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Naturalisation: trop rigide, la Suisse rate des chances

Claude Longchamp, politologue et historien

Très restrictive en matière de naturalisation, la Suisse vient encore de rater une occasion de changer cela. Tous les signes sont pourtant à l’inclusion. Le pays risque de perdre le contact avec le présent.

Le Conseil des États n’a rien voulu entendre. Il vient de refuser une motion qui demandait qu’un étranger ou une étrangère né.e en Suisse soit automatiquement naturalisé.e et obtienne le plein droit de vote et d’éligibilité. 26 élus et élues des cantons étaient contre, 13 pour. La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter refusait aussi la proposition, au nom du gouvernement central.

Le vieux principe de la lignée

Deux principes s’opposent ici. Il y a d’une part, le «ius sanguinis», droit du sang ou principe de filiation, qui veut que la nationalité des parents – ou même d’un seul d’entre eux – détermine la nationalité des enfants.

Et il y a d’autre part le «ius soli», droit du sol ou principe du lieu de naissance, qui veut que les enfants obtiennent leur nationalité en fonction du lieu où ils sont venus au monde.

Historiquement, c’est le droit du sang qui a dominé le plus souvent. La citoyenneté était transmise par le père. Avec l’égalité des sexes, le principe a été partiellement abandonné.

Parallèlement, le droit du sol a gagné en importance. En Amérique, du Nord comme du Sud, il s’applique presque partout. Les pays à forte composante issue de l’immigration ont fait ainsi de bonnes expériences en matière d’intégration.

En Inde également, le droit du sang a été totalement aboli. De nombreux autres pays appliquent aujourd’hui un mélange des deux principes.

Peu de droits pour les étrangères et les étrangers

Les historiennes Brigitte Studer et Regula Argast, avec leur collègue Gerald Arlettaz écrivent, dans leur histoire complète de la citoyenneté suisse, que notre pays suit le principe de la filiation et combine étroitement la nationalité, les droits civiques et les droits politiques.

Claude Longchamp
Dans ses chroniques pour swissinfo.ch, Claude Longchamp questionne sans relâche la démocratie suisse. swissinfo.ch

Seule la Suisse romande a conservé l’idée que chaque niveau de l’État définit lui-même les droits politiques. Ainsi, les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, Jura et Fribourg accordent à leurs étrangers et étrangères un droit de vote et d’éligibilité fixe au niveau de la commune.

Cela n’existe pas en Suisse alémanique. Seuls les Grisons, Appenzell Rhodes-Extérieures et Bâle-Ville permettent aux communes d’introduire le droit de vote des étrangers, mais sur une base volontaire.

Une question de bois et d’aumône

Pour les deux historiennes et l’historien de la citoyenneté, le principe de filiation est plus ancien que l’État fédéral suisse. Jusqu’à la fin du 18e siècle, on se déplaçait peu, même entre les cantons. Qui avait ses ancêtres au bourg ou au village pouvait profiter de biens communaux comme le bois et trouvait asile dans sa commune s’il tombait dans la pauvreté.

Le jeune État fédéral – fondé en 1848 – n’a rien changé à cette situation. Il a surtout intégré les jurisprudences cantonales. Il a toutefois pris une décision importante, en excluant la double nationalité. Les pères de la Confédération voulaient ainsi empêcher que les Suisses aient le choix d’effectuer leur service militaire en Suisse ou dans un autre pays. Au 19e siècle en effet, les droits et les devoirs du citoyen étaient étroitement liés.

Plus tard, lorsque le 20e siècle voit débarquer des migrants d’Europe du Sud, cela modifie significativement la conception de la nationalité. «Assimilation» devient le mot-clé. On entend par là que l’on ne peut être ou devenir un ou une bonne Suisse que si l’on vit de manière bien adaptée. Réaction à l’arrivée croissante d’étrangers et étrangères qu’attire l’industrie naissante.

La Seconde Guerre mondiale rétrécit encore l’image que les Suisses se font d’eux-mêmes. Les indigents, les réfugiés et les juifs se voient exclus de manière générale de la citoyenneté.

