Une aventurière suisse imaginaire, plus vraie que nature
Dans «Constance. Un itinéraire vers la liberté», l’autrice romande Lise Favre imagine le destin d’une jeune fille vaudoise, intrépide et intelligente, symbole d’une féminité battante au début du 20e siècle. Son livre, écrit sous forme de journal intime, évite l’écueil du militantisme.
Une fiction sur fond de vérité historique. Son héroïne? Constance Girod, qui a des points communs avec des voyageuses, journalistes et femmes de lettres suisses, dont Isabelle Eberhardt, Anne-Marie Schwarzenbach ou Ella Maillart. Un trait la distingue néanmoins de ces trois personnes: elle n’a jamais existé! Contrairement à ces pionnières, qui ont écrit à leur manière l’histoire d’une société féminine helvétique curieuse et intrépide, Constance est un personnage de papier, mais tellement vraisemblable qu’on a de la peine à penser qu’elle sort de l’imaginaire de Lise Favre, ex-notaire vaudoise, qui publie donc chez Cabédita Constance. Un itinéraire vers la libertéLien externe.
Née en 1885 et décédée en 1940, Constance Girod «a tenu toute sa vie un journal intime», précise Lise Favre dans un avertissement. Journal que l’écrivaine a inventé bien sûr, et qui constitue toute l’étoffe romanesque du livre.
Pour échapper à son milieu
3 février 1901, jour anniversaire de Constance. C’est le début du journal. La jeune fille, 16 ans, orpheline de mère, vit à Bex (canton de Vaud), où son père est pasteur. Tous deux habitent à la cure. Austérité du lieu, adoucie par «l’affection bourrue» de la femme de ménage, Germaine, et par l’amour solide et généreux du père qui a donné «une éducation très soignée» à sa fille. A 17 ans, Constance entrera sans difficultés à l’Ecole normale de Lausanne.
Devenir institutrice lui permet de s’affranchir de son milieu, pauvre, et d’échapper à toute dépendance pécuniaire. Pas question d’être à la merci d’un futur mari, et encore moins de finir comme la suicidée de Flaubert, Madame Bovary, morte d’ennui dans sa ville de province aux côtés de son époux, médecin de campagne bien mou.
Constance, qui se mariera avec un médecin suisse de Leysin, n’est pas une résignée. Elle abandonnera l’époux qu’elle a aimé pour courir le Paris de la Belle Epoque, où elle exercera le métier de journaliste et d’éditrice littéraire. Mais bien avant l’aventure française, il y aura une épopée russe qui marquera durablement la vie de cette héroïne, constante dans son désir d’indépendance.
Comme Madame Necker
De liberté, il sera donc beaucoup question dans ce livre qui recourt à la fiction pour revisiter une époque où en Suisse les femmes se mobilisent pour leur émancipation et pour le droit de vote; où à l’étranger, la Première Guerre mondiale et la Révolution russe causent les ravages que l’on sait.
Il y a tant de femmes battantes, ici ou ailleurs, qui ont réellement existé. Pourquoi donc Constance? «Parce que justement je ne voulais pas réécrire une énième biographie de telle ou telle célébrité, confie Lise Favre. J’ai d’ailleurs évité la lecture de certains ouvrages pour ne pas être influencée par le destin de leur héroïne».
Pour raconter la vie de Constance, l’autrice avoue s’être inspirée néanmoins de l’itinéraire de Suzanne Necker (1737-1794), née Curchod, à Crassier (canton de Vaud), épouse du grand banquier suisse Jacques Necker, futur ministre des Finances de Louis XVI. «Elle aussi était fille de pasteur. Comme Constance, elle avait reçu une éducation attentive et libérale, auprès de son père», explique Lise Favre.
Même si le protestantisme pèse sur la société suisse, les hommes d’Eglise progressistes existent. Le père de Constance «a horreur de la bigoterie». Et le rapprochement entre les deux femmes ne s’arrête pas là. «Suzanne Curchod fut gouvernante d’enfants dans une très riche famille genevoise. C’est là d’ailleurs qu’elle rencontra son futur mari Jacques Necker», raconte Lise Favre. Et c’est grâce à une famille russe fortunée, les Louguinine, propriétaire d’une maison de maître aux envions de Bex, que Constance deviendra elle aussi gouvernante d’enfants.
Catherine II et les précepteurs suisses
Les Suissesses étaient alors recherchées à l’étranger pour leur bonne conduite, en Russie notamment. C’est Frédéric-César de La Harpe, pédagogue vaudois, qui leur ouvrit en quelque sorte la voie. L’impératrice Catherine II le prit comme précepteur pour ses fils, dont le futur Tsar Alexandre 1er. «Sur la cour impériale, de La Harpe eut une influence certaine: il lui insuffla l’idée d’engager des préceptrices suisses pour les petites princesses. Mais c’est sur son élève, Alexandre, que sa pensée produisit le plus grand effet, qui se prolongea jusqu’à la majorité du futur Tsar. De La Harpe obtient ainsi d’Alexandre 1er que le pays de Vaud, devienne Canton, s’affranchissant alors de la tutelle de Berne», rappelle Lise Favre.
À Constance, les Louguinine trouveront une place de préceptrice dans une famille d’aristocrates russes, le comte et la comtesse Golechnikov. La jeune Vaudoise est chargée de l’éducation de leurs filles. Ses études à l’École normale sont terminées. La voici donc à Saint-Pétersbourg, ville de tous les excès. Pauvreté et opulence s’y côtoient scandaleusement. Nous sommes en 1905. La révolution russe d’alors annonce celle de 1917. Les Golechnikov ont un fils aîné qui soutient le soulèvement populaire. Constance est sa confidente. De condition modeste, est-elle en mesure de prodiguer ses conseils à ses maîtres?
Une oreille attentive
«Elle est autorisée à manger avec eux, et écoute ainsi d’une oreille attentive leur conversation et celle de leurs invités. Fine, elle se fait une idée de la situation sociale, et sait se rendre utile, voire indispensable», répond l’écrivaine. Avec la comtesse, Constance partage une passion amoureuse qui ira jusqu’au drame. Occasion pour Lise Favre de livrer une réflexion sur le mode de fonctionnement autoritaire de la société russe d’alors, tant au plan moral que politique.
Parlant du comte, militaire de carrière, Constance écrit dans son journal, le 8 septembre 1905: «C’est un partisan de l’ordre établi, il est convaincu de l’excellence du système et considère que l’autocratie est le meilleur régime politique pour la Russie».
Qu’y a-t-il de changé depuis? Pas grand chose. Lise Favre confie avoir terminé la rédaction de son livre avant le début de la guerre en Ukraine.
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