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La panique du plastique

Bertil Galland. Collection personnelle

L'effroi m'a saisi cet été à l'écoute du capitaine Charles Moore. Lorsqu'il cingle au large de la Californie et traverse le Pacifique, les ennemis qu'il traque ne sont pas de chair et d'os.

Mais ils surgissent sous forme d’une accumulation de vieux emballages synthétiques.

Savant attaché à la Fondation scientifique Algalita Marine, à Long Beach, Moore est un Américain réputé pour ses recherches sur la pollution des océans par le plastique.

Des milliards de sacs déchirés, de bouteilles molles, de boîtes hétéroclites aux couleurs vives, de fragments de polymères maculés, de déchets de toile de polycarbonate et des semis de résine flottent et s’amalgament peu à peu en masse blafarde sur des eaux qu’on croyait d’un bleu infini.

Tout bateau d’aujourd’hui, dans les mers les plus lointaines, de la Manche à l’Antarctique, se trouve régulièrement pris dans des traînées de détritus. Elles s’étendent jusqu’à l’horizon. L’étude des fonds marins révèle des accumulations quasi géologiques de ces débris. En effet, un peu plus de la moitié du plastique déversé dans les océans s’enfonce et finit par se déposer, bouleversant les écosystèmes.

Les poubelles océaniques

Il y a trente ans, au grand large, quand les navigateurs traversaient des zones d’ordures et d’objets de polymère synthétique, ils voyaient là des atteintes déplaisantes mais passagères à l’intégrité des océans. Aujourd’hui, dit Moore, le plastique représente entre 60 et 80% des déchets venus des terres habitées.

La croissance de cette pollution est exponentielle. Voilà pourquoi la World Federation of Scientists, dont le secrétariat est à Lausanne, a retenu cette menace parmi les «urgences planétaires», analysées en séminaire annuel par des savants de tous les continents au Centre d’Erice, en Sicile, au mois d’août. J’ai tendu l’oreille à ces débats, en assemblée et dans le comité restreint d’une dizaine de spécialistes de la question.

Faux menus de la faune marine

L’exposé du capitaine californien m’a dévoilé, largement documentés, les effets du plastique sur l’avifaune: l’ingestion de matière synthétique a été constatée dans 267 espèces marines. Albatros, puffins et pétrels confondent les fragments multicolores avec leur nourriture. Tortues, cétacés et autres mammifères sont également affectés par ces déglutitions pénibles qui ajoutent maintes victimes aux millions d’animaux piégés dans des filets flottant à l’abandon.

Quant aux poissons, ils mêlent à leur alimentation la partie cachée des ordures plastifiées: les microdébris, qui sont de deux sortes. D’abord les fragments déchirés et poussières des sacs et objets en voie de décomposition, ensuite les granulés, boulettes et poudre qui, produits comme base des polymères synthétiques, sont dispersés dans la nature par les fabricants et les transporteurs. Car ce que vents, fuites, pertes et négligences ont semé sur les continents aboutit aux rivières et finit par se déverser dans les mers.

Moore a dressé, face au plastique, l’inventaire des dégats.
1. La défiguration des rivages.
2. Les atteintes directes à la vie marine par étouffement, strangulation et mort des animaux.
3. Les troubles causés à la faune par l’ingestion de tels déchets: faux sentiment de satiété, irritation de l’estomac, dépérissement.
4. Les polymères à base de pétrole ne sont pas biodégradables, s’accumulent et détruisent les écosystèmes.
5. Les microdéchets véhiculent des polluants organiques persistants qu’ingèrent les invertébrés à la base de la pyramide des espèces marines.
6. Le sable et d’autres aggrégats entraînent ces minuscules fragments vers le bas et plastifient les fonds marins, coupant les échanges gazeux entre les sédiments et le milieu aquatique.
7. La plastification des côtes fait disparaître des zones de reproduction de la faune.
8. Les déchets de produits en polymères empoisonnent la vie des navigateurs qui doivent en débarrasser leurs quilles, leurs hélices, leurs câbles, sans parler de la laideur des nappes d’ordures imputrescibles qu’ils traversent en pleine mer.

La prolifération des déchets synthétiques

La panique naît des chiffres. Moore, sur son bateau de recherche dans la grande zone de convection du Pacifique Nord, y a mesuré trois fois plus d’éléments de plastique qu’il y a dix ans. Ses prélèvements ont révélé six kilos de déchets synthétiques pour un kilo de plancton. Le long des côtes japonaises, cette pollution décuple tous les trois ans L’aggravation la plus navrante affecte les rivages polaires, parfois couverts de sacs de plastique, alors que l’on voyait en eux les derniers havres d’une nature intacte.

Que faire? Rateler les mers, rassembler ces déchets et les recycler? La difficulté, dit Moore, vient du mélange d’innombrables petits fragments de compositions chimiques différentes. Leur traitement exigerait toutes sortes de technologies, sans parler des substances toxiques que les détritus de plastique ont attirées et véhiculées. «En vérité, aux Etats-Unis, dit le savant, on ne recycle aujourd’hui que 5% des déchets de plastique. »

C’est sur terre qu’il faudrait contenir la prolifération des emballages. La tendance reste à la multiplication des produits de consommation individualisés sous polymères synthétiques. On reçoit les journaux emballés de cette manière. Mais l’Europe, reconnaît Moore, a su prendre des initiatives pour modérer les fabricants. On favorise aussi les plastiques biodégradables, c’est-à-dire les polymères sans composant pétrolier, mais ils sont plus chers. Hélas leur décomposition implique un compost aéré et chaud, riche en bactéries, et les fonds marins sont froids et sans effets de dilution.

Quittant la mer pour une investigation dans son arrière-pays californien , dans les deux rivières de Los Angeles et de San Gabriel, le capitaine Moore et la Fondation Algalita ont récemment pêché en trois jours 60 tonnes de déchets de plastique flottant vers le Pacifique. Pour donner une petite mesure de cette nouvelle invasion planétaire, ils ont compté les éléments recueillis et ce chiffre sera notre conclusion dans l’attente d’une parade. Ils ont rassemblé en ce sondage 2,3 milliards de fragments d’objets dépassant un millimètre.

Bertil Galland

Les opinions exprimées dans cette rubrique ne reflètent par nécessairement les vues de swissinfo.

Bertil Galland est né en 1931 à Leysin (Vaud) d’un père vaudois et d’une mère suédoise.

Après des études de lettres et de sciences politiques, il se forme comme journaliste.

Il est également actif dans l’édition. Il dirige d’abord les «Cahiers de la renaissance vaudoise» de 1953 à 1971, puis crée sa propre maison d’édition en 1971.

Entre autres activités, il traduit en français des œuvres scandinaves et crée la collection CH pour faire connaître les auteurs alémaniques et tessinois au public francophone.

Au plan journalistique, il participe à la création du «Nouveau Quotidien» en 1999.

Bertil Galland vit actuellement entre Lausanne et Richmont (Bourgogne).

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