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Une Suissesse du Liban parle de l’«insécurité totale» qui y règne

Beyrouth
Le 16 octobre, l'armée de l'air israélienne a mené une attaque sur Dahieh, une banlieue au sud de Beyrouth. Keystone

La situation au Moyen-Orient est toujours extrêmement tendue. Les affrontements entre Israël et la milice pro-iranienne du Hezbollah se poursuivent. Une ressortissante suisse qui vit au Liban décrit son vécu du conflit.

Après une pause de près d’une semaine, Israël a repris mercredi ses attaques sur les banlieues de la capitale libanaise Beyrouth et le sud du pays, en dépit de vives critiques de la part des États-Unis. Au moins cinq victimes, dont le maire d’une petite ville, ont été dénombrées.

De son côté, le Hezbollah a tiré mardi une salve d’une vingtaine de roquettes sur le nord d’Israël. Aucun bilan sur d’éventuelles victimes n’a été communiqué à ce stade.

Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), environ un quart du Liban a été appelé à évacuer par Israël. Près de 20% des plus de cinq millions d’habitants du pays ont déjà été déplacés, indique l’UNHCR.

swissinfo.ch a pu s’entretenir avec Maha Weber, une Suissesse retraitée depuis peu, domiciliée depuis six ans au Liban, non loin de Beyrouth.

swissinfo.ch: Quelle est la situation dans le village où vous vivez?

Maha Weber: Heureusement, je vis dans un endroit un peu en retrait, à une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth. J’entends les avions de chasse israéliens tous les jours. Mardi, j’ai entendu les drones israéliens survoler ma région pendant des heures.

Je peux voir Beyrouth depuis chez moi. Parfois, le soir, je vois les bombardements sur la capitale depuis ma fenêtre. J’en souffre beaucoup. Je pense à ce que ressentent les personnes civiles, les familles, sous ces bombes.

Comment le gérez-vous?

Mal. Je ne peux pas dire autre chose. Le mélange de sentiments d’impuissance, d’injustice et d’arbitraire est difficile à supporter. Soutenir les personnes déplacées dans les écoles voisines et téléphoner à ma famille, mes amis et mes connaissances, au Liban et en Suisse, m’aide parfois à me calmer.

Êtes-vous soumise à des restrictions là où vous vivez depuis le début des attaques israéliennes?

Non, mais on a pris des mesures de sécurité. Je me déplace peu, et si c’est le cas, c’est vers le nord. En tout cas je ne vais plus à Beyrouth, même si c’est là que vivent la plupart de mes amis ici.

Que vous racontent vos amis? Comment ces personnes font-elles face?

Après un an à observer ce que l’armée israélienne a fait à Gaza, les Libanais et Libanaises craignent le pire pour leur pays. Je remarque que certaines personnes sont extrêmement stressées et ont soit des accès de colère, soit des crises d’angoisse. D’autres sont très réservées et n’en parlent pas du tout. La plupart se sentent impuissantes, beaucoup se demandent ce qu’elles vont faire et ce que va devenir le Liban. Il règne une insécurité totale.

Connaissez-vous aussi des personnes qui vivent en Israël?

Non, aucune.

Connaissez-vous d’autres Suisses qui vivent au Liban, et êtes-vous en contact?

Je connais quelques personnes, mais nous n’avons pas eu de contact récemment.

La représentation suisse sur place a-t-elle pris contact avec vous?

Oui, plusieurs fois par courriel. Sa recommandation est de quitter le Liban par ses propres moyens, à ses risques et à ses frais.

Comment vous informez-vous sur la situation actuelle? Où trouvez-vous des informations fiables?

Dans les médias internationaux et locaux, ainsi que sur les réseaux sociaux. Je m’informe au moins dix fois par jour sur la situation.

«L’évolution de la situation est très incertaine et une détérioration significative de la situation sécuritaire dans toutes les régions du pays est possible à tout moment», écrit le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) sur son site internetLien externe.

«Les voyages à destination du Liban sont déconseillés. Le DFAE recommande aux personnes de nationalité suisse de quitter le pays par leurs propres moyens. La décision de quitter le pays est prise volontairement, aux risques et aux frais de la personne qui quitte le pays. Utilisez donc les moyens de transport commerciaux disponibles. La Suisse n’a pas l’intention de procéder à un départ organisé pour les ressortissants suisses.»

Quatre cents Libanaises et Libanais qui vivent en Suisse ont contacté le Conseil fédéral pour réclamer que la Confédération joue son rôle de médiatrice internationale au Liban en veillant au respect du droit international humanitaire. Qu’en attendent-ils?

Je ne sais pas ce qui se passe dans les coulisses diplomatiques mais je pense que la Suisse, en tant qu’État dépositaire et signataire des Conventions de Genève, devrait être plus proactive dans ce conflit au Moyen-Orient et ne pas se contenter de déclarations.

Israël combat le Hezbollah, lequel agit depuis le Liban. Comment le rôle de cette milice est-il perçu dans le pays?

Le Liban est divisé sur la question du Hezbollah. Mais face à l’ampleur des bombardements, au nombre de victimes civiles et aux villages détruits par Israël, il y a eu une grande vague de solidarité avec les personnes déplacées qui ont dû fuir leur domicile en urgence, parfois même encore en pyjama.

Si l’on prête attention aux objectifs et aux déclarations de Netanyahou et des membres de son gouvernement d’extrême droite, il ne s’agit pas seulement du Hezbollah. Ils menacent le Liban entre autres de «destructions comme à Gaza».

Il s’agit d’une catastrophe humanitaire, une part importante de la population libanaise a dû fuir. Le Liban n’a pas d’argent et dépend de l’aide internationale, mais il y a beaucoup d’initiatives privées, à ce jour au moins. C’est formidable.

Comme vous le dites, la situation économique et politique au Liban est très compliquée. Voyez-vous votre avenir dans ce pays?

Je suis déchirée intérieurement. Ce qui m’inquiète, et qu’il faut souligner, c’est qu’Israël bombarde uniquement des endroits habités par des chiites. Je m’interroge: est-ce une stratégie visant à créer un terrain propice à un conflit confessionnel?

Tant les populations qui accueillent les réfugiés que celles qui ont dû fuir souffrent des conséquences d’une grave crise financière et économique, causée par la corruption et la mauvaise gestion de l’élite politique. Les ingrédients pour de futurs problèmes sont réunis.

Mes projets sont incertains. La seule chose à laquelle je me raccroche en ce moment, c’est la perspective de mon voyage dans ma seconde patrie, la Suisse, prévu le mois prochain. Je veux me sentir en sécurité, entourée de ma famille et de mes amis. J’attends avec impatience la date du départ, bien que j’aie en même temps peur qu’Israël puisse bombarder l’aéroport de Beyrouth.

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg, traduit de l’allemand par Pauline Turuban/rem

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