La chimie bâloise assainira la décharge de Bonfol
Après huit ans de rebondissements, le dernier obstacle à l'assainissement du site de Bonfol, dans le canton du Jura, a été levé. La chimie bâloise a accepté les conditions des écologistes.
Le déblocage de ce dossier est un pas supplémentaire que fait la Suisse pour effacer les erreurs écologiques du passé. Elle compte 3000 à 4000 sites potentiellement dangereux.
De querelles d’experts en rapports contradictoires, la dépollution de la décharge de Bonfol est l’un des feuilletons écologiques qui a marqué la Suisse ces dernières années. Situé entre la commune jurassienne de Bonfol et la frontière française, le site a été occupé à de nombreuses reprises par Greenpeace.
Grand comme deux terrains de football, il recèle 114’000 tonnes de déchets industriels. Ceux-ci ont été enfouis dès 1961, principalement par la chimie bâloise, mais aussi par l’armée. Au final, ce sont les groupes de l’industrie chimique qui assureront l’assainissement.
Rassemblés au sein de bci Betriebs-AG, huit d’entre eux – et pas des moindres puisqu’y figurent notamment Novartis, Roche ou Syngenta – ont en effet accepté mi-janvier devant la justice jurassienne la plupart des conditions posées par les derniers opposants à leur projet, Greenpeace en tête.
Coût total: 350 millions de francs
Il aura fallu huit ans au total pour que ce dossier se débloque. La première salve contre la chimie avait été lancée en 2000 par le canton du Jura et par Philippe Roch, alors directeur de l’Office fédéral de l’environnement.
En 2005, une importante étape avait été franchie. La chimie avait alors accepté de supporter les frais d’assainissement sans exiger de participation de la part des collectivités publiques. Après avoir demandé leurs propres expertises, ces dernières s’étaient rangées aux côtés de bci.
Restait Greenpeace, dont la plupart des exigences liées à la protection de l’air et de l’eau ont finalement été acceptées par la chimie bâloise.
Si elle a cédé, c’est, à l’en croire, pour aller de l’avant. «Le plan d’assainissement tel qu’on l’avait présenté était soutenu par les autorités fédérales et cantonales. Si on avait été jusqu’au bout, la justice aurait tranché en notre faveur», assure ainsi Michael Fischer, directeur de bci Betriebs AG.
Mais, «pour ne pas perdre des mois, voire des années», bci a «préféré faire des concessions». Ses membres ont accepté, comme le demandaient les écologistes, de traiter l’air émanant des halles d’extraction par oxydation. Au départ, ils prévoyaient d’utiliser du charbon actif.
La méthode recommandée par les écologistes engendrera des coûts supplémentaires de 7 millions de francs. Au total, la chimie bâloise estime qu’elle déboursera quelque 350 millions pour dépolluer le site de Bonfol, contre 280 millions initialement prévus.
Kölliken a de l’avance
Sur place, les premières manœuvres des machines ont déjà eu lieu en septembre 2007. Elles concernent les accès routiers, les canalisations et le prolongement de la voie ferroviaire. Mais la construction des infrastructures nécessaires à l’assainissement – halle d’excavation et station d’épuration – ne sera pas terminée avant l’été 2009.
D’ici là, bci espère pouvoir tirer profit de l’expérience d’un autre chantier du même type, celui de Kölliken, dans le canton d’Argovie. Une décharge chimique qui contient 350’000 tonnes de déchets et dont l’assainissement, le plus vaste et le plus ambitieux jamais entrepris en Suisse, coûtera 700 millions de francs.
«Ils ont deux années d’avance sur nous. On appliquera à Bonfol les mêmes standards de sécurité qu’en Argovie», précise Michael Fischer pour bci, qui est aussi impliqué dans le nettoyage de Kölliken.
Vers un standard Bonfol ?
De son côté, Greenpeace a également imposé ses exigences pour Bonfol en termes de standards. Expert chimique de l’organisation, Matthias Wüthrich souligne ainsi dans un communiqué que «ce projet d’assainissement fixe des standards qui devraient faire office de modèle pour les travaux d’assainissement à venir, à Bâle et ailleurs.»
Tout en se félicitant de l’accord obtenu, l’organisation signale qu’elle gardera un rôle d’«observateur critique» dans le Jura. Afin que soit respectée la logique du pollueur-payeur qu’elle défendait, face à la chimie, qui redoutait un précédent trop favorable à l’environnement en matière d’assainissement des décharges.
Quant à Philippe Roch, il se dit content que la chimie assume ses responsabilités. «Au départ, ils prévoyaient d’imperméabiliser, de drainer. Bref, de déplacer le problème. Mais à l’époque, on avait vraiment innové en disant qu’on n’accepterait pas de demi-mesures.»
Pour lui, cette stratégie doit continuer à être privilégiée aujourd’hui, ce d’autant que la Suisse risque encore à l’avenir «d’avoir quelques mauvaises surprises».
Actuellement, entre 3000 et 4000 décharges contenant des substances potentiellement dangereuses ont été recensées sur sol helvétique. Un projet visant à établir des cadastres cantonaux de ces sites aurait dû aboutir en 2003, mais la date butoir a finalement été reportée à 2011.
swissinfo, Carole Wälti
1961-1976: durant quinze ans, la chimie bâloise et l’armée entreposent quelque 114’00 tonnes de déchets dans une glaisière entre le village de Bonfol et la frontière française. Bonfol est alors la seule décharge légale de produits chimiques de Suisse.
1976: la décharge est fermée. Un concept de surveillance est mis en place.
1985: un premier assainissement est entrepris.
2000: le canton du Jura et Philippe Roch, chef de l’Office fédéral de l’environnement, demandent à la chimie d’assainir la décharge. Greenpeace occupe le site.
2005: le canton du Jura, qui a accepté le plan d’assainissement de la chimie à une cinquantaine de nuances près, et bci signent une convention. Les frais seront pris en charge par la chimie.
2007: bci donne le premier coup de pioche. Greenpeace juge toujours que le plan d’assainissement est insatisfaisant et dépose recours au Tribunal cantonal.
Janvier 2008: accord entre bci et Greenpeace.
2010-2013: excavation et traitement des déchets.
Selon l’Office fédéral de l’environnement, la Suisse compte aujourd’hui 40’000 à 50’000 sites pollués.
Il s’agit de décharges communales, industrielles, militaires ou artisanales, ainsi que de lieux d’accidents.
Quelque 10% d’entre elles sont considérées comme des sites contaminés car elles contiennent des substances qui risquent de présenter tôt ou tard un danger pour l’homme et l’environnement.
Ce n’est qu’en 1998, avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance sur les sites contaminés, qu’ont été créées les bases légales pour traiter ce type de problème.
Jusqu’à présent, seuls 200 à 300 sites ont été assainis. La Suisse aura encore besoin d’au moins 20 à 30 ans pour mener à bien les travaux de dépollution.
La facture globale d’assainissement est estimée à quelque 5 milliards de francs.
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