«On ne va jamais se demander si les Neuchâtelois ont le droit de voter»
En année électorale, les voix des Suisses de l’étranger sont très courtisées. Leur participation à la vie politique suisse est toutefois régulièrement critiquée. swissinfo.ch en a débattu avec la directrice de l’Organisation des Suisses de l’étranger Ariane Rustichelli et le politologue Nenad Stojanovic.
Contrairement à certains pays voisins, la Suisse ne limite pas le droit de vote de sa diaspora. Même celles et ceux qui ont quitté le pays depuis plusieurs générations peuvent continuer à participer à la vie politique helvétique. Une pratique que le politologue Nenad Stojanovic questionne. «D’un point de vue démocratique, ce n’est pas forcément logique que des gens qui n’ont jamais vécu en Suisse puissent y voter, alors que la population étrangère qui vit en Suisse n’a pas le droit de le faire», estime-t-il.
Le politologue rappelle que certains pays démocratiques limitent la participation politique de leurs citoyennes et citoyens à l’étranger. C’est notamment le cas de l’Allemagne, qui n’accorde pas le droit de vote à celles et ceux qui ont quitté le pays depuis plus de 25 ans. «Par exemple, mon épouse a le passeport allemand, mais elle n’a jamais vécu dans le pays. Elle ne peut donc pas y voter. La logique de cette limitation est qu’une personne exerce ses droits politiques où elle habite et paie ses impôts», explique Nenad Stojanovic.
Des attaques régulières
Ce raisonnement a été à la base de plusieurs attaques contre le droit de vote des Suisses de l’étranger au cours des dernières années. En 2017, le sénateur libéral-radical Andrea Caroni avait notamment déposé une interpellation pour demander de retirer le droit de vote aux expatrié-e-s qui ont quitté le pays depuis un certain temps. En 2015, les Suisses de l’étranger avaient aussi été accusés d’avoir fait pencher la balance en faveur de l’introduction d’une redevance radio et TV généralisée, alors même qu’ils ne paient pas cette redevance comme leurs compatriotes restés au pays.
Ces critiques s’inscrivent dans un contexte où la diaspora helvétique ne cesse de croître. Au cours des 25 dernières années, le nombre de Suisses de l’étranger ayant le droit de vote a plus que triplé. Un poids électoral qui suscite convoitises et grincements de dents.
La directrice de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) Ariane Rustichelli rappelle toutefois que ces personnes partent aujourd’hui moins longtemps que par le passé et gardent des liens étroits avec la Suisse. «Le visage de la migration a complètement changé depuis environ 30 ans. Les gens s’en vont pour quelques années et reviennent», note-t-elle.
Quant aux Suisses de l’étranger de deuxième ou de troisième génération, plus déconnectés de leur pays d’origine, elle constate que ces personnes s’imposent elles-mêmes des limites. «Cette catégorie de personnes s’autocensure souvent lorsque nous votons sur des sujets qui ne les concernent pas directement. Elle vote davantage sur des questions internationales, par exemple sur le thème de la migration», dit-elle.
La directrice de l’OSE constate aussi que cet électorat manifeste une grande confiance envers le gouvernement. «Il soutient donc généralement les institutions semi-étatiques comme la Société Suisse de radiodiffusion et télévision (SSR / dont fait partie swissinfo). Raison pour laquelle la Cinquième Suisse a voté en faveur de la redevance généralisée en 2015 ou contre l’initiative pour la suppression de la redevance en 2018», commente-t-elle.
Ariane Rustichelli se bat pour que les Suisses de l’étranger soient sur un pied d’égalité avec leurs compatriotes restés au pays. «Sur 800’000 Suisses établis à l’étranger, quelque 200’000 sont inscrits sur un registre électoral. Cela correspond à la taille du corps électoral du canton de Neuchâtel. On ne va pourtant jamais se poser la question de savoir si oui ou non les Neuchâtelois ont le droit de voter», argumente-t-elle.
Des voisins plus généreux
Si l’Allemagne restreint la participation politique de sa diaspora, d’autres voisins de la Confédération lui donnent davantage de pouvoir. L’Italie et la France disposent de circonscriptions électorales spécifiques pour leurs ressortissant-es à l’étranger, qui peuvent ainsi élire quelqu’un pour les représenter au Parlement. Le concept ne convainc toutefois pas Nenad Stojanovic. «C’est une décision politique que l’on peut prendre, mais cela pose des problèmes. En Italie, beaucoup de gens se demandent pourquoi quelqu’un qui habite en Argentine peut siéger au Parlement italien.»
Ariane Rustichelli n’est pas contre l’idée d’une circonscription électorale pour la Cinquième Suisse, mais reconnaît que sa mise en place poserait des problèmes. «Il faudrait changer la Constitution. En outre, cela impliquerait de regrouper un électorat qui n’a rien en commun, hormis d’avoir quitté le pays. Les Suisses de l’étranger ne forment pas une population homogène», relève la directrice de l’OSE.
Ni plus ni moins de pouvoir
Il est improbable que la création d’une circonscription dédiée aux Suisses de l’étranger parvienne à réunir une majorité politique en Suisse. Toutefois, la participation de la Cinquième Suisse ne devrait pas non plus être restreinte. «Je suis souvent en contact avec des parlementaires qui trouvent problématique que quelqu’une qui habite depuis 20 ans à l’autre bout du monde puisse voter, mais personne ne va le dire ouvertement. Personne n’a intérêt à se positionner contre cet électorat», affirme Nenad Stojanovic.
En année électorale, c’est plutôt l’inverse: les voix de la diaspora sont convoitées. «Depuis les élections fédérales de 2015, dans beaucoup de cantons, les partis ont proposé des listes de Suisses de l’étranger», remarque le politologue.
L’intérêt pour la Cinquième Suisse est-il ainsi voué à disparaître après les élections fédérales du 22 octobre 2023? «Non, répond Ariane Rustichelli, nous travaillons sans relâche avec les 80 parlementaires qui défendent nos intérêts. De plus, cinq des six principaux partis politiques suisses ont désormais une section internationale.»
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