Quand les soucoupes volantes s’invitent dans les dossiers militaires suisses
Depuis les années 1950, de nombreux pays traquent les objets volants non identifiés. Ils ont mis sur pied des programmes secrets de recherche sur les OVNI. En Suisse également, l’armée a collecté des informations. La RTS a pu consulter les dossiers «soucoupes volantes» du service de renseignement des forces aériennes.
À Berne, le bâtiment des archives fédérales abrite des millions de documents. On y trouve des dossiers officiels, des rapports administratifs, mais aussi les secrets de la Confédération. C’est dans ce lieu que sont conservées les archives relatives aux objets volants non identifiés (OVNI). Elles proviennent de l’armée, des polices cantonales ou des ambassades suisses à travers le monde. Ces archives ont presque toutes été digitalisées et sont accessibles en ligne.
Parmi ces archives, plusieurs classeurs fédéraux viennent directement des forces aériennes suisses. Ces archives sont regroupées dans des chemises vert délavé, dont certaines portent l’intitulé «Fliegende Teller» (soucoupe volante).
Des fiches d’annonces précises
Dans le dossier militaire «E5465B» de 1954, le service de renseignement des forces aériennes informe les pilotes et certains fonctionnaires de la marche à suivre en cas d’observation d’OVNI en Suisse. On peut y lire: «Directives concernant l’établissement des questionnaires des objets non identifiés (…) Il n’est pas question pour nous de rechercher la composition, la provenance ou la destination de ces apparitions. Notre tâche consiste plutôt à enregistrer ces phénomènes dans un système ordonné.»
Il y a également des fiches d’annonces d’observation traduites en trois langues. Ces formulaires ont pour objectif d’enregistrer méthodiquement et précisément toutes les observations d’objets volants non identifiés. On y trouve des rubriques telles que: «position de l’OVNI / direction / élévation (…) taille par rapport au disque lunaire / propulsion apparente (p.ex. fumée) / forme / vitesse».
L’émission de la RTS Mise au point a pu contacter une dizaine d’anciens pilotes de l’armée suisse. Plusieurs confirment l’existence de ces fiches d’annonces. Ils affirment que ces formulaires de signalement étaient utilisés jusque dans les années 1990. Ces documents étaient stockés dans le bureau du chef de service de vol (CSV). Malheureusement, seule une petite partie de ces documents ont été archivés, les autres ont été détruits.
Une annonce intrigante en hiver 1971
Dans les archives fédérales, l’enquête de Mise au point a permis de retrouver une poignée de ces formulaires remplis. Ils concernent des observations effectuées par des militaires ou des fonctionnaires du Département de la défense. L’annonce la plus intrigante remonte à l’hiver 1971. Un même objet volant a été rapporté dans trois documents militaires distincts.
Dans le premier document, deux officiers à bord d’un avion militaire Mirage III observent, durant un vol de nuit le 23 février au-dessus d’Interlaken, un «heller Lichtpunkt» (un point lumineux) se déplaçant rapidement. Les mouvements sont décrits comme impossibles à réaliser pour un appareil militaire de l’époque. «L’objet lumineux s’est déplacé avec un mouvement ondulé, comme un serpent, puis a disparu.»
Dans un second rapport militaire, c’est un autre pilote qui affirme avoir vu le même OVNI quelques heures plus tard. Cette fois-ci, il est aperçu au-dessus de Winterthour. Un schéma dessiné par le pilote accompagne le rapport pour expliquer les déplacements et la taille de l’objet lumineux. L’observation dure plusieurs dizaines de minutes.
Enfin, trois jours plus tard, l’OVNI est à nouveau observé par un pilote de Mirage III. Le militaire a, lui aussi, rempli un rapport. On y lit: «Au début, j’ai cru que c’était un avion avec ses phares d’atterrissage allumés volant vers moi, mais j’ai soudain réalisé que l’objet lumineux restait immobile. (…) Puis, j’ai remarqué une sorte de traînée de condensation, mais avec un angle d’ouverture d’environ 90 degrés, qui ressemblait à un cône de puissance. (…) L’objet lumineux s’est déplacé et a disparu».
Aucune explication scientifique
Avec ces rapports militaires, aucune explication scientifique n’a été apportée quant à la nature de cet objet. Pour ajouter une part de mystère, les documents originaux ont disparu. La bibliothèque de la place Guisan, ancienne bibliothèque militaire fédérale, précise: «Nous n’avons qu’une copie du dossier; l’original est introuvable».
