La ‘lex FIFA’ fait l’unanimité, ou presque
Les nouvelles dispositions visant à combattre les cas graves de corruption privée au sein des fédérations sportives internationales telles que la FIFA sont généralement bien accueillies en Suisse. Certains observateurs s’inquiètent néanmoins des difficultés de mise en œuvre et des lacunes concernant la protection des lanceurs d’alerte.
«La nouvelle loi sera sans aucun doute suffisamment robuste pour sanctionner la corruption au sein de la FIFA et d’autres fédérations sportives. Je suis certain qu’elle aura un fort impact préventif», affirme le député Roland Büchel. Ce membre de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) est l’un des plus virulents détracteurs de la FIFALien externe. En 2010 déjà, il avait déposé une intervention parlementaire pour lutter contre la corruption qui frappe les grandes organisations sportives internationales basées en Suisse.
Après avoir traîné les pieds des années durant et été mise sous pression par des organisations telles que le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) Lien externedu Conseil de l’Europe, la Confédération est désormais sur les bons rails. Jeudi dernier, le Conseil des Etats (Chambre haute) a suivi le Conseil national (Chambre basse) dans sa volonté de poursuivre d’office les cas de corruption privée.
L’enquête sur la FIFA avance
Les enquêtes sur les soupçons de corruption à la FIFA n’en sont «pas encore à la mi-temps», mais elles avancent: «De nouvelles personnes et organisations» sont en ligne de mire et des appartements ont été saisis dans les Alpes suisses, ont annoncé lundi le procureur général suisse, Michael Lauber, et la ministre américaine de la Justice, Loretta Lynch.
«Nous pensons pouvoir inculper d’autres personnes et d’autres organisations», au-delà des 14 personnes déjà mises en examen, neuf hauts dirigeants du football mondial et cinq hommes d’affaires dans le secteur du marketing sportif, a prévenu Loretta Lynch lors d’une conférence de presse commune organisée à Zurich devant près de 150 journalistes.
D’après l’enquête américaine, lancée par Loretta Lynch alors qu’elle était encore procureur à New York, ce sont 150 millions de dollars de pots-de-vin et de rétrocommissions qui auraient circulé dans les hautes sphères du football depuis 25 ans.
Source: AFP
Avec ces nouvelles dispositions, qui s’appliqueront aux entreprises, aux associations et aux fédérations sportives, la corruption privée sera passible de trois ans d’emprisonnement au maximum. La loi permettra aux procureurs fédéraux d’ouvrir des enquêtes pour corruption à l’encontre des 60 fédérations sportives internationales, y compris la FIFA et le CIO, qui ont leur siège en Suisse.
Jusqu’ici, les enquêtes concernant les actes de corruption privée ne pouvaient être lancées que si une organisation, un individu ou un groupe appartenant à cette organisation avait au préalable déposé une plainte.
Projet édulcoré
Les parlementaires ont toutefois introduit une exception. Seuls les cas graves de corruption pourront être poursuivis d’office. Les cas dits «légers» nécessiteront à l’avenir également le dépôt d’une plainte.
La ministre de la Justice, Simonetta Sommaruga, a dénoncé cette édulcoration du projet de loi initialement présenté par le Conseil fédéral (gouvernement). «Il n’y a aucune raison de faire des exceptions à la poursuite automatique de la corruption privée, a-t-elle souligné. Cette restriction va engendrer des problèmes de mise en œuvre». Qui décidera ce qui est un cas grave? Quand faudra-t-il agir? Si ce n’est pas le législateur qui définit la gravité d’un acte, il appartiendra au procureur de le faire. Ce flou risque d’introduire une insécurité juridique et de compliquer la poursuite de la corruption, a indiqué la ministre de la Justice.
De son côté, le député socialiste Carlo SommarugaLien externe estime que la nouvelle loi représente un avertissement important adressé aux dirigeants du sport mondial. Mais il regrette tout comme la ministre (et collègue de parti) les aménagements apportés au texte initial ainsi que certaines définitions vagues qui accompagnent ces nouvelles normes.
«A l’heure actuelle, le gouvernement est plus progressiste que le Parlement sur les questions liées à la transparence, à l’abolition du secret bancaire ou à la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, relève Carlo Sommaruga. Sous la Coupole fédérale, divers groupes d’intérêt économiques tentent de ralentir le processus ou d’introduire des exemptions législatives. Nous l’avons vu avec la révision de la loi contre le blanchiment d’argent, il en va de même avec ces normes anti-corruption».
Quid des lanceurs d’alerte?
Face aux pressions externes et internes, le gouvernement suisse tente depuis plusieurs années déjà d’améliorer la surveillance des fédérations sportives internationales. Les dernières modifications en date font partie d’un ensemble de mesures juridiques connues sous le nom de «Lex FIFA» présentées en 2012 par l’Office fédéral du sport.
Dans le cadre de ce paquet de mesures, le Parlement helvétique a étendu le statut de personnes exposées politiquement (PPE) aux dirigeants et hauts-fonctionnaires d’organisations sportives internationales basées en Suisse. «C’est un signal important, affirme Carlo Sommaruga. Mais je me demande si la Suisse a les moyens de mettre en œuvre correctement ces normes et si les autorités judiciaires sont prêtes à faire ce travail».
Jean-Loup ChappeletLien externe, professeur à l’Institut des hautes études en administration publique de Lausanne (IDHEAP), souligne lui aussi l’importance de renforcer les moyens à disposition du Ministère public de la Confédération (MPC) pour répondre à ces nouvelles attentes.
«Il n’y a aucune raison de faire des exceptions à la poursuite automatique de la corruption privée».
«Il est nécessaire d’adopter une loi fédérale pour protéger les lanceurs d’alerte, comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne», plaide-t-il. La proposition de loi sur les lanceurs d’alerte, initialement présentée par le Conseil fédéral en 2008, est toujours en phase d’élaboration par les commissions parlementaires et les différents départements concernés de la Confédération.
Une réforme sans fin
Dans l’intervalle, d’autres changements législatifs ont été suggérés. Plusieurs parlementaires suisses exigent une révision du statut de la FIFA et des organisations analogues, qui sont considérées par le droit suisse comme de simples associations à but non lucratif. Le gouvernement estime pour sa part que ce n’est pas nécessaire. Il a récemment rejeté une motion de la socialiste Susanne Leutenegger-Oberholzer visant à créer une loi spéciale régissant les organisations sportives qui gèrent des milliards de francs.
Dans une réponse écrite, le Conseil fédéral fait valoir que les grandes fédérations sportives sont déjà tenues de respecter de strictes normes comptables. La surveillance des fédérations par l’Etat n’est pas non plus appropriée, ce travail étant normalement assumé par les assemblées générales. Par ailleurs, le droit des associations fonctionne dans l’ensemble bien en Suisse, note encore l’exécutif helvétique.
La réforme des fédérations sportives est une tâche sans fin, observent bon nombre d’experts. En théorie, la responsabilité de leur assainissement incombe aux fédérations elles-mêmes, et pas aux autorités, affirme Jens Sejer Anderson, directeur de Play the GameLien externe, un observatoire indépendant du sport. «Mais dans la pratique, elles en font le minimum et seulement lorsqu’elles sont sous forte pression extérieure. Nous devons maintenir la pression afin que d’autres gouvernements se joignent à cette démarche qui mène vers plus de transparence et une meilleure gouvernance des organisations sportives internationales», souligne-t-il.
(Traduction et adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)
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