Alain Tanner, le discours et la poésie
La rétrospective Alain Tanner de la Cinémathèque française, à Paris, s'est conclue dimanche par la projection de «Requiem». En attendant de passer à Lausanne, Zurich et Bâle. Entretien.
«Au niveau formel, je trouve que c’est un film très compact, où il n’y pas de trou, de faiblesse, de scènes ratées comme je peux en trouver dans d’autres de mes films. Là, c’est un peu miraculeux», dit Alain Tanner de «Requiem».
Un film dont le cinéaste genevois partage la paternité avec l’écrivain italien Antonio Tabucchi, auteur du livre original, et le Jurassien Bernard Comment, directeur de collection au Seuil, qui en a coécrit l’adaptation avec le réalisateur.
Tous trois étaient présents dimanche à la Cinémathèque, rue de Bercy, bouquet final de cette rétrospective qui a commencé il y a un mois.
Cela dans une Salle Henri Langlois pleine à craquer, ce qui a fait tout particulièrement plaisir au vieux lion du cinéma romand: comme il l’a souligné à Paris, jamais la Suisse ne lui a consacré une telle rétrospective. Il aura fallu le déclic de la Cinémathèque française pour que son pays «bondisse un peu honteusement» sur l’occasion et décide de la programmer à Lausanne, puis à Zurich et Bâle…
Peu avant ce dimanche de février, Alain Tanner a accordé un long entretien à swissinfo. En voici la première partie.
swissinfo: Une – presque – intégrale Tanner à Paris, puis à Lausanne, Zurich, Bâle, cela suscite quoi chez vous?
Alain Tanner: On vieillit… J’ai 80 ans cette année, voilà, c’est tout! Dans la mesure où j’ai décidé d’arrêter le cinéma en 2003, l’idée d’une rétrospective ne m’a pas posé de problème.
swissinfo: A Paris, la rétrospective a commencé par une ‘leçon de cinéma’ selon Tanner qui s’est tenue devant pas mal de jeunes, semble-t-il. Cela vous a-t-il étonné?
A.T.: L’année dernière, j’ai participé à beaucoup de petites rétrospectives, à des week-ends d’art et d’essai dans des petites villes françaises. Des festivals exemplaires, avec beaucoup de cinéphilie, où j’aime beaucoup aller. La France est le dernier pays cinéphile! Mais en général, il n’y a guère de jeunes, pas grand monde en dessous de 30 ans. A Paris, oui, il y avait des jeunes, peut-être grâce à la présence de représentants d’écoles de cinéma.
swissinfo: En 2007, vous avez publié ‘Ciné-Mélanges’, soit vos réflexions sur le métier de cinéaste en forme d’abécédaire… C’est à la relève que vous vous adressiez?
A.T.: Non, je n’ai rien à leur dire, aux jeunes! On me demande souvent ce que je réponds à quelqu’un qui vient vers moi en m’expliquant qu’il voudrait faire du cinéma. Mais je ne peux que lui dire: et bien, fais du cinéma! Et encore faudrait-il qu’il ait envie de m’écouter, ce qui n’est pas toujours le cas, parce que je représente un style de cinéma qui n’a plus tellement cours aujourd’hui. M’écouter ne lui serait peut-être pas d’une grande utilité.
Ce livre, je l’ai fait parce que j’avais écrit une masse de notes sur mon travail au fil des années. Et c’est mon ami Bernard Comment, qui travaille au Editions du Seuil, qui m’a dit: fais un bouquin!
swissinfo: Ces dernières années, les outils du cinéma ont changé. Vidéo et ordinateur offrent un accès complètement nouveau au 7e Art…
A.T.: C’est vrai. Il y a beaucoup de courts métrages qui se font comme ça, et que personne ne voit jamais. Quand on a inventé le stylo, tout le monde n’est pas devenu Flaubert ou Shakespeare pour autant. Aujourd’hui, on a le bout de papier et le stylo également dans le cinéma, mais cela ne change rien du tout. Le cinéma, il y a quand même un chemin à parcourir.
