La face sombre de l’eldorado suisse pour les travailleurs français
Attirés par les promesses de hauts salaires sur les réseaux sociaux, les frontaliers sont toujours plus nombreux à tenter leur chance en Suisse. Fin 2024, le nombre de travailleurs français a atteint un nouveau record de 230'000 personnes. Mais entre arnaques ciblées et difficultés à se loger, ils rencontrent toujours plus de problèmes.
Le schéma est toujours le même: il y a d’abord des vidéos sur TikTok, YouTube ou Instagram produites par des influenceurs frontaliers. Interrogés, des Français travaillant en Suisse y donnent leur salaire, en disant gagner jusqu’à trois fois plus que dans leur pays d’origine. Attirés par ces hauts revenus, de jeunes Français décident de quitter leur travail pour tenter leur chance dans notre pays.
A leur arrivée, lorsqu’ils ne trouvent pas d’emploi, certains dépensent de grosses sommes auprès d’influenceurs vendant des services d’accompagnement censés les aider à trouver un emploi. C’est ce qui est arrivé à un jeune d’Avignon arrivé il y a trois mois.
«Mes motivations principales pour venir en Suisse étaient surtout salariales, mais aussi pour bénéficier d’une évolution professionnelle», a-t-il témoigné dimanche dans l’émission Mise au point. Mais avec très peu d’expérience, ce plombier chauffagiste n’a pas trouvé de travail. Il s’est alors tourné vers un influenceur proposant un accompagnement payant.
Des influenceurs qui vantent un triplement du salaire
Le jeune Français a payé au final 2000 euros pour des informations qu’il possédait déjà, et surtout pour une nouvelle version de son CV qui s’est avérée inutilisable. «Le CV est l’un des principaux points dont ils vont se servir pour nous amadouer», raconte-t-il. «Ils nous disent qu’on n’est pas capable de faire un document aux normes suisses. Mais en fait, il n’y a pas spécialement de normes suisses et le CV qu’on m’a fourni était un simple copier-coller de ce qu’ils fournissent à d’autres clients.»
Aymeric MB est l’un de ces influenceurs frontaliers. Ce n’est pas lui qui a accompagné le jeune d’Avignon. Très actif sur les réseaux sociaux ces dernières semaines, il diffuse de nombreuses vidéos de Français donnant leur salaire suisse. Lui aussi propose un accompagnement pour, dit-il, «tripler son salaire en passant de la France à la Suisse». Selon lui, c’est au public de se responsabiliser. «Je ne pars pas du principe que mon audience est bête. Les gens sont des adultes et sont responsables. Cela serait stupide de changer toute sa vie après avoir regardé une vidéo», affirme-t-il.
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Permis G vendu 2200 euros
Si certains vendent du rêve pour mieux vendre leur service, d’autres vont encore plus loin et créent de vraies arnaques. Naher, un frontalier tiktokeur, utilise pour sa part ses vidéos pour alerter les Français sur les pièges autour de la recherche d’emploi en Suisse. Dans l’une de ses dernières publications, il mentionne une arnaque autour du permis G, le permis de travail nécessaire aux frontaliers après trois mois d’activité professionnelle. «Certains font croire que, si tu ne trouves pas de job, c’est parce que tu n’as pas de permis G. Et ils le vendent 2200 euros alors qu’il coûte normalement 80 francs suisses», explique-t-il.
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Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) dit être au courant de ces arnaques qui ciblent les frontaliers européens. «Vendre un titre de séjour ou une autorisation frontalière est évidemment totalement illégal», répond le SEM. «C’est le fait d’avoir trouvé un travail en Suisse qui permet, sur la base du contrat de travail ou d’une attestation de l’employeur, d’obtenir une autorisation frontalière, et non l’inverse comme le suggèrent les escrocs.» Le SEM dit lutter contre ces arnaques par de la prévention, mais aussi, dans certains cas, par des dénonciations pénales auprès du Ministère public de la Confédération.
Dormir dans un camping-car
Malgré ces pièges, les Français continuent de tenter leur chance en Suisse. Le nombre de travailleurs frontaliers du pays voisin est passé d’environ 95’000 en 2004 à plus de 230’000 au troisième trimestre de 2024, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique.
Ces chercheurs d’emploi du pays voisin subissent également un autre problème: la pénurie de logements, que ce soit en France voisine ou en Suisse. Certains décident alors de dormir dans des camping-cars ou dans des camions faisant office de logement. Aux Fourgs, à deux pas de la frontière française, près de Sainte-Croix, une dizaine de ces véhicules ont été regroupés récemment par la commune sur un parking. La mesure vise à éviter le camping sauvage dans les forêts avoisinantes ou sur des terrains privés.
« Je me retrouve avec d’autres infirmiers et quand on discute, on se rend compte que certains dorment même dans leur voiture. »
Une Française vivant dans son camping-car en Suisse
Une plateforme spécialement conçue pour une dizaine de camions de frontalier est en cours de construction, avec un emplacement payant et un accès à l’eau et à l’électricité. «Nous souhaitons canaliser ces gens qui vivent dans des ‘camions-logement’», explique Roger Belot, le maire des Fourgs. «Nous voulons que, au niveau de la réglementation et de l’emplacement, ces personnes ne gênent pas la vie du village». Le responsable espère que les communes environnantes développeront elles aussi des projets pour faire face au nombre grandissant de frontaliers.
«Il n’y pas assez de logements»
Pour éviter les bouchons et les longs trajets, certains travailleurs français décident d’installer leur camping-car directement sur des parkings longue durée en Suisse. Interrogée dans le cadre du reportage de Mise au point, une Française vivant dans son camping-car en Suisse romande dit ne pas trouver de logement à cause de son statut d’infirmière intérimaire. «Je me retrouve avec d’autres infirmiers et quand on discute, on se rend compte que certains dorment même dans leur voiture», raconte-t-elle. «Le problème, c’est qu’il n’y pas assez de logements. Et les locations de type Airbnb sont hors de prix.»
Ces travailleurs étrangers dormant de leur véhicule disent subir beaucoup de stress, notamment la nuit, avec des passages fréquents de policiers tapant sur les vitres et essayant de rentrer dans les véhicules. Car s’il est permis de parquer son véhicule sur un espace longue durée tant que l’on paie, il n’est toutefois pas autorisé d’y dormir. Les travailleurs et chercheurs d’emploi rencontrés disent avoir essayé d’installer leur véhicule dans les campings, mais ils essuient généralement des refus, soit par manque de place, soit par choix des propriétaires.
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En conformité avec les normes du JTI
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