Ces copies de rapports d’observation ont été anonymisées, les noms des pilotes effacés par l’administration fédérale. L’émission Mise au point a pu retrouver un ancien pilote de Mirage III actif durant cette période. Michel Perdrisat, 79 ans, était pilote militaire de 1970 à 1981 pour l’escadrille 17 sur ce type d’appareil. L’ancien officier se souvient de cette affaire: «Nous avions parlé de ces observations au sein de l’escadrille. Une hypothèse était la rentrée d’un satellite sur Terre qui se désintègre dans l’atmosphère. Cela ne collait toutefois pas avec la durée des observations, bien trop longues. C’est un vrai mystère. Cela ne veut pourtant pas dire que ce phénomène inexpliqué est une soucoupe volante. Nous, les pilotes, nous sommes cartésiens. Il y a forcément une explication rationnelle.»
Un caractère unique et mystérieux
Un des pilotes qui a rédigé ces rapports militaires est l’ancien commandant Ernst Gmünder. Contacté par téléphone, cet ancien pilote se souvient de cette observation durant l’hiver 1971. Il ne croit pas aux extra-terrestres, mais il confirme le caractère unique et mystérieux de cet objet lumineux. Plus de 50 ans après les faits, le pilote avoue ne plus se souvenir des détails, ni de la réponse de la hiérarchie militaire à son rapport.
Officiellement, l’armée suisse affirme ne s’être jamais intéressée aux OVNI. La porte-parole du Département fédéral de la défense Delphine Schwab-Allemand explique que l’armée n’a pas de programme spécifique. «L’armée suisse n’a pas et n’a jamais eu la mission de recueillir des informations ou des documents sur les OVNI.»
«Après chaque vol, il est standard d’effectuer un débriefing, ceci inclut un compte rendu. Les informations sur les OVNI n’ont pas été collectées spécifiquement. Ce n’est qu’après coup que les différents comptes rendus ont été classés par catégories. C’est dans ce contexte que les dossiers des archives fédérales sur les OVNI doivent être compris», précise-t-elle.
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Des appareils espions?
Dans les archives, il n’y a ni photo ni vidéo de soucoupes volantes. En plus des dossiers militaires, l’administration a également conservé des dizaines de courriers et des documents transmis par des citoyens. Ce sont souvent des lettres envoyées par le public aux autorités, parfois sérieuses, parfois loufoques. Certains citoyens s’inquiètent de la présence d’extra-terrestres en Suisse ou des pseudo-scientifiques souhaitent aider le gouvernement à traquer les OVNI.
Dans les archives, la majorité des observations ont une explication très cartésienne. Dans un dossier intitulé «Ausländische Luftraumverletzungen», l’armée a par exemple identifié cinq violations de l’espace aérien par des appareils étrangers début 1981. Il s’agissait d’avions militaires français, italiens et américains qui survolaient le territoire par erreur.
Reste que, parfois, l’origine de l’avion n’était pas identifiée. À l’époque de la Guerre froide, les soupçons se portaient sur des appareils-espions russes ou américains. En 1975, un rapport déclassifié indiquait par exemple qu’un avion américain menait des expériences non autorisées au-dessus de la Suisse: «Un Douglas DC3, apparemment modifié, remorquait un câble d’une cinquantaine de mètres avec un cylindre blanc de 3-4 mètres de longueur et 30 cm de diamètre. (…) Il pourrait s’agir d’un magnétomètre pour effectuer des mesures de champ magnétique».
La vérité est ailleurs
Des observations de citoyens ou de fonctionnaires sont prises très au sérieux par l’armée et font l’objet de réponses officielles: «Nous avons transmis votre lettre concernant l’observation de phénomènes extraterrestres au service de l’aviation et de la DCA, qui examine de près toute communication semblable».
Certaines fois, l’armée a pu identifier la nature de ces observations. Des rapports font état de ballons météo ou de radiosondes. Des objets qui sont parfois faussement considérés comme des preuves de la présence extraterrestre par les citoyens. À plusieurs reprises, des débris de radiosondes ont été retrouvés par le public et confiés aux polices cantonales.
Il y a toutefois de nombreuses observations militaires ou civiles qui ne trouvent pas de réponse. Une part de mystère reste donc enfouie dans les archives fédérales. La vérité est peut-être ailleurs.
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