Sur les traces de Lord Byron en Suisse
Il y a deux cents ans, l’illustre poète anglais Lord Byron séjourne en Suisse, avec entre autre Mary Shelley, durant un été pourri qui se révélera exceptionnellement créatif pour ces auteurs. Ce séjour aura également un impact durable sur le tourisme en Suisse.
En 1816, à 28 ans, George Gordon Byron quitte l’Angleterre par bateau pour un exil volontaire, suite au scandale public causé par l’échec de son mariage, sa relation incestueuse avec sa demi-sœur et sa bisexualité.
La star littéraire voyage à travers la Belgique et l’Allemagne pour se rendre en Suisse, où il séjourne du 20 mai au 10 octobre avec son entourage qui comprenait le poète Percy Bysshe Shelley et sa femme Mary, tout comme Claire, la demi-sœur de Mary.
Ils louent deux maisons d’été à Cologny, aujourd’hui banlieue chic de Genève, et passent une partie de leur temps à voguer sur le lac Léman et visiter Genève, Lausanne et le Château de Chillon. Fuyant les curieux et les touristes britanniques, souvent coincé à l’intérieur en raison du mauvais temps – causé par l’éruption d’un volcan indonésien – le poète a du temps pour écrire.
«Tout le monde espionnait Byron et les rumeurs allaient bon train, comme l’idée qu’il buvait beaucoup et prenait des médicaments. En fait, il a surtout écrit quand il était ici», raconte Patrick Vincent, professeur de littérature anglaise et américaine à l’Université de Neuchâtel. Consultant pour l’expositionLien externe «Byron, le retour» qui se tient au Château de Chillon.
«Il était déprimé par son exil et la rupture d’avec sa femme. Il se sentait aussi coupable et abandonné par sa demi-sœur. Ce mal-être a nourri une grande créativité durant ces cinq mois», explique Patrick Vincent.
L’été littéraire 2016
Pour commémorer l’été 1816, le Château de Chillon, près de Montreux, et la Fondation Martin Bodmer à Genève organisent des événements complémentaires des deux côtés du lac Léman
«Byron, le retourLien externe» se tient au Château de Chillon jusqu’au 21 août 2016.
L’exposition «Frankenstein, créé des ténèbres Lien externe» se tient jusqu’au 9 octobre 2016 à la fondation Martin Bodmer à Cologny. C’est dans cette commune, à la Villa Deodati que Mary Shelley conçoit son roman Frankenstein, le Prométhée moderne, «expression mythique de l’inquiétude d’un monde confronté à la montée en puissance de la science et de la technologie», écrit la fondation dont l’exposition donne à voir «la genèse de l’œuvre, les perspectives qu’elle ouvre et les questionnements qu’elle soulève.»
«Best-seller dès sa parution en 1818, le roman de Mary Shelley continue à frapper les esprits. Les thèmes qu’il aborde sont en effet au cœur des préoccupations littéraires et philosophiques modernes: l’éthique scientifique, le changement climatique, la technologisation du corps humain, l’inconscient, l’altérité humaine, la précarité des sans-abri et des sans-identité», précise la Fondation Martin BodmerLien externe.
Lors du festival Autour de Mme de StaëlLien externe au château de Coppet, le jeudi 16 juin sera le théâtre d’une soirée consacréeLien externe à Byron et Lamartine chez Germaine de Staël.
Les fruits les plus savoureux en sont le poème de Byron «Le prisonnier de Chillon», «Frankenstein» de Mary Shelley, et une courte histoire écrite par un jeune médecin John Polidori «Le Vampyre» qui inspirera Bram Stoker pour son «Dracula».
Le Grand Tour passe en Suisse
Ces cinq mois ont eu un impact énorme sur la littérature anglaise et la culture en général. Mais la visite de Byron en Suisse a eu d’autres retombées durables, notamment sur le tourismeLien externe.
Au 17e et 18e siècles, visiter l’Europe lors d’un Grand Tour était un rite de passage pour beaucoup de jeunes aristocrates, artistes et philosophes. Cette initiation par le voyage fut adoptée par une part croissante de la bourgeoisie au début du 19e siècle, soit après les guerres napoléoniennes.
Les lettres de l’époque que s’échangeaient ces poètes romantiques assurent que plusieurs milliers de touristes anglais ont séjourné à Genève en 1816 et qu’ils ont loué un grand nombre des maisons de campagne.
«Ils aimaient penser qu’ils étaient seuls, alors qu’en fait, il y avait beaucoup de gens autour d’eux pour les observer, tellement ils étaient connus», relève Patrick Vincent.
