages partagés».
Land art: un courant artistique déjà connu. Né à la fin des années 1960, il utilise la nature (bord de mer, montagnes, désert ou oasis) et son matériau (sable, roche, arbres ou fleurs) pour valoriser la terre grâce à la réalisation, par des artistes, de sculptures souvent monumentales. Cet art-là se pratique bien sûr en plein air, ses créateurs ayant voulu quitter les salles des musées pour donner à leurs réalisations une orientation écologique.
Voici maintenant le land art performatif, appliqué au théâtre. Cette expression artistique a pris de l’ampleur avec la pandémie du Covid-19, qui a aiguisé la conscience écologique des metteurs et metteuses en scène et des comédiens et comédiennes. D’aucuns se sont mis à quitter également les salles fermées pour créer leurs pièces au coeur de la nature, offrant à leur public la plus belle des scénographies: un paysage souvent époustouflant.
«Paysages partagés» est d’ailleurs le titre que porte un projet d’envergure, mis sur pied par l’une des deux plus grandes scènes suisses: le Théâtre de Vidy. Sur les hauteurs de Lausanne, au lieu dit Chalet à Gobet, se joue donc depuis le 14 mai sept pièces commandées à sept artistes ou duo d’artistes, suisses et internationaux, qui questionnent notre rapport à la nature, dévoilent la beauté de celle-ci ou au contraire le mal que l’être humain a pu lui faire. Sept pièces données à la file, soit sept heures de spectacle au sein d’un immense domaine forestier vaudois, éclairé par la vaste plaine de Mauvernay.
Les concepteurs de ce projet? Stefan Kaegi, metteur en scène alémanique, fondateur de la compagnie Rimini Protokoll, et Caroline Barneaud, productrice au Théâtre de Vidy. Les deux travaillent depuis plus de deux ans à la réalisation de leur projet, soutenu et financé en partie par un programme phare de la Commission européenne, appelé «Europe créative». La culture en est le moteur.
Privilégier les zones périurbaines
«Les sept pièces proposées conduisent le public à une réflexion sur l’environnement en général, et sur le lieu qui accueille le spectacle, en particulier, explique Caroline Barneaud. Nous avons privilégié dans notre choix les zones périurbaines où l’agriculture se fait de plus en plus une place; où la cohabitation entre espèces humaine, animale et végétale devient concrète. Chalet à Gobet, par où passe une grande route, abrite le complexe de l’École hôtelière de Lausanne et un centre équestre, entre autres. C’est dire le mélange de populations, qui ne sont pas forcément habituées à aller au théâtre et encore moins à observer de près la nature magnifique qui s’offre à eux».
Sensibiliser le public donc. Caroline Barneaud et Stefan Kaegi ont voulu associer à leur projet compagnies et institutions théâtrales ainsi que plusieurs pays d’Europe. «Histoire de mettre en réseau différents partenaires, en travaillant à un niveau à la fois local et international; de créer également un lien culturel entre les pays hôtes», précise Caroline Barneaud.
Après Chalet à Gobet (jusqu’au 18 juin), les artistes et le public se retrouveront en juillet au Festival d’Avignon (France). «Paysages partagés» sera là aussi joué à la campagne, à quelques kilomètres de la Cité des Papes. Ensuite, ce sera l’Allemagne, dans le land très boisé de Brandebourg, près de Berlin, avant une tournée en 2024 qui passera par la Slovénie, le Portugal, l’Autriche, l’Espagne et l’Italie.
Nature et handicap
L’équipe des comédiens et comédiennes change d’un pays à l’autre. Les pièces sont, quant à elles, adaptées à la langue locale. Stefan Kaegi explique: «Nous n’avons imposé aucun canevas aux metteurs en scène, chacun d’eux s’est nourri de sa propre relation à la campagne, et de sa vision personnelle de l’écologie. Exemple: les deux italiens, Marco D’Agostin et Chiara Bersani qui souffre d’un problème de mobilité réduite. Leur pièce aborde la question de l’accessibilité à la forêt, en l’occurrence: comment s’en approcher quand on est en chaise roulante? Un handicap qui vous pousse à regarder la nature différemment».
Le regard, ou plutôt son orientation: c’est ce qui intéresse Stefan Kaegi, par ailleurs auteur de l’une des pièces. Son public assistera au spectacle, couché à même le sol, sur le dos, casque sur les oreilles, écoutant les échanges préenregistrés entre un forestier, un météorologue, un psychanalyste… «Ici, le spectateur ne voit pas ses voisins, comme dans une salle, son regard se concentre donc sur le ciel, la cime des arbres… et son écoute sur les propos que diffuse son casque. Paroles et images s’imbriquent pour dessiner un paysage inattendu», commente Stefan Kaegi.
La révolte de la planète
Autre exemple, la pièce de la compagnie hispano-suisse El Conde de Torrefiel, codirigée par la Tessinoise Tanya Beyerler. Elle et son compagnon, Pablo Gisbert, ont écrit un texte, qui est projeté sur un grand écran LED, installé au milieu d’une plaine. La nature constitue ici le personnage principal qui, au fil d’un monologue d’abord calme puis de plus en plus enflammé, s’adresse à une humanité chanceuse, car née sur une planète généreuse dont elle a largement profité sans jamais faire preuve de gratitude.
Tanya Beyeler s’attend à ce que les réactions du public, face à la révolte de la planète que raconte la pièce, varient d’un pays à l’autre. Elle connaît très bien la Suisse et l’Espagne où elle est établie depuis 20 ans. «Les Suisses entretiennent un lien cordial avec la nature, les Espagnols, un rapport brutal. Les premiers lui tendent les bras, quand les seconds lui tournent le dos, confie-t-elle. Bon, il faut reconnaître que les choses sont en train de changer; mais tout de même, dans la mentalité ibérique, la campagne est un lieu de vie réservé aux pauvres. L’homme riche habite en ville».
Changer les imaginaires
Quel impact les «Paysages partagés» auront-ils sur le public? Un projet théâtral, aussi ambitieux soit-il, peut-il changer les mentalités, là où des tentatives politiques ont échoué? «Nous n’avons pas la prétention de convaincre tous nos publics, répond Caroline Barneaud. En revanche, nous pensons que ce projet peut contribuer à un changement progressif des imaginaires, et par la suite à l’émergence d’une nouvelle conscience et de nouveaux comportements environnementaux».
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
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