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Alain Tanner a trois fois 25 ans…

Alain Tanner, figure emblématique du cinéma suisse. Ici à San Sebastian (Espagne) lors de la présentation de son film "Jonas et Lila" le 24 septembre 1999. Keystone

Né un 6 décembre, cet incontournable du cinéma suisse fête ses 75 ans l’année même de son dernier film, qu’il assure être son ultime.

Le patron de la Cinémathèque suisse Hervé Dumont et le réalisateur Jean-Stéphane Bron allument les bougies.

«C’est devenu un métier infernal!», lance Alain Tanner. Celui qu’Hervé Dumont décrit comme «l’un des deux ou trois cinéastes suisses les plus connus mondialement» a posé sa caméra après «Paul s’en va», son dernier long métrage.

«J’aime filmer, explique Tanner à swissinfo. C’est tout ce qui vient avant et après qui est devenu totalement insupportable: financer les films et les diffuser. Je n’ai plus envie d’y consacrer du temps. Si on me disait: tu as tous les sous que tu veux, tu tourne demain, je le ferais. Mais la situation, malheureusement, ne se présente pas comme ça.»

Et c’est «sans amertume ni regret», en accord avec son parcours, que le Genevois a échangé la caméra contre la plume. Il rédige actuellement un livre qui devrait sortir l’an prochain. «A partir de ce que j’ai fait, j’essaie d’en trouver le sens et de le théoriser», indique le cinéaste.

Cinéma de la rupture et de la contestation

Avec «Le milieu du monde», «La Salamandre», «Les années lumière», «Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000» et d’autres – en tout, 21 longs métrages et 40 documentaires – Tanner a marqué de sa forte empreinte le cinéma suisse et mondial.

Il fut l’un des trois «essentiels» du «nouveau cinéma suisse» dans les années septante, avec Michel Soutter et Claude Goretta.

Le cinéma de Tanner? Celui d’un intellectuel, contestataire dans la forme (usage du noir-blanc, caméra légère, refus du studio), engagé socialement et politiquement sur le fond.

«Un cinéma de la rupture et de la contestation, explique le patron de la Cinémathèque suisse. Ces six ou sept dernières années, il s’est un peu retranché des grandes rêveries sociales. Sans fard, sans crainte de choquer, il a aussi filmé ses phantasmes».

«Jusqu’au bout, Tanner est resté un cinéaste courageux et expérimental dans les sujets traités, poursuit Hervé Dumont. C’est un cinéaste libre. Avec les périls que cela peut comporter. Mais il est libre!»

Aucune espèce de filiation

Son indépendance, Tanner se l’est taillée sur mesure grâce à quelques succès, en gérant ses films de A à Z, de la production jusqu’aux droits. Cette caractéristique notamment fait penser à Hervé Dumont que Tanner n’a pas de successeur dans le jeune cinéma suisse actuel.

Ce que l’intéressé ne conteste pas, bien au contraire. «Je ne vois aucune espèce de filiation nulle part. Il y pas mal de jeunes cinéastes en ce moment, que j’appellerais la jeune droite du cinéma, pour lesquels je représente un peu l’ennemi à abattre. En réalité, ils n’ont pas à m’abattre, puisque j’arrête. C’est à eux de reprendre le flambeau, s’il y en a un…»

Plutôt pessimiste face un public «formaté pour la publicité», Alain Tanner estime que les jeunes cinéastes d’aujourd’hui sont «un peu obsédés par la possibilité d’exister sur le marché du cinéma. D’avoir du public, de faire des entrées.»

Et selon lui, c’est sans espoir ou presque: «Ils sont en compétition avec le cinéma américain, français, et ils ne sont pas compétitifs sur ce terrain-là. Parfois un film sort du lot. Mais ça ne fait pas encore une cinématographie».

Entre affection et énervement

Jean-Stéphane Bron a signé «Le génie helvétique» (2003), gros succès public et critique. Il travaille actuellement à un long métrage de fiction. A ses yeux, Tanner est «un immense cinéaste».

Tanner, Goretta ou Murer sont les «grands-pères» de la jeune génération, confie Bron. «Et les petits-fils sont toujours gentils avec leurs grands-pères. Il y a de l’affection, de l’amusement et de l’énervement parfois.»

Qu’Alain Tanner nie tout filiation fait s’esclaffer le Lausannois. «Evidemment, les grands-pères aiment bien casser les œufs derrière eux! Et si par hasard, un a éclot, il n’est pas d’eux… Ça ne m’étonne qu’à moitié. C’est un vieux bougon, aussi!»

Cette filiation, Jean-Stéphane Bron la situe dans la forme et la modestie des moyens d’abord. «Ils on tourné avec les premières caméras synchrones, on a tous fait nos films en DV.»

Elle touche aussi à «ce même rapport au cinéma assez décomplexé. Et dans ce désir absolu de faire du cinéma, et de parler du monde dans lequel on est inséré».

Pour sa part, Alain Tanner ne touchera plus à la caméra, mais il se dit toujours intéressé par le cinéma. Un art auquel il a consacré presque un demi-siècle.

Septante-cinq ans? «On a l’âge de ses artères, c’est vrai. Mais je m’en fiche éperdument!», lance Tanner, encore lui-même, toujours libre.

swissinfo, Pierre-François Besson

Alain Tanner naît le 6 décembre 1929 à Genève.
En 1957, premier film («Nice Time») en duo avec Claude Goretta.
En 1969, premier long métrage: «Charles mort ou vif».
En 2004, après 20 films de fiction et une quarantaine de documentaires, sortie de «Paul s’en va», annoncé comme son dernier film.

– Plusieurs fictions d’Alain Tanner ont remporté un gros succès critique comme publique. Notamment «La Salamandre» (1971), «Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000» (1976) ou «Dans la ville blanche» (1983).

– Tanner prépare actuellement la sortie de ses films en DVD, «puisque une nouvelle cinéphilie renaît dans ce secteur-là.»

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