Une romance romanche sur grand écran
Glisch, camera, acziun! Le premier long métrage professionnel en romanche, la plus petite des quatre langues officielles de la Suisse a séduit le Festival de Locarno, au point d’être repris par un distributeur américain. Quelle est l’importance d’une telle visibilité pour la culture romanche?
«Le romanche est peut-être la langue nationale la moins parlée en Suisse, mais ce film raconte dans un langage universel et avec un merveilleux sens de l’humour une histoire d’amour et de dévotion. C’est le genre de film qui inspire les spectateurs du monde entier».
C’est en ces termes poétiques qu’Edward Noeltner, patron de Cinema Management Group (CMG) explique quel potentiel sa compagnie basée à Los Angeles voit dans Amur Senza FinLien externe, littéralement «Amour sans fin», même si son titre international sera «Hide and Seek» («Cache-cache»).
Ce film de 91 minutes a été tourné pour la télévision et produit par la SSR (radio-télévision publique suisse, qui est aussi la maison-mère de swissinfo) et se présente comme une sitcom classique. Un village de Suisse orientale voit débarquer un nouveau prêtre, allemand d’origine indienne, qui ne parle pas un mot de romanche. Une situation qui semble incongrue, mais qui n’est pas si exceptionnelle que ça, à l’heure de la crise des vocations.
Cependant, l’intrigue tourne au drame quand Mona remarque que son mari Gieri tourne autour de Giulia, son ancienne meilleure amie. Mona va-t-elle lui pardonner une liaison de six mois ou se venger avec le fringuant nouveau venu au village? Et comment le prêtre aux méthodes si peu conventionnelles va-t-il s’insérer dans tout cela?
Pour être honnête, la bande-annonce promet un film plus drôle qu’il ne l’est en réalité et le déroulement reste somme toute assez prévisible. Mais il ne s’agit pas ici d’en faire la critique: si nous parlons d’Amur Senza Fin, c’est pour avoir été tourné principalement en romanche, une langueLien externe romane reconnue comme nationale en 1938, suite à une votation populaire et parlée aujourd’hui par environ 60’000 personnes dans le canton des Grisons.
«[La SSR] a clairement indiqué que le film était dans l’intérêt du romanche. Il devrait donner à la langue une place importante en Suisse et aider les Suisses à la reconnaître», nous explique le réalisateur Christoph Schaub dans son bureau zurichois.
«Ce film veut aussi montrer la vie des gens qui parlent aujourd’hui romanche, son usage contemporain donc. Beaucoup de gens disent que le romanche est comme un musée: personne ne le parle, ce n’est pas une langue vivante. A l’évidence, ce n’est pas vrai. Ce ne sont pas des paysans et des bergers. Ce sont des gens normaux, avec des intérêts normaux. C’était l’intention politique de ce film: montrer que le romanche est une expérience quotidienne normale en Suisse».
Andreas Gabriel, porte-parole de la Lia RumantschaLien externe, l’organisation faîtière qui travaille au maintien et à la promotion du romanche – mais qui n’a pas participé à la production du film – approuve: «J’ai trouvé les scènes où les gens se disputent en romanche particulièrement drôles. Elles montrent à quel point la langue est vivante et imaginative».
Andreas Gabriel note que le film de Christoph Schaub n’est pas le premier long métrage en romanche, comme l’a prétendu une partie du marketing. «Cet honneur revient à La Rusna Pearsa (Le Trou Perdu) de Dino Simonett, en 1993. Mais il est vrai qu’Amur Senza Fin est le premier grand film professionnel en romanche».
«Une magnifique occasion»
Le film incarne l’une des initiatives récentes pour promouvoir la culture romanche, comme l’a été la bande dessinée en ligne Il Crestomat.
Evidemment, cette fiction devra être doublée ou sous-titrée pour le marché international. «Elle y perdra quelque chose, parce qu’elle joue un peu sur le contraste entre romanche et allemand, comme les films de Bollywood jouent sur l’hindi et l’anglais, mais cela reste une comédie et donc, cela marchera», affirme Christoph Schaub.
De fait, un film tourné dans une langue minoritaire n’est pas forcément condamné à la confidentialité. En 1999, Solomon & Gaenor, avec ses dialogues en gallois, a été nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger et Mel Gibson a tourné Apocalypto en langue maya et La Passion du Christ en araméen.
Pas de réalisateurs romanches
Christoph Schaub ne parle pas romanche, pas plus que sa scénariste Sabine Pochhammer – le script a été traduit de l’allemand en romanche par l’écrivain Leo Tuor et la langue de travail sur le plateau était l’allemand, que tout le monde savait.
Schaub est un réalisateur d’expérienceLien externe, qui a tourné plusieurs documentaires en romanche, mais on pourrait objecter que pour soutenir le cinéma romanche, il faudrait plutôt encourager des réalisateurs et des scénaristes romanches.
«Le problème, c’est qu’il n’y a pas de réalisateurs de fiction romanches», répond-il. «Ils en ont cherché. Il y a bien sûr des réalisateurs dans les Grisons, mais ils parlent allemand. Pour les documentaires, c’est différent. Ce n’était pas mon choix de prendre une scénariste germanophone, mais elle a fait un excellent travail».
«C’était un risque, car il est difficile de tourner en romanche et de trouver les bons acteurs. Il y en a de bons, mais ils sont peu nombreux. Nous avons dès lors dû adapter les personnages en fonction des acteurs disponibles».
Ainsi, Rebecca Indermaur, figure centrale du film dans le rôle de Mona, dit ses répliques en romanche bien qu’elle ne le parle pas. «Elle a grandi dans la région, mais ses parents ne parlent pas la langue», explique Christoph Schaub qui a recouru aux services d’un coach vocal romanche.
«Le romanche survivra»
Comme d’autre succès récents tournés partiellement aux Grisons, (Heidi, Schellenursli ou SennentuntschiLien externe), le paysage fait partie des stars d’Amur Senza Fin.
«On dit que pour avoir du succès en Suisse, la présence des montagnes est nécessaire», raconte le réalisateur. «J’ai tourné La Disparition de JuliaLien externe à Zurich et il a eu beaucoup de succès, mais pour les ventes en Amérique et dans le monde, les montagnes sont un atout».
Reste à voir si Amur Senza Fin va faire bondir les inscriptions aux cours de romanche. Andreas Gabriel, de la Lia Rumantscha, se dit prudemment optimiste: «Le nombre de personnes qui parlent romanche reste plus ou moins stable, bien que la population totale augmente. Le plus important, c’est que la langue soit utilisée avec joie et avec verve. Aussi longtemps qu’il est parlé et écrit quotidiennement, le romanche survivra».
Amur Senza Fin
Le film a été réalisé pour la télévision, avec un budget de deux millions de francs, alimenté principalement par la Société Suisse de radiotélévision (SSR). Il a été montré en ouverture du dernier Festival de Locarno, ainsi que dans 20 salles du pays pour une projection unique le 20 août, et sur les vols long-courriers des compagnies Swiss et Lufthansa. Il est passé à la télévision alémanique SRF le 23 septembre et est également disponible en DVD.
(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)
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