En outre, la période des pleins pouvoirs, qui se prolonge au-delà de la fin de la Seconde Guerre mondiale, voit un durcissement des règles du mariage. Les citoyennes suisses qui épousent un étranger perdent leur nationalité. Ainsi, on peut dissoudre les mariages mixtes considérés comme «blancs».

Avec la loi sur la nationalité de 1952, la Suisse supprime bien certaines discriminations à l’encontre des femmes, mais elle poursuit sa politique d’exclusion. Ainsi, les critères d’aptitude à la naturalisation sont encore renforcés, la durée de résidence requise est encore prolongée et l’obligation de se soumettre à un examen d’aptitude est inscrite dans la loi.

Rupture avec la tradition

Il faudra attendre 1978 et «Les faiseurs de Suisses», le film à succès de Rolf Lyssy, avec Emil Steinberger, pour que le public suisse réalise à quel point la conception de la nationalité et des droits politiques est devenue obsolète. Le duo de policiers inquisiteurs du film fait beaucoup rire et aussi passablement réfléchir.

En 1971, l’introduction du droit de vote des femmes au niveau fédéral brise définitivement la notion du «citoyen-soldat», héritée du 19e siècle. Il existe alors certes une demande pour une obligation de servir pour les femmes, mais elle ne sera pas appliquée. Ainsi, les femmes obtiennent (enfin) les droits politiques, mais sans avoir à faire de service militaire.

De l’exclusion à l’inclusion

Si l’on regarde la Suisse, on peut aussi considérer le 20e siècle comme une période où la tendance est à l’exclusion délibérée de groupes entiers de la population. Avec une conséquence: participer à la vie politique est devenu plus difficile, et ce pour un nombre croissant de personnes.

L’inclusion, l’intégration, tout aussi délibérée de nouveaux membres à la société va à l’encontre de cette tendance. L’inclusion incarne le contraire de la voie dans laquelle la Suisse s’est engagée. Et elle représente justement un grand défi et une grande chance dans l’environnement globalisé des nations.

La diversité vaut donc aussi comme nouveau mot d’ordre du 21e siècle. La diversité est nécessaire, car elle élargit les compétences d’une société moderne. L’économie internationale l’a compris depuis longtemps. Elle offre aux personnes compétentes issues de l’immigration l’accès aux plus hautes sphères des entreprises – et aux plus hautes classes salariales.

Mais la politique institutionnelle hésite. Car il y a des réticences dans les milieux conservateurs de la population et dans les partis.

Naturaliser pour mieux intégrer

L’action «Vierviertel» [qui milite «pour un droit fondamental à la naturalisation»] a décidé de mettre les points sur les «i». Elle demande rien de moins que l’ébauche courageuse d’une nouvelle société: quiconque vit ici devrait obtenir ce droit fondamental à la naturalisation. Et pour cela, le mouvement est prêt à lancer une initiative populaire.

Les futurs initiants s’appuient notamment sur une étude de l’Université de Lucerne, publiée en 2016. Les politologues avaient alors calculé un «indice d’inclusion des immigrés et immigrées». Et la Suisse se classait à l’avant-dernière place des 20 pays pris en compte. Ses voisins la France et l’Italie se montraient nettement plus inclusifs, et même l’Autriche et l’Allemagne se classaient devant la Suisse.

Il est particulièrement frappant de constater qu’avec sa longue pratique restrictive des naturalisations, la Suisse voit sa part d’habitants jouissant des droits politiques diminuer. Dans des cantons urbains comme Genève ou Bâle-Ville, elle approche bientôt la barre des 50%.

Une autre étude, réalisée à l’École polytechnique fédérale de Zurich, fournit des arguments supplémentaires. Le chercheur en sciences sociales Dominik Hangartner a pu montrer que les personnes qui ont été naturalisées il y a dix ans sont aujourd’hui nettement plus intégrées que celles à qui la naturalisation a été refusée à la même époque.

De quoi renverser une croyance bien ancrée chez celles et ceux qui ne veulent pas d’une nouvelle société, plus panachée. Non, l’intégration n’est pas une condition préalable à la naturalisation, elle est plutôt une conséquence de celle-ci.

Plus que toute autre, la démocratie suisse a vécu et vit de la participation de ses membres. Si le droit du sol venait un jour à compléter le droit du sang, ce ne serait que bénéfice pour la société et pour la démocratie.

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

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