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Les grandes banques se réorganisent pour sauver les meubles

Après UBS, Credit Suisse est actuellement dans le viseur de la justice américaine. Keystone

La menace d’une condamnation de Credit Suisse aux Etats-Unis ne fait que souligner une fois de plus le danger que ferait courir à l’économie helvétique la faillite d’une de ses grandes banques.

Il n’est pas de compagnie «trop grosse pour être condamnée», a dit le ministre américain de la Justice Eric Holder ce lundi 5 mai, en promettant de poursuivre toute institution qui violerait les lois du pays. Une déclaration aussitôt interprétée par certains comme une référence directe à Credit Suisse, sous enquête pour des délits présumés d’évasion fiscale.

Il est apparu que la banque a adapté sa stratégie «trop gros pour faire faillite» afin de détourner du groupe les dégâts potentiels d’une condamnation. A cette fin, Credit Suisse a créé en décembre dernier une holding nommée CS International Advisors, qui abrite tous les comptes de clients américains touchés par l’enquête de la justice.

«Grâce à ce montage, le groupe serait responsables en cas d’amendes, mais c’est la nouvelles holding qui porterait le poids de toute accusation criminelle», explique à swissinfo.ch Peter V. Kunz, expert en droit international des sociétés à l’Université de Berne.

«Et ceci est important, parce que selon toute vraisemblance, les Etats-Unis n’admettraient pas qu’une filiale de Credit Suisse opère sur leur territoire si la maison-mère avait écopé d’une condamnation pénale».

Comme un trophée

Ainsi, CS International Advisors pourrait avoir été créée pour servir d’agneau sacrificiel à offrir au Département américain de la Justice. «En plus d’infliger des amendes sévères, le Département a besoin de pouvoir exhiber symboliquement un trophée, pour montrer qu’il a été ferme. Et Credit Suisse leur offre ce trophée», avance Peter V. Kunz.

En bref, c’est comme si la nouvelle société holding avait été érigée à la hâte comme un hangar au fond du jardin, destiné à être emporté par la tempête, tout en protégeant le bâtiment principal.

Six ans après la crise financière et sept ans après les premiers grondements du conflit fiscal transatlantique, les plus grandes banques suisses en sont encore à se battre pour se réorganiser afin de mieux parer ce type de coups. Sous la pression des autorités de régulation, UBS et Credit Suisse n’ont pas ménagé leurs efforts pour se débarrasser d’avoirs à risque à hauteur de milliards de francs, quitte à creuser leurs pertes et à entamer substantiellement leurs réserves de capital.

Ainsi par exemple, après le scandale du « trader voyou » qui lui a fait perdre deux milliards en 2011, UBS a réduit son activité de banque d’investissement et s’est engagée à diviser par deux les 300 milliards d’actifs à risques inscrits dans ses comptes d’ici 2016.

Deux fois et demi le PIB de la Suisse

UBS, comme Credit Suisse et la Banque cantonale de Zurich (BCZ) n’en sont pas moins toujours réputées «too big to fail». Et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi.

Les banques dites «d’importance systémique» sont celles dont la taille est si grande que leur effondrement constituerait un risque majeur pour l’économie du pays.

Pour déterminer quelle banque est «too big to fail», on prend en compte son implication dans l’économie du pays (comptes courants et d’épargne, hypothèques, lignes de crédit aux entreprises), la valeur ajoutée qu’elle y apporte et le nombre de personnes qu’elle y emploie.

Dès le début, UBS et Credit Suisse ont été inscrites sur la liste. En novembre 2013, la Banque Nationale y a ajouté la Banque cantonale de Zurich.

Le 7 mai 2014, la Finma, l’autorité de surveillance des marchés financiers, a émis des exigences en matière de fonds propres pour UBS et Credit Suisse, à atteindre en 2019, quand les lois «too big to fail» entreront pleinement en vigueur. UBS devrait alors avoir un ratio de fonds propres de 19,2% tandis que Credit Suisse, plus petit, devrait être à 16,7%. Ces exigences restent toutefois théoriques, la Finma ayant indiqué que les efforts entrepris par les deux banques pour réduire leur bilan, ainsi que de possibles changements concernant les parts de marché, devraient permettre un assouplissement des exigences.

UBS affirme toucher un ménage suisse sur trois, via ses comptes courants, ses hypothèques et ses autres formes de crédit. Plus de 40% des entreprises suisses et une caisse de pension sur trois recourent aux services de la plus grande banque du pays.

Credit Suisse lui affiche 1,8 million de clients en Suisse, ainsi que des hypothèques résidentielles pour 95 milliards de francs, sur un total de quelque 690 milliards répartis entre les différentes banques du pays.

La BCZ de son côté revendique entre 6 et 8% du marché des crédits domestiques, dont presque 70 milliards d’hypothèques résidentielles. Et ensemble, les trois banques ont plus de 50’000 employés en Suisse, sans parler des emplois indirects que génère leur activité.

Juste avant l’éclatement de la crise financière, les bilans cumulés d’UBS et de Credit Suisse pesaient six fois plus lourd que l’entier de la production économique de la Suisse. Même si ce chiffre est désormais tombé à deux fois et demi la somme du PIB, la perte d’une seule de ces deux banques laisserait toujours un trou béant dans le tissu économique suisse.

Réorganisations obscures

En plus de la réduction des risques et de l’augmentation des réserves de capital, les deux grandes banques se sont également engagées dans la réorganisation des structures de leurs groupes. Elles restent très discrètes sur les détails de ces opérations, dont l’essentiel consiste à regrouper les services vitaux pour la Suisse dans des compagnies holdings basées en Suisse et à baser les activités à risques sous diverses structures légales en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

L’idée est que chaque compagnie holding puisse être liquidée sans affecter les autres en cas de catastrophe. Les deux banques espèrent aussi que la Finma, l’autorité suisse chargée de surveiller leur activité, soit suffisamment impressionnée pour adoucir les exigences qu’elle leur impose en matière de fonds propres.

Mais jusqu’ici, la Finma ne s’en laisse pas compter. «Le fait qu’une banque ait créé une nouvelle structure de holding ne va pas automatiquement se traduire par une baisse des exigences en matière de fonds propres, explique son porte-parole Vinzenz Mathys à swissinfo.ch. On peut considérer cela comme une mesure propre à remplir les exigences de la législation «too big to fail», mais il faudra encore en remplir une série d’autres».

De son côté la BCZ, la «petite» banque du trio, ne prévoit pas de devoir changer ses structures, vu qu’elle a moins d’activités à l’étranger. Ce qui ne l’empêche pas d’être actuellement, comme Credit Suisse, sous le coup d’une enquête criminelle pour évasion fiscale présumée aux Etats-Unis. Mais pour l’instant, la banque cantonale ne dira rien de sa stratégie de défense.

(Adaptation de l’anglais: Marc-André Miserez)

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