Après le lac Léman, Byron visite les Alpes à cheval et en calèche avec son compagnon John Cam Hobhouse, en suivant les recommandations d’un guide de voyage. Et tous deux tiennent leur journal de bord. Dans son «Alpine Journal», Byron écrit pour sa demi-sœur Augusta, où il déclare son amour de la nature et des paysages, la qualité de son matelas et les chants des indigènes.
«Dans la soirée, quatre paysannes suisses de l’Oberland sont venues nous chanter des airs de leur pays; deux d’entre elles avaient de belles voix: les airs aussi avaient quelque chose de si original, de si sauvage et en même temps de si doux!», s’extasie Byron.
«Dieu bombardant le diable avec des boules de neige»
De Montreux, ils grimpent la montagne pour passer le Col de Jaman et se rendre dans le canton de Berne.
«Du français, nous passons à du mauvais allemand – ce district est renommé pour ses fromages, sa liberté, ses terres et son exemption de taxes», note, admiratif Byron.
Ils naviguent sur le lac de Thoune, passent par la vallée de Lauterbrunnen et les chutes de Staubbach, qui ressemblent à «la queue d’un cheval blanc au vent.»
Alors qu’ils montent le long du Lauberhorn, Byron contemple avec émerveillement la Jungfrau et l’Eiger:
«Entendu des avalanches tomber toutes les cinq minutes – comme si Dieu était descendu du ciel pour bombarder le diable avec des boules de neige (…) Du point où nous nous tenions sur le mont Wengen, nous en avions la vue d’un côté , et de l’autre nous voyions les nuages s’élever en tourbillons de la vallée opposée, et tournoyer le long de précipices à pic, comme l’écume de l’infernal océan par une haute marée: c’était une vapeur blanche, sulfureuse, et qui s’engouffrait dans des profondeurs qui paraissaient incommensurables.»
Son journal alpin lui inspirera le poème Manfred, qui sera mis en musique par Tchaïkovski et Schumann.
Le journal de Hobhouse, lui, est nettement moins lyrique. Il est charmé par les sites, mais se plaint des aubergistes arnaqueurs, des foules d’Anglais, et des paysans «trop accoutumés aux touristes».
Alors que Byron se pâme au spectacle de la Jungfrau, Hobhouse décrit comment l’arrivée soudaine de «deux ou trois femmes à cheval» a brisé l’illusion du caractère sauvage de la montagne.
Frappé par la beauté de la nature en Suisse, Byron n’a pas la même opinion de ses habitants.
«La Suisse est une maudite nation de brutes, égoïstes et stupides, nichée dans la plus romantique région de la terre. Je n’ai jamais pu en supporter les habitants, et encore moins leurs visiteurs anglais», écrit-il à Thomas Moore en 1821.
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Byron et les Alpes
A l’époque, les voyages alpins font fureur. Selon l’historien britannique Gavin de Beer, près de cinq livres sur la Suisse étaient publiés chaque année en Europe dans la seconde moitié du 18ème siècle. De 1845 à 1850, jusqu’à 40 œuvres liées au voyage en Suisse étaient produite annuellement.
En 1816, l’année de la publication du «Captif de Chillon», la Byron-mania est à son apogée. Sa fuite à l’étranger n’a pas freiné l’intérêt qu’il suscite – bien au contraire.
Jusque vers 1850, les fans de Byron comme Victor Hugo suivent ses traces, en pèlerinage sur le lac Léman, le Château de Chillon et les Alpes.
Ils lisaient des guides comme le «Handbook for Travellers in Switzerland» de Murray, publié en 1836 par le fils de l’éditeur anglais de Byron. Emballés par les citations de Byron, les touristes espéraient revivre ses émotions face à la Jungfrau, par exemple.
Les entrepreneurs locaux ont également été prompts à exploiter l’attraction suscitée par le poète star. Des plaques mentionnant son passage sont apparues et les touristes anglais furent emballés par de nouveaux établissements comme le luxueux Hôtel Byron près du Château de Chillon, inauguré en 1839.
«Le tourisme était déjà assez important, mais Montreux, Vevey, Clarens, Villeneuve et Caux se sont développés grâce au rayonnement de Byron», assure Clare Halmos, commissaire de l’exposition Byron.
Aujourd’hui, l’Hôtel Byron fait office de maison pour personnes âgées. D’autres artistes décédés, comme l’écrivain Vladimir Nabokov ou le chanteur Freddie Mercury, ont rejoint la liste des résidents célèbres que l’office du tourisme aime à citer.
L’aura de Byron n’a pas disparu pour la région. Pendant des années, le Château de Chillon est resté le monument historique le plus visité de Suisse. En 2015, près de 372’000 personnes ont franchi son pont-levis. Les Britanniques (2,5% des visiteurs) ont, quant à eux, été peu à peu remplacés par les Suisses (24%) et les Chinois (20%).
(Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand)
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