Pour Emmanuel Macron, un «succès en demi-teinte» dans une France fracturée
Le président français sortant a été réélu dimanche face à Marine Le Pen avec un écart plus important qu’attendu. S’ils saluent la performance, les journaux suisses rappellent qu’une grande partie de la population a voté par défaut. Dans un pays plus divisé que jamais, le quinquennat s’annonce tendu.
Emmanuel Macron a été réélu avec 58,6% des suffrages, une avance plus large que prévu sur son adversaire d’extrême-droite Marine Le Pen (41,4%). Une bonne partie de la presse suisse souligne lundi le caractère historique de cette victoire, puisqu’aucun chef d’Etat français n’avait été réélu pour un second mandat depuis 2002 – et le duel entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, père de Marine Le Pen. Dans son éditorial, le correspondant du TempsLien externe à Paris estime qu’Emmanuel Macron «a réalisé une incontestable performance politique dans un pays (…) secoué (…) par un fort vent de ‘dégagisme’».
Plusieurs journaux jugent utile de souligner la légitimité du résultat. Le journaliste Richard Wehrly estime que «remporter un second mandat aurait été impossible (…) si Emmanuel Macron n’avait pas (…) convaincu un solide socle de Français». «[Son] premier mandat a été tout sauf un fiasco. Il a renforcé l’économie, abaissé le taux de chômage et dirigé avec succès la France à travers les crises», lit-on aussi dans un éditorial de la Neue Zürcher ZeitungLien externe (NZZ).
Selon le rédacteur en chef de La LibertéLien externe, Emmanuel Macron était «le choix de la raison». Il présente «un bilan solide, avec notamment un taux de chômage retombé à 7,4%», écrit le journaliste, ajoutant que le président français a aussi «su se montrer visionnaire sur la scène internationale».
«Entre la peste et le choléra»
Reste que cinq années de présidence Macron ont laissé une France fracturée et en colère. La Liberté rappelle qu’avec sa «personnalité clivante» et son image de «président des riches», Emmanuel Macron «cristallise la haine et le mépris d’une part importante de la population», surtout dans les zones les plus défavorisées du pays. Pour le Tages-AnzeigerLien externe, Emmanuel Macron a «fortement centralisé le pouvoir et s’est aliéné de nombreuses personnes avec son style de leadership vertical».
Face à ce «président que les Français adorent détester», selon la tournure utilisée par La Liberté, Marine Le Pen n’a pas réussi à convaincre la majorité. Durant la campagne de l’entre-deux-tours, elle «a été exposée pour ce qu’elle est: une candidate qui n’a tout simplement pas ce qu’il faut pour être présidente», peut-on ainsi lire dans l’Aargauer ZeitungLien externe.
«Malgré son positionnement populaire et ‘dédiabolisé’, [elle] n’a jamais paru crédible», abonde La Liberté. «Elle promettait d’opter pour un repli nationaliste dans tous les domaines. C’est une France ouverte (…) qui est sortie des urnes», écrit Le Temps. En cinq ans, les voix exprimées pour Marine Le Pen au second tour ont toutefois progressé de près de 8 points, signe du malaise qui grandit dans le pays.
Et une part non négligeable des bulletins pro Macron glissés dans les urnes dimanche l’ont surtout été pour faire barrage à la candidate du Rassemblement national et son programme d’extrême-droite. «Le président a été réélu par des Français peu convaincus, qui ont voté pour lui ‘faute de mieux’», résume l’éditorial du BlickLien externe. Un choix «entre la peste et le choléra», c’est la formulation que retient la NZZ.
Un «troisième tour» en juin
Dimanche, 28% de l’électorat s’est même abstenu de voter, soit la moins bonne participation à une élection présidentielle depuis 1969. Si l’on «additionne les bulletins blancs ou nuls aux électeurs de la fille de Jean-Marie Le Pen, c’est une très forte minorité, peut-être même une majorité qui a exprimé un vote contestataire», relève le correspondant des journaux francophones de TamediaLien externe.
Le président devra donc compter avec une opposition déterminée, radicale et potentiellement violente, émanant non seulement des soutiens de Marine Le Pen, mais aussi d’une partie de celles et ceux qui l’ont élu «en se pinçant le nez». Les cinq prochaines années «ne seront pas une promenade de santé», prophétise ainsi l’Aargauer ZeitungLien externe.
Premier obstacle, les élections législatives en juin. Souvent qualifiées de «troisième tour», les élections des député-es seront cruciales pour Emmanuel Macron, dont le parti La République en marche détient aujourd’hui 263 des 577 sièges. «Tous ceux qui ont rendu possible [sa] victoire sans adhérer à ses idées (…) se battront à nouveau dans les urnes», prédit le Temps.
Pour la presse suisse, l’introduction d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin – une promesse souvent faite en France mais jamais mise à exécution – pourrait être un geste à destination de ces macronistes par défaut. «Les 42% d’électeurs qui ont accordé dimanche leurs suffrages à Marine Le Pen réclameront à juste titre leur dû démocratique», relève le Temps. «Emmanuel Macron aura-t-il le courage d’introduire la dose de proportionnelle qui rééquilibrerait les pouvoirs entre la présidence et l’Assemblée nationale?», questionne l’éditorial de Tamedia.
Entendre la colère
Pour le quinquennat qui commence, «le président français a beaucoup de pain sur la planche», annonce le BlickLien externe. «Même s’il se montre très à l’aise à l’international, c’est sur son territoire (…) que ses compatriotes jugeront son action». Parmi les chantiers prioritaires: le pouvoir d’achat, la transition écologique, et le sujet brûlant de la réforme des retraites. Emmanuel Macron prévoit de relever l’âge de la retraite de 62 à 65 ans mais, face à la fronde, il n’exclut plus un relèvement à 64 ans seulement.
Ce lundi, plusieurs titres de la presse helvétique s’attendent à des mouvements sociaux d’ampleur en France. Le Tages-AnzeigerLien externe estime qu’Emmanuel Macron «ne peut plus se permettre une politique au bulldozer comme celle du début de son premier mandat»: «le risque que des mouvements comme les Gilets jaunes se regroupent et paralysent le pays est trop grand», écrit le quotidien. Pour l’Aargauer ZeitungLien externe, si Emmanuel Macron «ose encore entreprendre ses réformes», «la paix civile dans le pays sera bientôt terminée».
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