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A Locarno, le patron du jury veut éviter de se tromper

«Il est important pour nous d'être fiers des films au palmarès», dit Paulo Branco. © Festival del film Locarno

Déjà juré à Berlin ou Venise, le producteur Paulo Branco préside le jury de la compétition internationale cette année à Locarno. Avec ses quatre comparses, il doit trancher parmi vingt films pour décerner samedi soir le Léopard d’or. Et le Portugais prend son rôle très au sérieux.

Une lourde responsabilité pèse sur leurs épaules. Les quatre membres du jury de la compétition internationale et leur président doivent décider lequel des films en lice mérite plus que les autres le Léopard d’or et ses 90’000 francs.

Pas simple au vu de la sélection. Malgré une infection contractée à son arrivée à Locarno, Paulo Branco assure en tout cas mettre tout en œuvre pour faire le bon choix.

swissinfo.ch: Que doit, à vos yeux, récompenser un jury comme celui de Locarno?

Paulo Branco: Un grand film, un bon cinéaste ou un cinéaste très prometteur. Locarno a déjà permis de faire apparaître de grands cinéastes. Quelques-uns n’étaient pas encore connus au moment d’être primés, d’autres, oui. Je pense qu’il y a une énorme responsabilité dans le choix du jury, d’autant que la compétition est très bonne cette année.

swissinfo.ch: Comment, concrètement, est ou sera choisi le Léopard d’or? Sur quelles bases?

P.B.: Vous savez, il n’y a pas de règles. Comme pour le Prix Médicis, par exemple. L’idée est de permettre à un film de pouvoir disposer d’une visibilité internationale. De l’aider là-dessus. Et que son réalisateur puisse obtenir une reconnaissance, non seulement en rapport à ce film, mais qui lui permettra aussi, s’il est jeune, de continuer, et s’il a déjà une carrière, d’obtenir une reconnaissance unique.

swissinfo.ch: Mais comment décelez-vous un grand film?

P.B.: Comment, face à une œuvre d’art, sentez-vous qu’il s’agit d’une grande œuvre? La grande œuvre est celle qui vous apporte quelque chose d’autre, qui vous surprend, celle qui vous amène sur des terrains dont il ne vous semblait pas possible qu’ils se transforment en beauté. J’entends la beauté au sens général, pas pictural.

Nous cherchons à déceler quelque chose qui restera avec nous, dont on se rappellera encore dans six ans, dans huit ans, qui nous amène quelque chose de plus, à nous et au public.

swissinfo.ch: Le jury voit-il les films en même temps? Discutez-vous beaucoup? Comment travaillez-vous?

P.B.: Dans ce jury-là, on a pratiquement vu tous les films ensemble. Un seul a été vu séparément. On se voit presque tout le temps, on parle entre nous, nous avons deux ou trois réunions informelles, avant celle, définitive, qui a lieu vendredi.

swissinfo.ch: A Locarno, comme dans d’autres festivals, le choix du jury apparaît souvent en décalage avec celui du public. Pourquoi?

P.B.: Est-ce que van Gogh était reconnu à son époque? Est-ce que vous-mêmes, en Suisse, avez reconnu Robert Walser pendant qu’il était vivant? Au Portugal, Fernando Pessõa a-t-il été découvert par le public? C’est pour cela que je trouve ce pari difficile mais qu’il m’intéresse. Etre là. Savoir que peut-être, dans quelques années, un grand cinéaste pourra dire: ‘C’est grâce à Locarno que je suis qui je suis’.

swissinfo.ch: Un jury peut-il se tromper?

P.B.: Ah oui, évidemment, toujours. André Gide, un des grands critiques à l’époque, décisionnaire chez Gallimard, a refusé le premier volume de Proust. Evidemment qu’on peut se tromper. C’est là où c’est beau. Il y a parfois des films qui nous paraissent importants et, avec le temps, on comprend qu’on s’était trompé. Mais la vie, c’est ça.

swissinfo.ch: Quelle différence faites-vous entre le Léopard d’or et le Prix spécial du jury?

