Vaccin pour les pays pauvres: la Suisse solidaire, mais pas trop
La Suisse veut bien distribuer les vaccins anti-Covid qu’elle n’utilisera pas aux pays qui en manquent, mais pas question de toucher aux brevets des pharmas, qui bloquent actuellement la production locale. À une courte majorité, le Parlement vient de le confirmer.
90 voix pour, 94 contre, suivant une ligne de partage qui recouvre presque parfaitement le clivage gauche-droite. Ce mercredi 16 juin, le Conseil national (Chambre basse) a refusé la motionLien externe de sa Commission de politique extérieure, qui demandait l’adhésion de la Suisse à l’appel de l’OMS à la solidarité mondiale dans la lutte contre la Covid-19.
«Cette motion demande à la Suisse de s’engager pour défendre un compromis sur la question des licences obligatoires», a dit le conseiller fédéral en charge de la Santé Alain Berset, qui bien que socialiste, défendait comme il se doit la position du collège gouvernemental. Sans surprise, le Conseil fédéral réitère son refus d’affaiblir la protection par les brevets. La doctrine est claire: les entreprises investissent des milliards dans cette course où les appelés sont nombreux et les élus plutôt rares, donc toute attaque contre la protection des brevets mettrait en péril les investissements futurs dans la recherche.
L’impossible compromis
À la demande de plusieurs grands pays du Sud et des États-Unis, des discussions sont actuellement en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour assouplir, voire suspendre temporairement la protection par brevet en ces temps de pandémie. Cela pourrait permettre aux fabricants locaux de produire des vaccins Covid. De nouvelles discussions informelles ont débuté ce 17 juin au siège de l’organisation à Genève, en vue de rédiger un rapport pour une réunion des ambassadeurs de l’OMC les 21 et 22 juillet. .
La Suisse n’est pas seule à faire de la résistance. L’Union européenne a présenté un plan, soutenu aussi par la Grande-Bretagne et la Corée du Sud, qui vise plutôt à limiter les restrictions à l’exportation, à développer la production et à faciliter l’utilisation des licences obligatoires. Sachant qu’une décision de l’OMC devrait être prise à l’unanimité, la tentative de levée des brevets a donc toutes les chances d’échouer.
Qui veut de l’AstraZeneca?
Pour autant, la Suisse ne reste pas les bras croisés à regarder le monde se débattre avec la pandémie. Elle participe au vaste mouvement de solidarité des pays riches, comme l’a rappelé Alain Berset mercredi aux parlementaires. Le 28 avril, le Conseil fédéral a décidé d’un soutien supplémentaire de 300 millions de francs au Dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la Covid-19 de l’OMSLien externe, dont un tiers ira à CovaxLien externe, qui vise à assurer un accès équitable à la vaccination dans 200 pays. D’autre part, le gouvernement fédéral a décidé le 12 mai d’évaluer la possibilité de réallouer trois millions de doses de vaccin AstraZeneca à Covax. La Suisse a en fait acheté 5,3 millions de doses du sérum suédo-britannique et la décision concernant les 2,3 millions de doses ainsi restantes sera prise plus tard.
AstraZeneca? Ce vaccin, toujours pas homologué en Suisse s’est taillé une mauvaise réputation en début d’année, à cause d’effets secondaires graves, des thromboses veineuses, observées sur un petit pourcentage des patients l’ayant reçu. Après avoir suspendu son utilisation, de nombreux pays d’Europe, dont la France, l’Italie et le Royaume-Uni, l’ont depuis réintroduit. Mais les États-Unis, qui ne l’ont pas homologué non plus, distribuent eux aussi leurs doses. «C’est un très bon vaccin», a néanmoins estimé Alain Berset lors d’une conférence de presse plus tôt ce mois. Swissmedic, l’autorité d’homologation, est indépendante et le Conseil fédéral ne peut pas influer sur ses décisions. En attendant, on ne sait pas encore si la Suisse donnera ses doses à Covax, ou si elle les vendra à bas prix.
La bonne volonté ne suffit pas
Il y a quelques jours, le G7 décidait quant à lui de donner un milliard de doses de vaccin aux pays pauvres. Mais encore faut-il que ces produits délicats parviennent aux bénéficiaires en bon état, et sans rupture de la chaîne du froid. En Afrique, des dizaines de milliers de doses périmées de vaccin ont dû être détruites, comme le révélait récemment RTS InfoLien externe.
Ainsi, selon nos confrères, 20’000 doses arrivées trop tard pour être utilisés, ont été incinérées à la mi-mai au Malawi. Le Soudan du Sud, lui, va renvoyer plus de 70’000 doses, car il ne pourra pas les administrer avant leur expiration à la mi-juillet. Au vu de la logistique impressionnante déployée dans les pays riches pour la vaccination, il est facile d’imaginer les problèmes que peut rencontrer un pays qui n’a ni les personnes, ni les frigos (voire congélateurs), ni les véhicules nécessaires pour acheminer les vaccins jusqu’au fond des campagnes.
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