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150 ans après, la tragédie du Cervin monte sur scène

La plupart des acteurs de la pièce de théâtre sont des citoyens ordinaires de Zermatt. www.z-arts.ch | hannes zaugg-graf

Le drame qui a marqué la descente de la première cordée arrivée victorieuse en haut du Cervin est à l’honneur d’un spectacle en plein air donné dans la station valaisanne de Zermatt. Pour certains des acteurs, descendants directs des protagonistes de l’aventure, la représentation a un goût tout particulier.

«Barbara, s’il vous plaît !»

Un homme dans sa vingtaine traverse le hall d’un hôtel de luxe de Zermatt. Saisissant une jeune femme par les épaules, il la supplie de répondre à sa question.

«Faites-le pour moi, Barbara».

Le jeune homme se nomme David Taugwalder. Il répète l’une des scènes clé de son personnage pour la dixième fois en moins d’une heure. Descendant direct des guides qui ont participé à la première ascension du Cervin il y a 150 ans, il joue aujourd’hui le rôle de l’un de ses ancêtres, Peter Taugwalder Junior, à l’occasion d’une ambitieuse représentation. Son père incarne quant à lui Peter Taugwalder Senior.

Peter Taugwalder Junior donne la réplique à Romaine Müller, qui joue sa fiancée, Barbara Salzgeber. 

David Taugwalder et Romaine Müller lors des répétitions. Jo Fahy / swissinfo.ch

«Mon père a 50 ans et j’en ai 23, soit pratiquement le même âge que les Taugwalder lors de leur première ascension du Cervin», explique David Taugwalder. «Et nous connaissons l’histoire, nous en avons souvent parlé en famille. C’est donc agréable pour nous de jouer cette pièce».

Les deux acteurs amateurs travaillent ensemble au sein de la fiduciaire familiale. Le père de David Taugwalder, Josef, est un peu plus réservé que son fils, comme j’ai pu le constater à l’occasion d’une représentation à la presse donnée quelques mois plus tôt. «Mon fils et moi étions faits pour ces rôles. Nous avons le même âge que nos ancêtres à l’époque, nous sommes tous deux des Taugwalder. C’était presque naturel pour la metteuse en scène de travailler avec nous», explique-t-il.  

La première ascension du Cervin est désormais indissociable de la tragédie qui a marqué la descente sur Zermatt – quatre alpinistes, trois britanniques et un français, sont décédés – et de la controverse qui a émergé pour savoir si la corde s’était rompue naturellement ou si elle avait été coupée intentionnellement par l’un des guides suisses.

Nouvel éclairage sur une vieille histoire

Les Taugwalder ont-ils été exclus de la version anglaise des événements? Leur point de vue doit-il être mieux pris en compte? Telles sont quelques-unes des questions que tente d’explorer le script.

«En 1865 et durant les années qui ont suivi, différentes théories ont circulé, rappelle David Taugwalder. On a dit que la corde avait cédé naturellement, qu’elle avait été coupée intentionnellement par Peter Taugwalder Senior. Mais la version qui nous paraît la plus plausible, c’est qu’Edward Whymper voulait être le premier à atteindre le sommet et qu’il a pour cela coupé la corde au cours de l’ascension. Peter Taugwalder Senior n’avait ainsi plus la longueur adaptée de corde pour assurer tous les alpinistes durant la descente et il a dû utiliser une corde de remplacement moins solide.»

Cent cinquante ans plus tard, est-il vraiment indispensable de faire la lumière sur ces événements tragiques? Les opinions diffèrent. Pour Matthias Taugwalder, le cousin de Josef, c’est le cas: il a mené des recherches intensives afin de mieux peser le pour et le contre des différentes théories. La télévision publique suisse alémanique (SRF) s’est elle aussi emparée de l’énigme en diffusant un documentaire d’investigation historiqueLien externe en deux parties.

«Comme Edward Whymper était le seul qui parlait anglais, il a pu donner une version des faits qui lui était favorable, explique David Taugwalder. Pour nous, cette pièce est importante car elle marque une certaine forme de réhabilitation de nos ancêtres». 

Livia Anne Richard, metteuse en scène. Jo Fahy/swissinfo.ch

Aux yeux de la metteuse en scène Livia Anne Richard, l’histoire reflète une époque marquée par un certain «choc des cultures». Les habitants de Zermatt, qui avaient «un grand respect pour la montagne», entraient alors pour la première fois en contact direct avec des visiteurs anglais qui avaient pour seule idée de l’escalader.

Si Livia Anne Richard tient à explorer les différentes versions de l’histoire, il s’agit pour les Taugwalder d’une question beaucoup plus personnelle. «C’est notre chance de pouvoir raconter l’histoire d’un point de vue des Taugwalder», affirme Josef.

Une pièce populaire

Livia Anne Richard a réuni un casting de 35 personnes pour cette production. Cinq sont des acteurs professionnels, les autres des citoyens ordinaires de Zermatt, dont certains n’avaient jamais foulé les planches auparavant. Pourtant, en juillet, ils se produiront devant des milliers de personnesLien externe en provenance du monde entier sur une énorme scène en plein air. Le spectacle impliquera même des vaches et des ânes.

«Il n’aurait pas été possible de financer une production avec 35 acteurs professionnels, rigole-t-elle. Mais c’est également très rafraîchissant de pouvoir compter sur des amateurs, en particulier les deux Taugwalder. Ils dégagent une authenticité que l’on n’aurait pas eue avec des professionnels».

Le multilinguisme du spectacle lui confère un aspect authentiquement suisse. Les acteurs marient allégrement tout au long de leurs échanges l’anglais, l’allemand et le dialecte haut-valaisan. «Je n’ai rien dû changer, j’ai simplement écrit la pièce en imaginant comment les gens se parlaient entre eux», explique Livia Anne Richard.

Mis à part quelques mots basiques piqués ici ou là, les habitants de Zermatt ne parlaient pas anglais à l’époque. Lorsqu’ils s’adressent aux Anglais dans la pièce, les acteurs du cru le font en allemand. Au 19e siècle, les visiteurs traduisaient ce qu’ils comprenaient aux autres membres du groupe, se livrant parfois à certaines conjectures. «Ces malentendus sont mis en évidence dans le spectacle. Car c’est l’un des éléments qui a conduit à la catastrophe», affirme Livia Anne Richard.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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