Comment le ciment prépare sa révolution écologique
La production de ciment génère plus d'émissions de gaz à effet de serre que le trafic aérien. Certaines solutions développées en Suisse - l'un des pays où la consommation de ciment est la plus élevée - pourraient contribuer à rendre le secteur de la construction plus respectueux de l'environnement.
Il y a la Chine, les États-Unis et puis… le ciment. S’il s’agissait d’un pays, l’industrie mondiale du ciment se classerait au troisième rang des pays les plus polluants. Les plus de 4 milliards de tonnes de ce matériau produits chaque année représentent environ 8% des émissions mondiales de CO2. Le ciment pollue plus que les avions et les navires marchands.
Comme celui des transports, le secteur de la construction est également sommé de réduire son impact environnemental. L’Association mondiale du ciment et du béton entend atteindre la neutralité climatique d’ici 2050Lien externe. Une transition tout sauf simple, d’autant plus que la production de ciment – stimulée par le boom de la construction dans les pays émergents et en développement, notamment en Asie – est appelée à augmenter.
Pourquoi le ciment génère-t-il des émissions?
Le ciment est une poudre grise qui, mélangée à de l’eau et des granulats (par exemple du sable ou du gravier), agit comme un liant qui est ensuite utilisé dans la fabrication du béton. Le principal composant du ciment est le clinker, un matériau fabriqué par la cuisson de roches riches en calcaire et en argile.
Les deux tiers des émissions de ciment sont générés lors de la réaction chimique qui est à la base de la fabrication du clinker. Un tiers des émissions provient des combustibles fossiles utilisés pour chauffer la roche dans les fours. Le clinker se forme à une température d’environ 1450 °C.
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Sortir de la pauvreté grâce au béton
Avec une part de marché respective de 53% et 8% (données de 2018), la Chine et l’Inde sont les plus importants producteurs de ciment au monde. Entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé davantage de ciment que les États-Unis durant tout le XXe siècle.
Le béton présente de multiples avantages: il est bon marché, peut être produit partout et facilement, et est extrêmement polyvalent, note Karen Scrivener, professeure et directrice du Laboratoire des matériaux de construction de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
«C’est un matériau indispensable qui joue un rôle central dans la modernisation de la planète et contribue à sortir les gens de la pauvreté», affirme-t-elle dans une interview au magazine spécialisé HochparterreLien externe.
Un Suisse utilise 584 kg de ciment par an
Les images des brochures touristiques sont parfois trompeuses: la Suisse n’est pas seulement synonyme de nature et de vertes prairies. Elle abrite la multinationale LafargeHolcim, troisième producteur mondial de ciment et fait également partie des pays qui utilisent proportionnellement le plus de ciment, souligne David Plüss, porte-parole de l’association de branche cemsuisseLien externe.
«La consommation relativement élevée de ciment est liée au fait que la Suisse dispose d’une infrastructure bien développée et bien entretenue. L’utilisation du béton est essentielle pour la distribution de l’eau, du gaz et de l’électricité. On le retrouve par exemple dans les barrages hydro-électriques, ainsi que dans les centrales d’élimination des déchets», explique-t-il à swissinfo.ch
Avec 584 kg par an, l’utilisation de béton par habitant en Suisse est plus de deux fois plus élevée qu’aux États-Unis, au Brésil ou en France.
Comment réduire les émissions du ciment?
Les six cimenteries nationales sont responsables d’environ 5% des émissions de gaz à effet de serre indigènes. La solution la plus simple pour réduire leur impact sur le climat est de remplacer les combustibles fossiles qui alimentent les fours. Cela peut se faire notamment avec les déchets ménagers ou industriels tels que la biomasse, les vieux pneus, le plastique ou les boues d’épuration. Par rapport à 1990, l’industrie suisse du ciment a réduit de deux tiers les émissions provenant des combustibles fossiles, indique cemsuisse.
Il est en revanche plus difficile de réduire les émissions générées par la réaction chimique nécessaire à la fabrication du clinker, note David Plüss. «Les seules alternatives sont la réduction de la proportion de clinker dans le ciment, la quantité de ciment dans le béton ou l’utilisation du béton en général». Le béton, ajoute-t-il, peut être recyclé indéfiniment. Une fois broyé, il peut être utilisé comme substitut du gravier dans le nouveau béton. Le recyclage du ciment, en revanche, est impossible.
En agissant à tous les niveaux, une réduction de 80% des émissions est envisageable, estime David Plüss. Pour atteindre la neutralité climatique dans le secteur, il sera donc nécessaire d’utiliser des technologies pour capturer et stocker le CO2 produit par les cimenteries, ajoute-t-il.
