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Le prix des guerres au Proche-Orient pour faire la paix

Keystone

Quelques jours après le cessez-le-feu à Gaza, la première étude sur les coûts des conflits au Proche-Orient a été présentée à Genève. Elle évalue l'impact financier, militaire, environnemental, politique, diplomatique et psychologique de ces 20 dernières années.

Douze mille milliards de dollars, soit quinze mille milliards de francs suisses, c’est la somme perdue, suite aux guerres qui ensanglantent l’ensemble du Moyen-Orient depuis 1991. Ce constat chiffré d’une étude inédite a été présenté vendredi dernier au Palais des Nations par le Centre de politique de sécurité de Genève.

Mené par le Strategic Foresight Group (SFG) – un groupe de réflexion basé en Inde –et soutenu par la Suisse, la Norvège, le Qatar et la Turquie, le rapport de 170 pages est basé sur 97 paramètres.

Ces derniers vont des pertes humaines aux conséquences sur l’eau, le climat, l’agriculture, en passant par les libertés d’expression, de religions ou de la presse, l’éducation, la croissance démographique, le chômage, l’émigration, la hausse des loyers ou du prix du pétrole. Plus de 50 experts d’Israël, des Territoires palestiniens, d’Iraq, du Liban, de Jordanie, d’Egypte, du Qatar, du Koweït et de la ligue arabe ont participé à la recherche.

Une cascade de coûts

«On doit parler d’une cascade de coûts dont une partie n’est pas quantifiable financièrement comme les atteintes à la dignité humaine », précise le chercheur indien Sundeep Waslekar, président du SFG.

«Le rapport pointe par exemple les centaines de milliers d’heures de travail perdues par les Palestiniens aux check-points (barrages israéliens). Il révèle aussi que 91% des Israéliens vivent dans un perpétuel sentiment de peur et d’insécurité. Comment construire une société à long terme dans de pareilles conditions?», s’interroge Sundeep Waslekar.

Et le chercheur de préciser que l’étude ne vise pas à trouver des solutions pour la paix dans la région.

«C’est la tâche des décideurs politiques. Nos recherches partent de 1991, date de la Conférence de Madrid où le destin du Moyen Orient aurait pu s’inverser. Cela n’a pas été le cas, mais nous avons trouvé judicieux d’estimer les gains qu’auraient engendré alors un processus de paix, explique l’expert. Il est important de savoir, par exemple, que 40% de la population en Jordanie est composée de réfugiés. Que se passerait-il si la Suisse devait accueillir deux millions de réfugiés? Sans conflit, la croissance au Moyen-Orient serait de 8% par an.»

Même après avoir payé des compensations aux réfugiés palestiniens et aux colons israéliens pour qu’ils déménagent, le revenu moyen d’une famille israélienne pourrait croître de 4429 dollars, celui d’une famille égyptienne de 500 dollars, 1250 dollars en Jordanie et 5000 dollars en Arabie saoudite. Sans parler des infrastructures: transports entre les villes, acheminement du gaz entre Israël et le Liban, approvisionnement en eau.

Un appel à la raison

«Ce rapport appelle à la raison dans une région dominée par les passions et les émotions, explique Jean Daniel Ruch, représentant spécial du DFAE (affaires étrangères suisses) pour le Moyen-Orient. Bien sûr, pour une mère de famille qui a perdu son mari et ses enfants dans les hostilités de Gaza, ces chiffres n’apportent aucun réconfort, là où il y a besoin de vérité et de justice. Mais ce genre d’étude pourrait enclencher la volonté politique nécessaire à un véritable processus de paix.»

Mais Raja Khalidi, économiste à la CNUCED (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement), reste dubitatif face aux ambitions du projet. Pour lui, l’ouvrage pourrait servir aux académiciens mais cela n’aura aucun impact sur les décideurs politiques pour arrêter la guerre.

«Le but d’une telle étude est certes noble, mais l’évaluation des coûts, aussi éloquents soient-ils, n’amènera pas la paix, affirme-t-il. Tous les calculs du monde n’arrêteront pas la guerre. Les racines du conflit sont autrement profondes. La justice et les droits sont en cause. Ces aspects doivent être abordés et résolus pour pouvoir envisager la fin des hostilités. De plus, si cette logique qui consiste à évaluer les coûts pour décider de continuer ou non une guerre avait réellement un impact, on n’aurait certainement pas effectué les dépenses de ces dix dernières années.»

Les profiteurs de la guerre

Autre remarque de l’économiste: «Il ne faut pas oublier que les guerres sont nourries par les besoins des industries militaires qui se trouvent surtout en Europe et aux Etats Unis. On sait que celles en Iraq, Afghanistan et Gaza ont été exploitées pour développer de nouveaux missiles et armes.»

«Par contre si j’étais un politicien palestinien, je me servirai de cette étude pour revoir ma stratégie et gérer différemment ce conflit. En effet, les chiffres montrent que les pays arabes (à part l’Iran et l’Iraq) ont perdu huit fois plus qu’Israël. Donc comme politicien arabe, je me poserais de sérieuses questions quand aux résultats obtenus par rapport aux gigantesques dépenses engendrées.»

De son côté, l’ancien ministre des travaux publics de l’autorité palestinienne, Mohammed Stayyeh demande qu’on parle des coûts de l’occupation israélienne – et non du conflit israélo-palestinien. «Une occupation qui profite économiquement à Israël. Un tiers de l’eau des cuisines israéliennes provient de Cisjordanie, tient-il à rappeler.

Voilà dix huit ans que le processus de paix se poursuit sans résultat tangible. Nous sommes obligés de reconstruire en boucle nos infrastructures avec les donations internationales. Il m’est arrivé de reconstruire jusqu’à cinq fois le même pont. Et c’est votre argent qui est gaspillé!»

swissinfo, Carole Vann/InfoSud

L’étude, intitulée «Coût du conflit dans le Moyen-Orient», examine 13 pays: Egypte, Iran, Irak, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Qatar, Territoires occupés, Arabie saoudite, Syrie et Emirats arabes unis.

L’Arabie saoudite totalise, à elle seule, avec 4500 milliards de dollars, le tiers des pertes subies par les 13 pays mentionnés.

PIB en Irak. Mais proportionnellement à sa situation économique, l’Irak est le pays le plus touché, avec 2262 milliards de dollars de pertes. Ce montant représenterait son PIB – soit plus de trente fois plus qu’aujourd’hui – si le pays avait été à l’abri des guerres et des sanctions depuis 1991. Si l’on inclut les guerres contre l’Iran et le Koweït depuis 1980, son PIB serait cinquante fois supérieur.

La course aux armements est aussi mise en exergue dans le rapport. La région enregistre la plus grande croissance, suivie par les Etats Unis.

En dix ans, l’Arabie saoudite a passé de 18 à 30 milliards de dollars de dépenses militaires, l’Iran de 3 à 10 milliards et Israël de 8 à 12 milliards.

USA. La présence militaire américaine dans la région a augmenté de 120 fois ces 20 dernières années. Les effectifs militaires américains atteignaient 222’888 hommes et femmes en 2008, la plupart étant liée à la guerre en Irak depuis 2003.

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