A Soleure, une très grosse «manipulation» fédérale
Les 46èmes Journées cinématographiques de Soleure, festival du cinéma suisse, se sont ouvertes jeudi soir avec le film «Manipulation» de Pascal Verdosci, en présence de la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey… Soirée très politique.
Le calendrier est taquin…
C’est le jour où l’on ‘apprend’, grâce à Wikileaks, que les deux Ouïghours, ex-détenus de Guantanamo, accueillis par la Suisse en 2010, ne l’ont pas été par pure philanthropie, mais bien dans le but d’un accord avec les Etats-Unis sur le différend fiscal avec UBS, que la présidente de la Confédération Micheline Calmy-Rey assiste à la projection d’un film racontant une grosse «manipe» fédérale.
Petite magouille pour les Ouïghours – néanmoins dûment démentie ce jeudi par la ministre Doris Leuthard – et grosse magouille pour le film de Pascal Verdosci, qui nous plonge dans une Suisse gris-vert et congelée dans l’anticommunisme des années 50. Nous y reviendrons.
Les mots et les silences
Soirée d’ouverture: tapis rouge et discours. Devant une «Reithalle» comble, le directeur de la manifestation, Ivo Kummer, se réjouit des résultats à la hausse du 7e Art helvétique en 2010, tout en soulignant que 2011 sera une année déterminante pour la politique suisse en matière de cinéma.
Avec notamment l’avis imminent du parlement sur le poids à donner au cinéma dans l’ensemble de la politique culturelle suisse, la nomination prochaine d’un nouveau responsable du cinéma à l’Office fédéral de la Culture, la renégociation du «Pacte de l’audiovisuel» avec la nouvelle direction de la SRG SSR, gros bailleur de fonds du cinéma suisse, l’agenda est en effet chargé.
C’est avec un sens de l’humour certain qu’il passe le témoin à la Présidente de la Confédération: «On reconnaît les politiciens à ce qu’ils disent. Et plus encore à ce qu’ils taisent. Je suis heureux de donner la parole à Madame Micheline Calmy-Rey et impatient d’entendre ce qu’elle ne va pas nous cacher».
Micheline Calmy-Rey profite du podium qui lui est si gentiment offert pour rappeler que si le cinéma est fait de paillettes et de vedettes, le système politique suisse est construit, lui, sur la «collégialité». Et si les mots cachaient parfois plus que les silences?
Elle insistera aussi sur la nécessité de renforcer les liens avec l’étranger, l’Europe en particulier. «La Suisse doit être présente là où des décisions importantes pour l’avenir de la planète se prennent». Et la ministre des Affaires étrangères de promettre d’y consacrer son année de présidence. Passant de la politique (traitée en français) à la culture (abordée en allemand), Micheline Calmy-Rey souhaite que le cinéma aide la Suisse à assurer sa présence sur «l’écran du monde»…
Partie d’échecs
A propos d’écran du monde… 1956, la guerre froide. Sous le titre de «Manipulation», le cinéaste fribourgeois Pascal Verdosci a choisi de porter à l’écran le roman «Das Verhör des Harry Wind» (L’Interrogatoire de Harry Wind) de Walter Matthias Diggelmann.
«Pour moi, c’est un film très important. Un film politique, ce qui manque un peu dans la production suisse. Avec la présence de Micheline Calmy-Rey et d’autres nombreux politiciens présents pour l’ouverture, cela tombe bien, c’est un bon film pour une telle occasion», nous disait récemment Ivo Kummer.
Dans les bureaux du contre-espionnage helvétique, l’agent spécial Rappold (Klaus Maria Brandauer) interroge un certain Harry Wind (Sebastian Koch), soupçonné d’espionnage au profit de l’URSS. Harry Wind, grand ami de moult officiers de l’Armée suisse à travers l’«Organisation de Défense nationale» qu’il préside.
Mais Harry Wind est-il vraiment un espion? Professionnellement, au terme de «chargé de relations publiques», il préfère celui d’«expérimentateur». Et c’est bien à une expérimentation qu’il s’est livré au cours des années précédentes, manipulant le peuple, les médias… et Rappold lui-même, transformé en pauvre pion d’une criminelle partie d’échec.
C’est remarquablement mis en scène, brillamment et sobrement joué. Klaus-Maria Brandauer campe un Rappold magnifiquement humain et dépassé. Sebastian Koch un personnage charmant, retors et machiavélique à souhait.
Théorie du complot
«Manipulation», une fiction réussie qui nous ramène à l’éternel débat sur les «théories du complot». Les complots avérés, comme l’incendie du Reichstag de Berlin, en 1933, qui plaça les Nazis sur orbite. Et les complots au bénéfice du doute, comme les «incidents du Golfe du Tonkin», en 1964, qui amenèrent à la guerre du Vietnam. Comment? Quoi? Qui a dit «Et les attentats du 11 septembre 2001 à New York»?
Le cinéma suisse produit peu de films réellement politiques, constatait Ivo Kummer, tout en soulignant l’existence de quelques réalisations récentes, «Cleveland contre Wall Street» de Jean-Stéphane Bron ou «Aisheen» de Nicolas Wadimoff.
Mais avec le durcissement actuel du champ politique helvétique, ses crispations, pourrait-on s’attendre à un renversement de tendance? «Il y a eu un mouvement de ce type il y a vingt ans, avec des films critiques, provocateurs. Mais on vit actuellement dans une époque un peu floue. Il y a vingt ans, on pouvait désigner plus facilement ce qui était mauvais. Actuellement, tout est plus complexe. Il faut trouver le bon angle», répond le directeur des Journées de Soleure.
Le «mauvais» était-il vraiment plus défini il y a vingt ans qu’aujourd’hui? Question de point de vue. Comme pour les «vrais complots» et les «théories du complot». Comme pour les silences qui disent et les mots qui taisent.
les 46e Journées cinématographiques de Soleure se tient du 20 au 27 janvier.
Sélection resserrée. Les «Journées proposent cette année une sélection de films resserrée, malgré l’augmentation du nombre de contributions soumises: 209 œuvres (254 en 2010).
Panorama. Les Journées de Soleure sont le principal rendez-vous annuel du cinéma suisse. Elles présentent «une sélection représentative des tendances actuelles du cinéma suisse».
Autres sections. Ce «Panorama Suisse» est complété par deux sections parallèles: «Rencontre», consacrée cette année à la productrice Ruth Waldsburger, et «L’invitation», une sélection de films produits dans les pays limitrophes.
Prix. Dix longs métrages et documentaires sont nominés pour le «Prix de Soleure» (60’000 francs) et treize films et documentaires pour le «Prix du public» (20’000 francs).
Nouveauté. Une nouvelle récompense fait son entrée à Soleure: le Prix du film télévisé, jusque là attribué dans le cadre du festival «Cinémas tous écrans» à Genève.
Académie. L’Académie du cinéma suisse choisit les candidats au Prix du cinéma suisse «Quartz» et révèle leurs noms à la fin des Journées de Soleure, lors de la «Nuit des nominations».
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