Aujourd’hui, la question n’est pas tellement de parvenir à fabriquer ces objets. Le problème est double. C’est d’abord: qu’est-ce qu’on raconte? Et ensuite: où les montre-t-on? C’est aujourd’hui beaucoup plus difficile qu’à notre époque. Parce qu’aujourd’hui, le marché est complètement verrouillé. Les salles disparaissent et sont remplacées par des multiplex. Les grands groupes financiers bouffent tout. Je n’aimerais pas du tout avoir 25 ans aujourd’hui et un désir de cinéma.
Bon, j’ai l’âge de mes artères, ce qui ne m’arrange pas toujours, mais j’ai eu beaucoup de chance d’être assez synchrone avec le ‘petit bout d’Histoire’ que j’ai vécu, qui correspondait exactement à ce que je souhaitais faire dans ce ‘petit bout d’histoire du cinéma’. Une chance extraordinaire, que les jeunes n’ont pas aujourd’hui: ils ne savent plus quoi raconter.
swissinfo: Vraiment?
A.T.: On est à un temps de l’Histoire où tout se dégrade à une vitesse faramineuse. Dans ce contexte, je crois qu’il y aurait place pour une reprise de parole, une parole de nature idéologique. Je l’ai constaté dans toutes ces petites manifestations auxquelles j’ai participé en France l’année dernière.
Partout, ce sont les deux films les plus connus que j’ai faits dans les années 70 qui étaient demandés, «La Salamandre» et «Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000». Ces films parlent aux gens aujourd’hui encore plus forts qu’ils ne parlaient à l’époque.
Il y a place aujourd’hui pour un retour à des films qui ont un propos. On est dans une situation tellement épouvantable à tous les niveaux – et les gens ne sont pas bêtes – que je suis persuadé qu’il y a place pour un retour à des positions idéologiques, même dures, dans le cinéma d’aujourd’hui.
Les jeunes, hélas, font plutôt des films divertissants, ou qui correspondant à une demande de cinéma psychologique, ou dramatique. Mais peu en rapport avec une situation sociopolitique telle qu’elle existe aujourd’hui.
swissinfo: On aurait pu pourtant se dire que vos films à propos politique auraient davantage vieilli que les films plus spécifiquement poétiques…
A.T.: Il faut dire que dans mes films qui appartenaient à la veine du discours, il y avait aussi de la poésie. Les personnages de «Jonas», pour moi, sont des personnages extrêmement poétiques.
A suivre…
swissinfo, Bernard Léchot, Paris
La rétrospective Alain Tanner, présentée à Paris du 14 janvier au 15 février 2009, sera l’hôte de la Cinémathèque suisse à Lausanne dès le 5 mars, puis passera à Zurich et à Bâle.
Naissance à Genève en 1929. Etudes de sciences économiques à l’Université de Genève.
Entre 1952 et 1953, il est écrivain de bord dans la marine marchande.
Dès 1955, il travaille au British Film Institute de Londres. En 1957, il réalise son premier film, avec Claude Goretta, Nice Time (Picadilly la nuit).
De retour d’Angleterre, il entre comme réalisateur à la Télévision Suisse Romande (TSR) où il signera plusieurs courts métrages et des documentaires.
En 1962, il crée l’Association suisse des réalisateurs.
En 1968, il fonde le Groupe des 5 avec Michel Soutter, Claude Goretta, Jean-Louis Roy et Jean-Jacques Lagrange. Une sorte de «Nouvelle Vague» façon helvétique.
Ses films des années 60-70 vont connaître une renommée internationale:
Charles mort ou vif (1969),
La Salamandre (1971),
Le Retour d’Afrique (1973),
Le Milieu du monde (1974),
Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976).
Suivront notamment:
Messidor (1978),
Les Années lumière (1981),
Dans la ville blanche (1983),
La vallée fantôme (1987),
Le Journal de Lady M (1992),
Requiem (1998),
Jonas et Lila, à demain (1999)
et Paul s’en va (2003).
Alain Tanner reçoit le titre de Docteur honoris causa de l’Université de Lausanne en 2008.
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