Les nombreuses histoires des expatriés suisses en Nouvelle-Zélande
Qu'est-ce qui a poussé des milliers de Suisses à émigrer à l'autre bout de la planète? Dans son livre Swiss Settlers in New Zealand, Joan Waldvogel, chercheuse née en Suisse, retrace l'histoire des Suisses installés en Nouvelle-Zélande.
Le peintre John Webber, fils d’un sculpteur bernois, est le premier Suisse à avoir émigré en Nouvelle-Zélande. James Cook l’a engagé en 1776, lors de sa dernière expédition dans le Pacifique. Des milliers d’autres Suisses ont ensuite franchi le pas. Dans son ouvrage Swiss Settlers in New Zealand – a history of Swiss immigration to New Zealand, la sociologue Joan Waldvogel retrace, à travers 400 pages, la vie des émigrés suisses des années 1860 à nos jours.
Joan Waldvogel, Swiss Settlers in New Zealand – a history of Swiss immigration to New Zealand, Peter Lang Editions, Berlin, 2018. Le père de Joan Waldvogel a émigré en Nouvelle-Zélande au milieu des années 1920. L’auteure est titulaire d’un doctorat en linguistique appliquée. Elle écrit actuellement un nouveau livre sur les Suisses installés en Nouvelle-Zélande.
swissinfo.ch: Parmi les nombreuses biographies que vous avez étudiées, y en a-t-il une en particulier qui vous a marqué?
Joan Waldvogel: J’aimerais en mentionner deux. Celle d’Antonio Zala et de Heinrich Suter, deux hommes qui ont poursuivi leurs rêves toute leur vie, avec un succès néanmoins modeste. Originaire du Tessin, Antonio Zala a émigré en Nouvelle-Zélande à la fin des années 1860. C’était un chercheur d’or, de petite taille, mais avec une force herculéenne et un grand courage. Il aurait découvert le filon aurifère de Lyell, sur l’île du Sud, non loin de la côte ouest. Un village de chercheurs d’or a même pris son nom: Zalatown, aujourd’hui une ville fantôme.
Ceux qui, comme lui, ont suivi la ruée vers l’or ont dû lutter contre la nature sauvage dans des régions montagneuses difficiles d’accès. Antonio Zala a passé sept années interminables à creuser un tunnel de 1000 pieds dans la roche avec une pioche et une pelle pour atteindre le filon aurifère. Lorsque, à la fin de 1893, un journaliste lui demande comment il peut survivre seul dans un endroit aussi sauvage, il répond qu’il lit les poèmes de Pétrarque tous les soirs à la lueur d’une bougie et les entonne ensuite comme une chanson nocturne. Malgré tous les efforts déployés, Antonio Zala ne connaît pas la prospérité. Il meurt dans la misère en 1902.
Heinrich Suter était, lui, un érudit…
Oui, Heinrich Suter a émigré, en 1886, avec son épouse et leurs sept enfants. Avant cela, il a suivi une formation de chimiste et travaillé dans la fabrique de soie familiale, dont il reprend la direction. Au milieu des années 1880, l’entreprise fait faillite. Heinrich Suter doit trouver de nouvelles perspectives. Il émigre en Nouvelle-Zélande, où il espère s’en sortir grâce à son vif intérêt pour la nature, en particulier pour les mollusques.
Les Suter quittent leur confort zurichois. Ils abandonnent leur statut social élevé ainsi que leur grande maison tenue par des domestiques. Pour économiser de l’argent, ils voyagent en troisième classe, se mêlant aux gens ordinaires. Au début, la famille compte vivre de son potager, alors que Henry – on l’appelle désormais ainsi en Nouvelle-Zélande – cherche un emploi dans une université ou un musée. Mais la terre se révèle peu fertile. Le scientifique doit trouver un autre moyen de nourrir la grande famille. Bien que rapidement reconnu par le milieu scientifique grâce à ses études sur les mollusques, il ne trouve du travail que sporadiquement. En 1913, peu avant sa mort, Henry Suter publie un ouvrage sur les mollusques de Nouvelle-Zélande.
Avec la fin de la ruée vers l’or, les raisons de l’émigration changent. Qu’est-ce qui motive les Suisses à s’installer en Nouvelle-Zélande?
De 1870 jusqu’à la Première Guerre mondiale, de nombreux Suisses souhaitent acquérir leur propre exploitation agricole, un rêve aussi grand que celui de l’or. Au cours de cette période, les Suisses s’installent principalement dans la région du volcan Taranaki. Le premier, Felix Hunger, originaire des Grisons, s’y établit en 1870. Il revient chercher son épouse en Suisse et retourne en Nouvelle-Zélande en 1875 avec 24 autres compatriotes pour fonder la première communauté helvétique. Beaucoup d’autres suivent, qui attirent à leur tour d’autres parents et connaissances.
Au cours des 150 dernières années, des milliers de Suisses ont émigré en Nouvelle-Zélande. Comment ont-ils contribué à façonner le pays?
Bien qu’ils n’aient jamais constitué un grand groupe, leur contribution a été très importante. Dans les premières années de la colonisation, les entreprises pionnières de certains Suisses ont permis d’ouvrir de nouvelles voies dans des régions inaccessibles. JaKob Lauper, par exemple, a été chargé de trouver un passage reliant la côte est à la côte ouest de l’île du Sud. De plus, les premières ascensions des plus hautes montagnes néo-zélandaises portent le nom de migrants suisses. Lesquels ont également joué un rôle clé dans le développement de l’industrie laitière dans la région de Taranaki.
En 1886, près de la moitié des 393 Suisses de Nouvelle-Zélande s’étaient installés sur l’île du Sud. En 1916, 89% des 670 Suisses vivaient sur l’île du Nord, dont près de la moitié à Taranaki. Aujourd’hui, la plupart des Helvètes (78%) résident sur l’île du Nord, principalement dans les zones urbaines. Les personnes d’origine suisse représentent actuellement 0,07% de la population totale (près de 5 millions d’habitants).
Et quelle a été la contribution des Suisses dans l’après-guerre?
A partir des années 1960, de nombreux agriculteurs ont émigré. Leur arrivée a favorisé le développement de l’élevage d’animaux domestiques en Nouvelle-Zélande, en particulier de bovins et de moutons. D’autres ont promu le secteur du tourisme en ouvrant des hôtels et des restaurants. La Nouvelle-Zélande a également bénéficié de l’excellente expertise des artisans et commerçants suisses, transmise à la population locale via les entreprises qu’ils ont fondées. Les scientifiques, écrivains et artistes helvétiques ont également légué un héritage précieux, tel que l’ouvrage d’Henry Suter, considéré aujourd’hui encore comme la publication la plus importante sur les mollusques en Nouvelle-Zélande.
(Traduction de l’allemand: Zélie Schaller)
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.