P.B.: Le Léopard d’or est pour le film qu’on considère être le meilleur dans tous ses aspects. Le Prix spécial du jury est pour un film qu’on pense important aussi, mais moins que le premier. Il y a donc une espèce d’échelonnement.

Ce qui est important aussi pour nous – et c’est une décision que j’ai prise – c’est qu’on va donner les prix des acteurs à des films qu’on trouve bons. On ne primera pas un bon acteur dans un mauvais film.

swissinfo.ch: Pourquoi cette décision?

P.B.: D’abord, je ne pense pas que dans un mauvais film les acteurs puissent être si bons que ça. Car alors le regard du metteur en scène, pour nous, n’est pas juste. Et même un grand acteur ne sera pas juste dans ce rôle-là.  

D’autre part, un acteur est au service d’un film, pas l’inverse. Il est important pour nous d’être fiers des films au palmarès.

swissinfo.ch: En ce qui vous concerne, comment incarnez-vous votre rôle de président?

P.B.: Mon rôle est d’essayer de rassembler les points de vue de chacun des jurés, de m’appuyer sur eux, d’essayer de les convaincre et qu’ils me convainquent. Si j’ai accepté, c’est parce que je pense que j’ai tout un trajet cinéphilique – je ne parle pas de trajet professionnel – qui me permet d’avoir un regard. Un regard avec un minimum de justesse, j’espère, même si tout regard sur le cinéma est subjectif.

Etre un jury, c’est une énorme responsabilité. Parfois, la composition de certains jurys fait que cela devient plus un jeu qu’une responsabilité. Mais des festivals comme Locarno ont de plus en plus d’importance, pour ouvrir des portes dans une période où la circulation des films est si difficile. Surtout pour le cinéma indépendant. C’est pour cela que j’espère ne pas me tromper. Et si je me trompe, c’est de bonne foi et en faisant un vrai travail. Je prends vraiment ce rôle au sérieux.

Présidé par Paulo Branco, le jury international cette année est composé de la réalisatrice suisse Bettina Oberli, de l’actrice allemande Sandra Hüller, du réalisateur italien Luca Guadagnino et de l’acteur et réalisateur français Louis Garrel.

En plus du Léopard d’or, ce jury doit aussi attribuer quatre autres prix – Prix spécial de jury, pour la meilleure mise en scène et pour les meilleurs acteur et actrice.

Producteur portugais, Paulo Branco est né en 1950 à Lisbonne. Il a entamé sa carrière dans le cinéma au milieu des années septante à Paris.

Devenu un des producteurs parmi les plus importants et les plus exigeants du cinéma européen, Paulo Branco a plus de deux cent films à son actif. De nombreux prix et rétrospectives ont salué son travail.

Branco a produit les films de cinéastes comme Manoel de Oliveira, Raúl Ruiz, Wim Wenders, Alain Tanner, César Monteiro, Chantal Akerman, Christophe Honoré, Andrzej Zulawski, André Techiné, Sharunas Bartas, Jacques Doillon…

La 64e édition du Festival international du film de Locarno se tient entre le 3 et le 13 août. Au programme, la projection de 270 films, dont 40 en première mondiale.

Vingt films d’une douzaine de pays, parmi lesquels 14 premières mondiales et 3 premières œuvres sont sélectionnés pour la compétition internationale. En course, deux films suisses – Mangrove, de Frédéric Choffat et Julie Gilbert, et Vol spécial de Fernand Melgar – ainsi qu’une coproduction suisso-argentine, Abrir las puertas y ventanas.

Le concours des cinéastes du présent comporte 14 premières ou deuxièmes œuvres, dont 9 en première mondiale. Il s’agit de films venant du Portugal, de Chine, d’Argentine, d’Italie, de France et de Suisse.

La fameuse Piazza Grande fera la part belle à 20 films, dont 6 en provenance des Etats-Unis. A signaler un court-métrage suisse et une coproduction Allemagne/Suisse. Au menu: blockbusters de l’été, films d’auteur et populaires, en provenance de toute la planète.

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