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Le voyage de Rithy Panh au pays des morts

Rithy Panh
«Mon film veut capter l’invisible présence des morts sans sépulture et combattre l’oubli qui empêche leurs âmes errantes de trouver le repos», dit Rithy Panh dans le communiqué de presse de la chaine Arte, coproductrice du film. CDP / ARTE FRANCE / ANUPHEAP PRODUCTION

Avec Les tombeaux sans nom, Rithy Panh raconte son séjour dans le village où sa famille a été tuée par les khmers rouges dans les années 70. Le dernier film du réalisateur franco-cambodgien est présenté au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) qui se tient à Genève, en marge du Conseil des droits de l’Homme.

Après L’image manquante en 2015, Exil l’année suivant, Rithy Panh se dévoile à nouveau avec Les Tombeaux sans nom. On y voit l’auteur déambuler à Trum, un village «au milieu de nulle part» dans la province de Battambang où lui-même et dix de ses proches ont été déportés en 1975, avec beaucoup d’autres habitants de Phnom Penh. 

Seul survivant avec un autre membre de sa famille, Rithy PanhLien externe accomplit plusieurs rites funéraires pour sa famille disparue sans laisser de traces. Les os du défunt que l’on retire des cendres après la crémation sont ici des pierres. Il n’y a pas de sépultures pour les victimes du génocide khmer rouge.

Rithy Panh
Rithy Panh à l’hôtel genevois Métropole le 13 mars 2019. Frédéric Burnand/swissinfo.ch

swissinfo.ch: Votre dernier film a la forme d’une cérémonie funéraire cambodgienne avec les différents rites qui les scandent. Que signifie cette expression du deuil dans votre cheminement personnel et artistique ? C’était le bon moment?

Rithy Panh : Mes films s’inscrivent en effet dans une continuité. Mais, il n’y a jamais un moment idéal pour quoi que ce soit. Alors je m’y mets quand même, avec toujours l’inquiétude de louper quelque chose d’essentiel. Mais il y a bien eu une maturation de moi-même comme du sujet de mon dernier film qui m’habitait depuis une dizaine d’année.

Ce film a une longueur, une écriture qui n’est plus la manière habituelle de tourner. Il est dense et nécessite l’attention du spectateur. Je ne cherche pas le consensus. Et j’ai la grande chance d’avoir des partenaires qui suivent et soutiennent mon travail et cette forme d’écriture en train de disparaitre.

Rithy Panh
«Je n’ai pas trouvé de trace des tombes de mon père et de mes neveux. Ni des fosses communes où furent ensevelies ma mère et mes sœurs. Il faut tendre la main vers l’autre monde. Les morts nous cherchent et nous attendent.» Rithy Panh dans le communiqué de presse de la chaine Arte, coproductrice du film. CDP / ARTE FRANCE / ANUPHEAP PRODUCTION

Mais sommes-nous encore disponibles aujourd’hui pour voir de tels films?

Nous sommes dans une société qui ne retient quasiment plus rien. Les choses passent vite. On en parle un jour avec une intensité alimentée par les chaines d’info en continu où les infos sont assénées comme des coups de marteau. Puis on passe à un autre sujet. Que retient-on de tout cela? Rien. C’est aussi ce néant que je combats avec mes films. Dans l’immédiateté, tout le monde manipule tout le monde. Il n’y a plus de place pour penser, réfléchir. C’est une nouvelle forme de totalitarisme et de contrôle qui est en train de s’installer.

Le bouddhisme imprègne particulièrement votre dernière œuvre. Cette dimension spirituelle s’est-elle imposée au fil des années?

Elle fait partie de notre quotidien. Au Cambodge, le bouddhisme est nourri d’animisme. A la rivière, sur l’arbre, dans la rizière, sous le vent, il y a une âme. On peut y prier. Tout est habité, lié à des esprits et des pratiques rituelles.

Il m’a paru important de voir si ces pratiques constituent une sorte de scène, de place collective où fixer notre réflexion et le temps qu’elle nécessite. Il ne s’agit pas seulement d’un film sur moi-même. C’est une réflexion sur comment continuer à dialoguer avec nos morts.

Les tombeaux sans nom
«Bien sûr, certains voyages font peur. On les repousse. On en rêve…Chercher les âmes, c’est les inviter à revenir, sans jamais s’effrayer.» Rithy Panh dans le communiqué de presse de la chaine Arte, coproductrice du film. CDP / ARTE FRANCE / ANUPHEAP PRODUCTION)

Les différents rites accomplis lors des cérémonies funéraires au Cambodge permettent à l’assistance et aux bonzes d’aider le défunt à quitter son enveloppe charnelle. Mais par là-même, on s’adresse aussi aux vivants pour qu’ils retrouvent une certaine paix, un espace pour vivre. C’est aussi le propos de votre film?

Se confronter à la mort, c’est une manière de se renouveler. Il faut respecter la mort, entendre ce qu’elle nous dit. C’est une manière de respirer. On ne respecte plus vraiment les morts aujourd’hui. Regardez les profanations des tombes dans les cimetières israélites. On ne s’en prend plus seulement aux personnes, mais aux stèles. Les khmers rouges disaient aussi à leurs victimes qu’ils les réduiraient en poussière, sans plus aucune trace sur terre. 

Certains ont critiqué le Tribunal des khmers rouges comme étant une démarche occidentale peu pertinente pour des Cambodgiens pétris de bouddhisme. Que retenez-vous de cette séquence judiciaire?

Il faut bien du courage pour tenter de faire passer la justice après un génocide. Quand on atteint un tel degré de destruction de l’humanité et de la dignité, la justice internationale est toujours incomplète, lente, prise dans d’incessantes négociations politiques.

Mais je continue de défendre le Tribunal des khmers rouges que le Cambodge a accepté. Pour la première fois, on a acté qui sont les victimes et les bourreaux. Il faut faire attention à ne pas décrédibiliser cet acte de justice, si limité soit-il, même si l’on peut bien-sûr débattre de ses résultats.


Face au Conseil des droits de l’homme

Depuis 16 ans, le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDHLien externe) donne la parole à la société civile dans le même temps que la principale session du Conseil des droits de l’homme (CDHLien externe).

Une sélection pointue de films documentaires ou non donne un coup de projecteur sur des réalités,  des violences et des guerres que les Etats réunis au CDH peinent souvent à regarder en face. Au festival genevois, ces films permettent d’alimenter de nombreux débats suivis par un public toujours plus nombreux, en particulier chez les jeunes.

Pour sa 17e édition, le festival poursuit son extension dans près de 30 communes genevoises et dans des dizaines de sites du canton et d’autres régions. La tournée entamée l’année dernier dans 45 pays se poursuivra en 2019 dans 15 autres. Avec 2 millions de francs suisses, le budget a augmenté d’environ 10%.

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