Pourquoi les cantons latins sont plus libéraux en matière de naturalisation
Alors que deux cas de refus de naturalisation récemment médiatisés semblent montrer un durcissement en la matière, le chercheur Valentin Zuber distingue surtout deux tendances entre cantons latins et alémaniques.
Deux adolescentes musulmanes de Bâle-Ville se sont vues refuser récemment le passeport suisse parce qu’elles ne voulaient pas participer aux cours de natation et aux camps de ski dans leur école. Quelques jours plus tôt, c’est une famille kosovare de Bâle-Campagne qui était recalée, sous prétexte que ses membres se baladaient trop souvent vêtus de trainings.
Membre du pôle national de recherche sur la migration NCCR à Neuchâtel, Valentin Zuber est précisément en train d’écrire une thèse de doctorat sur les différences cantonales en matière de naturalisation.
Il y a clairement deux tendances, souligne-t-il d’emblée au micro de la RTS. «La première, c’est qu’on a vu l’augmentation de décisions judiciaires formelles des tribunaux qui vont vers davantage de protection de la personne contre la discrimination (…) D’un autre côté, on a une autre tendance rampante, c’est la politisation de la thématique migratoire de manière générale et plus précisément celle de la naturalisation, avec une immersion dans le débat public et dans le débat politique de cet objet-là. Et donc forcément, avec les tendances politiques actuelles, une montée du discours anti-étrangers qui a aussi lieu sur cet objet-là», constate le chercheur.
Le juridique sous pression du politique
Et la cristallisation sur le plan politique a aussi des conséquences sur le plan juridique, «parce qu’on a une séparation des pouvoirs qui n’est pas forcément toujours très claire dans ce domaine-là», constate Valentin Zuber. «On voit que les décisions qui font jurisprudence sont en tension avec le débat politique et notamment la Loi sur la naturalisation qui est débattue au Parlement fédéral. Donc, effectivement, on voit une tension entre les deux sphères.»
Des législations d’application très diversifiées
Dans ce contexte, la décision concernant les deux jeunes filles de Bâle-Ville n’est pas une surprise. «La décision est logique vis-à-vis du discours et elle est logique aussi par rapport à un système, le fédéralisme, qui va régir toutes ces normes juridiques», souligne-t-il. «S’il y a un cadre fédéral pour la naturalisation ordinaire, il y a derrière 26 législations d’application qui interprètent ce cadre général de manière très large et très diversifiée. Et on a encore, au niveau communal, des règlements pour presque chaque commune en Suisse. Cela donne donc une multitude d’interprétations et d’autodéfinition des normes d’intégration, qui devraient aller vers plus d’uniformisation en 2018 avec la nouvelle loi.»
«Finalement ce sont les citoyens suisses, pratiquement, qui définissent à quel moment l’étranger n’est plus un étranger mais devient Suisse. »
Décisions en mains des citoyens suisses
Dans ses travaux, Valentin Zuber se penche notamment sur les différences cantonales. Or en matière de naturalisation, elles sont très prononcées. «Il y a en tout cas deux tendances générales de conception, presque de philosophie, de la manière dont on considère l’autre et à quel moment l’autre acquiert le statut de citoyen comme les personnes qui le définissent», souligne-t-il. «Parce que ces processus sont très liés à la démocratie directe et au corps électoral, et donc finalement ce sont les citoyens suisses, pratiquement, qui définissent à quel moment l’étranger n’est plus un étranger mais devient Suisse. Et là, on voit de grandes différences entre une Suisse latine – qui a une conception relativement libérale de la citoyenneté – et une Suisse alémanique dans laquelle la conception des choses est beaucoup plus conservatrice et peut-être un peu plus ethnique. Et cela influence les normes d’intégration et les politiques qui sont très différentes entre les cantons latins et les cantons alémaniques.»
Deux discours autour de l’octroi du passeport
Mais certains cantons romands vont aussi dans le sens d’un durcissement, lié aux majorités politiques, constate le chercheur. «Il y a deux discours. L’un, assez omniprésent actuellement au niveau fédéral et une habitude presque séculaire en Suisse alémanique, est de voir l’octroi du passeport comme l’étape ultime de la présence d’une personne étrangère en Suisse. Alors qu’on a une conception un peu plus libérale en Suisse romande et dans les pôles urbains suisses alémaniques, où octroyer le passeport est une manière d’intégrer les citoyens. On le voit aussi avec la multiplication des droits des personnes étrangères dans les cantons romands où ces personnes peuvent avoir des droits politiques alors qu’elles ne sont pas suisses.»
A l’avenir, les critères d’intégration seront mieux définis, grâce à la nouvelle loi sur la nationalité.
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