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Les classes moyennes repassent à la caisse

Pour les classes moyennes, le panier de la ménagère pèse de plus en plus lourd. Keystone

L'inflation est de retour en Suisse. Dictée par la hausse du pétrole, elle devrait atteindre en 2008 un niveau record de 3%, avant de se tasser dès l'année prochaine. Mauvaise nouvelle pour les classes moyennes.

Mais au fait, qui sont ces classes moyennes, qui représentent une bonne moitié de la population suisse ?

«S’il faut proposer une définition, je dirais que les classes moyennes, ça commence lorsque vous n’avez plus droit à certaines prestations sociales comme les subsides de l’assurance maladie ou l’aide au logement. Et ça finit quand le barème fiscal, de progressif, devient proportionnel», explique le professeur genevois Yves Flückiger, spécialiste en économie du travail.

Avec ces critères, une personne célibataire est «classe moyenne» lorsque son revenu annuel oscille entre 70’000 et 150’000 francs suisses. «C’est donc une catégorie très disparate dans ses attitudes sociales et politiques, et lorsque l’on est au bas de la fourchette, il suffit de pas grand-chose pour passer dans la catégorie inférieure», précise le professeur.

Catégorie inférieure qui regrouperait environ 30% de la population, alors que le 20% restant peut être considéré comme «riche».

Progression à froid

Lorsque les prix augmentent, les travailleurs obtiennent en général une indexation de leurs salaires. Celle-ci suffit à annuler les effets de l’inflation, mais ne représente pas une hausse du pouvoir d’achat.

Les impôts par contre, dont la progressivité est basée sur le revenu nominal et pas sur le revenu réel, risquent d’augmenter si la personne passe dans une classe de taxation supérieure. Ce mécanisme, nommé progression à froid, est un facteur important de la perte du pouvoir d’achat des classes moyennes.

«Certes, nous avons des lois cantonales qui corrigent cette progression à froid, explique Yves Flückiger. Mais les adaptations ne sont pas immédiates. De plus, pour l’impôt fédéral direct, la correction de l’inflation n’est pas intégrale».

Proportionnellement à leurs revenus, et même sans progression à froid, les classes moyennes sont déjà les plus lourdement taxées. Et lorsqu’ils calculent la valeur du «panier de la ménagère», les statisticiens ne tiennent compte ni des impôts ni des primes d’assurance-maladie, autre poste important (et en constante augmentation) des dépenses des ménages.

Gagner plus pour consommer plus ?

Même si elle est difficile à chiffrer, l’érosion du pouvoir d’achat est donc bien réelle. Pour la contrer, l’Union syndicale suisse et Travail.Suisse, les deux grandes centrales syndicales du pays, ont déjà demandé pour l’année prochaine des hausses des salaires nominaux de 4 à 5%.

Les syndicats brandissent l’argument de la relance par la consommation. Pour que l’économie tourne mieux, il faut que les gens achètent, et pour cela, il faut qu’ils en aient les moyens. Sur le papier, cela semble très simple. Trop simple ?

«La croissance ne dépend pas que de la consommation intérieure, mais aussi des investissements des entreprises, des exportations, des dépenses publiques…, corrige Yves Flückiger. Ainsi, si les salaires augmentent, cela va pénaliser la compétitivité et les exportations et ralentir les investissements».

De plus, rien ne permet d’affirmer que les ménages qui obtiendraient plus de revenu vont le consommer en totalité. Si l’avenir est incertain, ils pourraient décider de mettre malgré tout un frein à leurs dépenses.

Gare à la spirale salaires-prix

«Il est vrai que les hausses de salaire sont restées relativement faibles, même en période de bonne conjoncture. Il est donc légitime de demander des augmentations», admet de son côté Alain Schoenenberger, de l’Institut indépendant Eco’Diagnostic.

L’économiste ne manque toutefois pas de mettre en garde contre la fameuse «spirale salaires-prix»: si les salaires augmentent beaucoup plus que le niveau général des prix, cela augmente les coûts des entreprises, et elles vont le répercuter sur leurs prix, créant ainsi encore un peu plus d’inflation.

Souvent brandi par le patronat pour freiner les hausses de salaires, ce mécanisme «est une réalité», et pas un argument purement idéologique, explique Alain Schoenenberger. Mais attention, «la spirale ne s’enclenche pas forcément pour une différence de 1%. Et elle dépend aussi de la politique monétaire de la Banque centrale».

Quoi qu’il en soit, l’Union patronale suisse a déjà dit qu’elle n’envisageait pas d’accorder des hausses de salaires au niveau de ce que demandent les syndicats. Pour le «patron des patrons» Thomas Daum, 4 à 5% risqueraient de mettre en péril la compétitivité de la Suisse, pays qui gagne un franc sur deux à l’étranger et où le coût du travail «est déjà très élevé».

swissinfo, Marc-André Miserez

Selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse serait au 8e rang européen pour le pouvoir d’achat standard, calculé de manière à supprimer les effets des différences de prix entre les pays.

Ce classement a été établi sur les données 2005 ou 2006 suivant les pays. Il prend en compte les salaires de l’industrie et des services du secteur privé, à l’exclusion notamment des professions de la santé et de l’enseignement.

Les mieux lotis du continent seraient les Luxembourgeois, avec un revenu annuel de 42’287 euros, suivis des Britanniques (41’340) et des Allemands (41’039). Viennent ensuite les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche et le Danemark.

En Suisse, où les prix sont notoirement plus élevés qu’ailleurs, le revenu serait ainsi de 34’328 euros. Ce qui place tout de même le pays assez loin devant la France (27’993), ou l’Italie (22’090), et vraiment très loin de la Bulgarie, lanterne rouge de l’Europe, avec 4902 euros.

Selon les indices des salaires et des prix à la consommation de l’OFS, le pouvoir d’achat des salariés suisses stagne depuis 1993.

Les deux années précédentes, la hausse réelle des salaires (soit la hausse nominale moins la hausse des prix) avait été respectivement de 1,8 et 1,2%. Mais depuis, on oscille entre des hausses de moins d’un pourcent, la stagnation et même des baisses, de 0,2 à 0,7% (en 1993, 1999, 2000 et 2005).

Seules exceptions: les années 2001 et 2002, qui ont vu le pouvoir d’achat augmenter respectivement de 1,5 et 1,1%.

Et en 2008, la hausse nominale de 2,4% risque d’être à nouveau entièrement «mangée» par l’inflation.

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