Du ciment suisse en Colombie et en Côte d’Ivoire
En Suisse, le ciment Portland – le ciment le plus utilisé au monde, avec une teneur en clinker de 95% – est de plus en plus remplacé par d’autres types de ciment, qui émettent moins de CO2, explique le porte-parole du cemsuisse. «Le pourcentage moyen de teneur en clinker sur le marché suisse est de 74%. L’objectif est de descendre à 60% d’ici 2050. Le défi consiste à réduire le clinker tout en conservant les caractéristiques du produit, à savoir la stabilité et la résistance du ciment».
A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), Karen Scrivener et son groupe de recherche ont mis au point un ciment dans lequel le pourcentage de clinker est limité à 50% grâce à l’utilisation d’argile et de calcaire, deux matériaux présents en abondance. Appelé LC3Lien externe (Limestone Calcined Clay Cement), il permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% tout en conservant les caractéristiques du Portland.
«Le défi consiste à réduire le clinker tout en conservant les caractéristiques du produit, à savoir la stabilité et la résistance du ciment»
David Plüss, cemsuisse
A l’heure actuelle, le LC3 est produit à des fins commerciales dans deux usines en Colombie et en Côte d’Ivoire. «Nous travaillons avec de nombreuses entreprises dans différents pays. Il y a un vif intérêt en Égypte, au Malawi et dans d’autres pays africains. Plusieurs grandes entreprises ont l’intention de lancer des essais en Europe», explique Karen Scrivener à swissinfo.ch.
Grâce à ce ciment, qui a été développé en collaboration avec des universités cubaines et indiennes, il serait possible d’éviter le rejet dans l’atmosphère d’une quantité de CO2 équivalente à dix fois les émissions annuelles de la Suisse, estime-t-elle.
Le Laboratoire suisse d’essai des matériaux et de recherche (Empa) travaille pour sa part au développement d’un ciment alternatifLien externe à base de magnésium. Sa particularité: il génère non seulement moins d’émissions, mais il peut également fixer le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère.
Du béton sans ciment
Oxara, une spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ), entend pour sa part révolutionner l’industrie de la construction avec un béton sans ciment (Cleancrete) fabriqué à partir de matériaux d’excavation en argile et d’un additif chimique spécial.
L’objectif est de proposer un matériau de construction durable et financièrement accessible dans le monde entier, y compris dans les pays du Sud, explique Gnanli Landrou, fondateur d’Oxara. Le béton propre est 20% moins cher que le béton traditionnel et les émissions sont réduites d’environ 25 fois.
Dans l’article suivant, Gnanli Landrou montre comment il fabrique du béton sans ciment:
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Une start-up suisse veut construire des maisons durables pour tous
L’inconvénient du Cleancrete est qu’il résiste moins bien à la compression et ne permet donc pas de construire en hauteur, note le fondateur d’Oxara. Actuellement, le principal défi consiste à convaincre l’industrie de la construction et de trouver des financements.
«En principe, nous sommes toujours intéressés par une collaboration avec des start-up et nous finançons une chaire de construction durable à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich», a récemment affirmé Christian Wengi, responsable du marketing chez Lafarge-Holcim, interviewé par la télévision suisse alémanique SRF.
Une forêt grande comme une fois et demie l’Inde
Construire avec d’autres matériaux est certainement possible. «Architectes pour l’Avenir», un groupe affilié au mouvement de la Grève du Climat, rappelle qu’il existe des solutions plus écologiques que le béton, comme le bois, la paille ou la terre.
Aux yeux de Karen Scrivener, le béton reste cependant un matériau de construction indispensable. D’autres matériaux impliquent des coûts plus élevés et aussi plus d’émissions, estime-t-elle
«Je n’ai rien contre le bois, bien au contraire. Cependant, il est irréaliste de penser qu’il peut remplacer le béton dans le monde entier. Pour remplacer seulement 25% du béton produit chaque année, il faudrait une forêt une fois et demie plus grande que l’Inde», affirme-t-elle.
Il est toutefois possible d’utiliser moins de béton et d’économiser jusqu’à la moitié des matériaux dans certaines constructions, souligne-t-elle. «L’attitude de l’industrie a beaucoup changé ces dernières années et elle s’est engagée à atteindre la neutralité climatique. Souvent, les obstacles ne sont pas technologiques, mais logistiques: les acteurs de la chaîne de production sont si nombreux et interconnectés qu’il est difficile de communiquer les nouvelles à tous les niveaux. Par exemple, un architecte ne sait pas toujours qu’il peut faire le même travail avec moins de matériaux».
Il ne s’agit pas d’un manque de volonté, souligne l’experte. «Simplement, les gens sont habitués à faire les choses d’une certaine manière et il faudra du temps pour que cela change».
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